Comment le cabinet d’avocats Allen & Overy met le cap sur la legaltech

© ISTOCK

Le cabinet d’affaires londonien a créé un incubateur de start-up et engagé des experts en nouvelles technologies. Les équipes spécialisées en legaltech faisaient étape à Bruxelles pour dévoiler aux avocats belges leurs dernières avancées. “Trends-Tendances” est allé à leur rencontre.

Ruth Ward et son équipe sont en tournée mondiale. La responsable des développements informatiques d’Allen & Overy a une mission : attirer l’attention des avocats sur les dernières avancées de la firme en matière de nouvelles technologies. Elle faisait récemment étape à Bruxelles, pour une journée d’initiation aux différents outils mis à disposition des 5.500 collaborateurs que compte le cabinet d’affaires.

En tant que head of IT knowledge & collaboration technologies, Ruth Ward fait partie d’une équipe d’une quarantaine de personnes dédiée aux développements technologiques. Au sein de ce département basé au siège londonien d’Allen & Overy, les avancées en matière de legaltech sont prises très au sérieux. ” Mon rôle est de montrer les bénéfices que peuvent apporter ces nouvelles technologies dans notre travail en termes de capacité d’organisation, de rapidité d’exécution et d’efficacité, explique Ruth Ward. Nous créons des outils digitaux pour nos praticiens depuis des années. Mais les derniers développements dans ce domaine s’accélèrent et se font à une échelle plus vaste qu’auparavant. Nos associés, nos avocats et nos collaborateurs doivent être mis au courant. ”

Automatisation et “data mining”

Le cabinet développe en interne ou via des partenaires toute une série d’outils d’automatisation, de gestion des documents ou de data mining (exploration de base de données). L’objectif est que ces solutions sortent des frontières britanniques et soient utilisés par les bureaux locaux. A cette fin, un simple mail ou un tutoriel en ligne ne suffisent pas. L’équipe de Ruth Ward est donc là pour montrer le potentiel de ces nouveaux outils, mais aussi pour les démystifier . ” Nos avocats doivent être rassurés, ils ne vont pas tous devoir apprendre à coder, pointe Ruth Ward. Nous voulons leur démontrer que ces technologies ne sont pas une outil qu’ils ne pourraient pas manipuler. “

Nos clients veulent de la sophistication. Ils nous demandent d’être plus efficaces et moins chers. Ces nouvelles technologies, c’est aussi une manière de répondre à cette demande. ” Pierre-Olivier Mahieu, associé “corporate” chez Allen & Overy

Le barreau n’est pas connu pour être un repère de geeks ou d’experts du digital. Même si des événements comme les colloques ” Electrochoc numérique ” organisés par Avocats.be se multiplient, les professionnels du droit estiment en grande majorité ne pas être menacés par la révolution numérique. Et pourtant, les start-up de la legaltech, qui déploient de nouvelles plateformes technologiques, sont en passe de bousculer le secteur. Certains logiciels sont ainsi capables de retrouver les clauses les plus importantes et de classifier des documents interminables par thématique juridique. Récemment, l’intelligence artificielle de la société LawGeex a démontré que dans ce domaine, une machine pouvait être plus rapide qu’un avocat (26 secondes pour classer une clause de confidentialité, contre 92 minutes pour un humain) et plus efficace (94 % de taux de réussite contre 85 %). D’autres logiciels évoluent vers l’automatisation du traitement de certains dossiers récurrents. La promesse, à nouveau, est de remplacer une partie des tâches effectuées traditionnellement par l’avocat. Selon une étude réalisée en 2017 par McKinsey, 23 % des tâches des avocats peuvent être automatisées.

