Transmettre l’entreprise familiale selon vos souhaits

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Le transfert de l’entreprise familiale aux enfants se heurte bien souvent à plusieurs écueils. Le remaniement des statuts peut cependant contribuer à en surmonter quelques-uns.

Généralement, le gérant d’une entreprise familiale désireux de la transmettre à ses enfants souhaite conserver le contrôle — au moins temporairement — de sa société, écarter la belle-famille de son administration, minimiser la probabilité d’une reprise ou au moins garder voix au chapitre sur ce point, entre autres choses. L’adaptation des statuts de la société constitue une technique très efficace et bon marché, qui est pourtant souvent négligée dans la pratique. Statuts standard Si vous lisez attentivement les statuts de votre entreprise familiale — SPRL ou SA, par exemple — vous constaterez peut-être que ces statuts sont standard, c’est-à-dire qu’ils pourraient s’appliquer à n’importe quel type de société similaire. Lors de la création d’une SPRL ou d’une SA en effet, les parties impliquées y consacrent généralement peu de temps et/ou d’argent, et le notaire travaille avec un modèle de base, qu’il retouche éventuellement en cas de souhait spécifique du client. Evidemment, au moment de sa création, vous ne pensiez pas encore à la problématique de son transfert à la génération suivante…

Aujourd’hui pourtant, votre activité a atteint son rythme de croisière et vos enfants participent à l’aventure. Le moment est donc venu de vous pencher à nouveau sur les statuts. Interrogez-vous avant toute chose sur ce que vous estimez réellement important pour l’entreprise — par exemple en écarter la belle-famille, en céder le contrôle de manière partielle, etc. Ensuite, concertez-vous avec votre avocat ou planificateur patrimonial par rapport à la manière dont les statuts peuvent être rédigés “sur mesure” afin de satisfaire à ces diverses exigences.

Statuts sur mesure Evidemment, vos exigences se heurteront peut-être à des limites de nature juridique. Vous pouvez par exemple souhaiter rester administrateur à vie de votre SA en détenant une seule action.

Juridiquement pourtant, ce n’est pas possible avec une SA. En un mot comme en 100 : il est essentiel que vos exigences soient juridiquement acceptables pour garantir que vos statuts soient contraignants sur le plan légal. Une fois cet exercice réalisé, cet ajustement des statuts devra être soumis au notaire — dont coût : plus ou moins 1.000 euros. Des dizaines de formules différentes sont envisageables pour tailler vos statuts sur mesure. Nous nous sommes concentrés sur deux exemples concrets de situations fréquentes dans la vie réelle, mais sachez que la modification statutaire — éventuellement combinée à un pacte d’actionnaires — peut répondre à la grande majorité de vos souhaits.

Conservation du contrôle Les gérants et chefs d’entreprises expriment souvent le souhait de conserver le contrôle de leur activité après la donation aux enfants, notamment. Par le biais d’une donation, l’entreprise familiale sort du patrimoine qui sera grevé ultérieurement de droits de succession, mais idéalement, vous voudriez (au moins temporairement) rester aux commandes. Souvent, le chef d’entreprise entend même pouvoir encore tirer un revenu de la société, tout en gardant voix au chapitre dans sa gestion. Le type de société n’est pas sans importance à cet égard. Ici, nous partons du principe que l’entreprise familiale est une SA ou une SPRL, les formes les plus usitées dans la pratique.

– L’entreprise familiale est une SPRL

Si vous avez une SPRL, une option consiste à donner toutes les actions de votre entreprise à vos enfants, sauf une. Les actions de la SPRL sont toujours nominatives, ce qui suppose que la donation doit avoir lieu devant notaire belge ou néerlandais. Avant de procéder à la donation cependant, vous devrez adapter les statuts, et y déterminer que l’unanimité est nécessaire pour toute décision de l’assemblée générale. Vous pouvez aussi vous désigner dans les statuts “gérant statutaire”, ce qui vous octroie une sorte de droit de véto que vous pouvez opposer à votre destitution, à condition de détenir une action, donc. Si vous le souhaitez, vous pouvez aussi désigner un successeur gérant dans les statuts — votre conjoint, votre fille aînée, etc. Ou encore définir statutairement votre rémunération. En résumé : la SPRL est la forme de société parfaite pour un résultat “sur mesure”.

– L’entreprise familiale est une SA

Si vous souhaitez rester administrateur à vie d’une SA en revanche, vous devez être et rester actionnaire majoritaire. Dans le cas contraire, vous pouvez en effet être licencié à tout moment et sans motivation par l’assemblée générale — composée par exemple de vos enfants à qui vous avez donné l’entreprise. Une majorité ordinaire suffit en principe et vous ne pouvez prendre d’autres dispositions par voie statutaire.

