Vendre sur Facebook, le nouveau Far-West de l’e-commerce

© Reuters

On appelle ça le “f-commerce”. De plus en plus de marchands mettent leur catalogue en vitrine sur Facebook, et certains proposent déjà de payer ses achats sans sortir du réseau social. Premiers retours d’expérience.

De quoi rêvent aujourd’hui les e-commerçants ? De faire de Facebook et de ses 600 millions de membres le plus grand hypermarché du monde. La plupart des marques sur Facebook sont encore dans une logique d’acquisition de fans et d’engagement de la conversation avec leurs clients. Mais l’avenir est à l’intégration plus poussée, allant jusqu’à la réalisation de la transaction sans sortir du réseau social. Il va falloir compter avec le f-commerce, terme inventé pour décrire le commerce sur Facebook. Le rachat par 24h00.fr de Boosket, une start-up spécialisée dans la création de boutiques sur Facebook, prouve que ça bouge dans le secteur. Il y a moins de six mois, Payvment, un acteur américain du f-commerce, levait 6 millions de dollars lors d’un deuxième tour de table.

Recréer une boutique dans une page Facebook

Boosket permet à n’importe quelle entreprise ayant une “page fan” sur Facebook de mettre en vente ses produits sur le réseau social, par le biais d’une page personnalisable renvoyant sur son site marchand, ou d’une application intégrant l’achat et le paiement sans quitter la plateforme. Créée en septembre 2010, la start-up travaille déjà avec 2000 clients, dont Naf Naf, La Redoute, Kiabi, Grosbill, Eram, et énormément de TPE-PME. Elle affirme doubler ses revenus chaque mois depuis son lancement, et espère encore quadrupler ses ventes d’ici à la fin de l’année. Sa solution, vendue initialement sur abonnement, est devenue gratuite pour les petites entreprises dans une version standard et automatisée. La société se rémunère en vendant aux grands comptes un accompagnement global et une solution permettant d’interfacer leur système d’information avec celui de Facebook.

Boosket s’est bâti sur un modèle éprouvé aux Etats-Unis, par des prestataires comme Bigcommerce, Payvment ou Usablenet. En France, il n’est pas le seul à proposer ce genre de prestations. C’est le cas de Lengow, et bientôt de l’agence interactive Nurun. Prestashop, fournisseurs de boutiques internet clés en mains, propose également des modules personnalisables de mise en avant de catalogue sur Facebook, mais sans aller jusqu’à la prise en charge de la transaction.

Dernier buzz à la mode ou tendance de fonds ?

D’après un sondage réalisé par Booz&Co en 2010, 27% des internautes adeptes du e-commerce et des réseaux sociaux aimeraient acheter des biens sur des réseaux sociaux. Le cabinet de conseil évalue le marché du “social commerce” (plus large que le seul f-commerce mais hors biens virtuels) à 5 milliards de dollars, et estime qu’il atteindra 30 milliards dans 5 ans.

Forrester n’est pas si optimiste. Pour une de ses analystes, le f-commerce est un leurre. Les gens ne vont pas sur Facebook pour acheter, dit-elle. Ils deviennent “fans” des marques simplement pour obtenir des bons de réduction. Et d’après elle, 60% des marchands auraient du mal à déterminer quel est le retour sur investissement de leurs actions sur les réseaux sociaux.

Premiers retours d’expérience

Le f-commerce est encore une affaire de pionniers. 1800flowers ou JC Penney aux Etats-Unis, Asos en Angleterre, La Redoute (340 000 fans au compteur) en France… L’important pour ceux qui “y vont”, c’est surtout “d’aller chercher les consommateurs là où ils sont”, comme l’explique Guillaume Darrousez, directeur e-commerce et développement de La Redoute.