Ruth Ward,
Ruth Ward, ” head of IT knowledge & collaboration technologies ” chez Allen & Overy© PG

Un incubateur au sein du cabinet

Pour éviter de se faire déborder et pour intégrer au plus vite ce type d’outils dans sa pratique, Allen & Overy a adopté une stratégie innovante. A Londres, le cabinet d’affaires a mis sur pied un incubateur de start-up. Le succès est au rendez-vous, puisque 80 candidatures, venant du monde entier, ont déjà été rentrées auprès de cette structure. Baptisée Fuse, elle accueille actuellement huit start-up, spécialisées dans la legaltech, mais aussi dans la fintech (technologies dans le secteur financier) et la regtech (technologies dans le secteur de la réglementation). ” La legaltech n’est qu’un élément de la disruption technologique qui touche notre secteur. Nos clients sont tout aussi impactés par les nouvelles fintechs et regtechs “, avance Ruth Ward.

La société Kira a ainsi intégré l’incubateur du cabinet. Cette jeune entreprise canadienne commercialise une solution d’analyse de documents juridiques. Grâce à la technologie du machine learning (logiciel auto-apprenant dont les performances évoluent au fur et à mesure qu’on lui injecte des masses toujours plus importantes d’informations), les outils de Kira analysent des bases de données, les réagencent et en extraient les passages pertinents. Les produits de cette legaltech bien connue dans le secteur sont utilisés par de nombreux cabinets d’affaires, dont évidemment Allen & Overy. Le cabinet londonien n’a pas l’intention de nouer un partenariat exclusif avec l’entreprise. Mais en l’accueillant dans son incubateur, il peut travailler de façon plus étroite avec ce fournisseur de services, et bénéficier de sa connaissance fine de ces nouvelles technologies du droit.

Fuse couve également Avvoka, une start-up britannique fondée par des avocats en 2015. Cette jeune pousse développe une plateforme permettant aux juristes de négocier des contrats en direct. Un outil qui a séduit Pierre- Olivier Mahieu, associé en corporate au bureau d’Allen & Overy à Bruxelles : ” Quand on négocie, par exemple, un contrat de cession d’entreprise pour le compte d’un client, on s’échange encore des documents Word en pièces attachées. Cet outil nous permettrait de travailler beaucoup plus efficacement, sur une version unique d’un document. Dès que nos équipes auront certifié que ce programme est suffisamment abouti et performant, je compte l’utiliser dans ma pratique “, avance Pierre-Olivier Mahieu.

Pour le cabinet d’avocat londonien, le but de l’incubateur Fuse est de se rapprocher de l’industrie de la legaltech et de profiter des meilleures solutions développées par les start-up dans ce domaine. Le cabinet Baker McKenzie a une démarche similaire. Il a ouvert à Frankfurt un legal innovation hub , qui se veut un lieu ouvert aux échanges entre avocats, universitaires, grandes entreprises et start-up. Le managing partner de Baker McKenzie au niveau mondial, Paul Rawlinson, nous indiquait en début d’année ne pas être fermé à une prise de participation dans une start-up de la legaltech. Chez Allen & Overy, ce n’est pas une stratégie prioritaire… mais le cabinet a néanmoins investi dans la start-up Nivaura, une fintech innovante incubée chez Fuse.

Pierre-Olivier Mahieu, associé en
Pierre-Olivier Mahieu, associé en “corporate” chez Allen & Overy© PG

Efficacité et réduction des coûts

Tous les cabinets d’affaires se posent des questions sur les nouveaux outils numériques qui apparaissent sur le marché. Mais pour l’heure, seuls les grandes structures internationales ont les moyens de leurs ambitions. La plupart des cabinets belges regardent encore ces développements avec une certaine retenue. Pour des raisons de coût, bien sûr, mais aussi d’opportunité. Les solutions de legaltech en sont encore à leurs balbutiements. Malgré les promesses énormes qu’elles recèlent en termes d’automatisation et de gain de temps, de nombreux professionnels du secteur estiment qu’il est trop tôt pour investir dans des technologies encore immatures.

Les grandes structures, par contre, peuvent se permettre d’être plus audacieuses et d’investir dans ces nouvelles plateformes. ” Nos clients veulent de la sophistication. Ils nous demandent d’être plus efficaces et moins chers, souligne Pierre-Olivier. Ces nouvelles technologies, c’est aussi une manière de répondre à cette demande. ”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content