Il est possible toutefois de transformer la SA en SPRL ou en une autre forme de société (lire l’encadré). La transformation est parfaitement envisageable lorsque la SA est petite. Retenez cependant que la procédure à suivre est assez stricte. Celle-ci comprend notamment l’établissement d’un rapport par un réviseur d’entreprise et le passage devant notaire. Comptez au moins 2.500 euros pour ces formalités.

Une autre solution consiste à n’offrir que la nue-propriété aux enfants et à conserver l’usufruit. Il faudra alors clairement mentionner dans les statuts que l’usufruitier — et donc pas le nu-propriétaire — a le droit de vote. Ce qui présente cependant l’inconvénient majeur que les enfants ne deviennent pleins-propriétaires qu’à votre décès et que jusqu’alors, vous avez droit aux dividendes en tant qu’usufruitier. Beaucoup estiment ce privilège excessif. Il est dès lors préférable de donner d’abord les actions et d’ensuite créer une société dans laquelle vous et vos enfants apportent les actions de la SA. Cette manoeuvre s’articule en deux étapes :

1re étape :

les parents commencent par donner

Les parents cèdent leurs actions à leurs enfants. Cette donation peut se faire devant notaire belge — 3 % de droits de donation — ou néerlandais, à meilleur coût et de manière plus efficace. Comptez le cas échéant environ 1.500 euros. Les parents donnent à chaque enfant 45 % des parts et en conservent chacun 5 % (ensemble, 10 %)

2e étape :

les parents et les enfants créent une société

Après la donation des actions, les parents et leurs deux enfants fondent ensemble une société. Les parents apportent chacun leurs 5 % et les enfants chacun leur part de 45 %. Cette création de société se fait sous seing privé, sans l’intervention d’un notaire, et ne nécessite donc pas de publication au Moniteur belge. Dans les statuts, vous êtes libre de définir vos exigences et vous pouvez vous rendre inamovible en vous désignant gérant statutaire.

Ecarter la belle-famille Imaginez que vous souhaitiez transmettre une part importante de vos actions de l’entreprise familiale à vos deux fils mais refusiez qu’au décès de l’un d’eux, les petits-enfants vendent ces actions, par exemple. Ou que vos belles-filles, qui héritent de l’usufruit, aient voix au chapitre dans la gestion de l’entreprise. Le cas échéant, le remaniement des statuts constitue une solution intéressante et bon marché.

– L’entreprise familiale est une SPRL

De nombreux statuts copient le règlement légal, qui détermine que les actions ne peuvent être transmises à personne sans l’accord d’au moins la moitié des associés détenant au minimum trois quarts du capital. Cette règle n’est cependant pas valable lorsque les actions de l’entreprise familiale sont transmises aux enfants ou à l’époux(se) d’un actionnaire. Si vous ne modifiez pas vos statuts, le fils cadet ne sera pas protégé, en cas de décès de l’aîné, contre les enfants de ce dernier et son épouse.

Les statuts peuvent cependant prévoir qu’aucune action ne revienne aux héritiers ou au partenaire de l’actionnaire sans l’aval de l’autre actionnaire. Pour toute modification statutaire, le quorum légal est fixé aux trois quarts des voix. Mieux vaut donc modifier les statuts avant la donation. Si votre fils aîné décède, ses enfants ne pourront pas devenir actionnaires sans l’accord de votre cadet. Cela dit, si ce dernier refuse, il devra racheter les parts. Pour éviter toute discussion, vous pouvez déterminer au préalable dans les statuts le mode de valorisation qui devra être utilisé pour estimer l’entreprise.

– L’entreprise familiale est une SA

Dans le cas de la SA, la loi ne prévoit absolument aucune limitation en matière de transfert, car la SA est en théorie une société ouverte, dont le transfert des actions est totalement libre. Pourtant, juridiquement, les statuts peuvent bel et bien limiter le transfert, comme dans le cas de la SPRL. Vous pouvez alors par exemple déterminer que les actions ne peuvent être transmises à un tiers, y compris les héritiers, sans l’approbation des autres actionnaires ou du conseil d’administration. Juridiquement, on parle alors de clause d’agrément.

Combinez à cette dernière une clause prévoyant un droit de préemption. Concrètement, cela suppose que les actionnaires existants — par exemple votre fils cadet — rachètera les actions des héritiers du défunt s’il ne donne pas son approbation. Là aussi, vous pouvez déterminer au préalable le mode de valorisation des parts. Pour cette modification des statuts, la majorité des trois quarts des voix est nécessaire. Mieux vaut donc adapter les statuts au préalable.

JOHAN STEENACKERS

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