Du côté des marchands, il est encore difficile de recueillir des chiffres pour faire un bilan. Josue Solis, fondateur et président de Boosket, indique par exemple que le taux de conversion dans Facebook est moins bon que la moyenne du e-commerce, mais que le coût de recrutement est largement inférieur. Mais l’analyse n’est pas forcément partagée.

Il semble que les petites entreprises aient particulièrement intérêt à développer ce canal de vente, qui représente pour certaines plus des 10% des ventes, voire largement plus, ou leur permet d’accroître le panier moyen. Archiduchesse.com, un vendeur de chaussettes en ligne français, réalise par exemple 20% de son trafic grâce à sa vitrine Facebook. Il peut être aussi plus intéressant, pour une société qui se lance, d’ouvrir une boutique uniquement sur Facebook et ainsi de gérer sa stratégie sociale et marchande d’un seul tenant. C’est ce qu’a fait Romab, un petit studio de design de coques iPhone en séries limitées, qui a créé sa boutique avec Payvment. Autre opportunité, pour les grands groupes cette fois : vendre une marque qui a déjà des fans, mais pas de site e-commerce. Unilever l’a fait pour Dove.

Les consommateurs, eux, seraient à la recherche d’une expérience “intégrée”. Comprendre qu’une fois qu’ils sont sur Facebook, s’ils peuvent tout faire à l’intérieur du site, ils préfèrent. A voir. L’intérêt principal pourrait plutôt venir de promotions spéciales, de la personnalisation des boutiques, et d’opérations intégrant les autres dimensions de Facebook. Par exemple : des “Facebook Credits” offerts pour une commande passée sur Facebook, des avantages pour les clients qui recommandent un produit qu’ils ont acheté sur Facebook, etc.

Encore pas mal de problèmes techniques avant le décollage

Pour que le f-commerce se développe à grande échelle, il va falloir résoudre plusieurs problèmes : l’ergonomie tout d’abord. L’expérience d’achat est cruciale pour les boutiques en ligne. De l’ergonomie du processus de commande dépend la concrétisation de l’achat, sachant que plus de 60% des paniers sont abandonnés en court de route sur les sites marchands. De plus, beaucoup d’internautes accèdent à Facebook depuis leur mobile. Il faut donc que l’ergonomie soit aussi pensée pour cet usage.

Le paiement, ensuite : tous les moyens de paiement ne peuvent pas être proposés sur Facebook. Le site accepte Paypal ou la carte bancaire, mais La Redoute, qui a testé pendant deux semaines une boutique transactionnelle avec Boosket, ne pouvait pas proposer la carte Kangourou, faute de connexion informatique entre les deux systèmes. On pourrait imaginer que Facebook investisse ce créneau en proposant un “Facebook Credits” adapté aux marchands, et en prenant une commission au passage. Josue Solis en prend le pari.

L’interfaçage entre les systèmes d’information de Facebook et du marchand est l’autre gros chantier actuel. Une condition sine qua non pour que La Redoute décide de pérenniser sa f-boutique. “Sur Facebook, personne en France ne peut aujourd’hui proposer la disponibilité des produits en temps réel”, explique Guillaume Darrousez. C’est sur ce genre de savoir-faire que Nurun pourrait faire la différence, réplique Grégory Pouy, le directeur social media de l’agence, qui a l’habitude d’intégrer les systèmes comme SAP aux projets web de ses clients.

Enfin, l’une des plus grandes opportunités pour les e-commerçants est sans doute l’exploitation des données venant du profil Facebook des internautes. Les boutiques transactionnelles sur Facebook sont en effet des applications, qui peuvent réclamer aux utilisateurs l’accès à leur profil, comme n’importe quelle application. Une mine d’informations pour un e-marchand. Mais c’est aussi l’un des plus grands obstacles au développement de l’activité, vu les crispations autour de la protection des données personnelles. Ce qui conduit pour l’instant les prestataires à ne pas imposer l’accès au profil lors de l’installation de leurs applications.

Raphaële Karayan, L’Expansion.com

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