Les bars à café se multiplient en Belgique

Un petit noir bien serré à emporter ! Il a fallu le temps, mais le Belge commence à siroter son café en dehors de chez lui. Lancés par des indépendants, les établissements se multiplient. De quoi attirer (ou réveiller) les grandes chaînes ?

Et de 10 ! Après Anvers, Bruxelles, Bruges et Gand, c’est au tour de Namur d’accueillir Starbucks, la célèbre chaîne de bars à café — à laquelle certains consommateurs vouent une sorte de culte. La boutique a ouvert il y a quelques jours ; la 10e du pays et surtout la première à offrir ses arabicas, frappucinos, muffins et consorts en Wallonie. L’emplacement ne surprendra pas grand-monde : les 113 m² sur lesquels la chaîne américaine a jeté son dévolu sont situés au rez-de-chaussée de la gare de la capitale wallonne. Plutôt logique, quand on connaît le groupe qui oeuvre au développement belge de Starbucks, via une licence exclusive : Autogrill. Les spécialistes de la restauration on the move, comme ils l’appellent. Leur terrain de jeu : aéroports, aires d’autoroute, gares et stations de métro, où les passants forment une clientèle “captive”. A Namur, donc, les 50.000 navetteurs, voyageurs occasionnels, touristes ou badauds qui battent quotidiennement le pavé de la gare.

Rien d’étonnant, vraiment ? En lieu et place de Namur, n’est-ce pas plutôt Porte de Namur, à Bruxelles, que le logo circulaire vert aurait dû cibler ? Expliquons-nous. Et tournons-nous vers deux villes voisines. A Amsterdam ou Paris, il n’est pas possible de faire 100 m sans tomber sur un bar à café, peu importe l’enseigne qu’il arbore. En Belgique, rien, ou presque. Une impression qui n’est pas si caricaturale. Les rues d’Amsterdam abritent pas moins de 21 CoffeeCompany. Côté parisien, comptez quand même plus de 50 Starbucks. C’est tout le marché français qui bouillonne, puisque la chaîne britannique Costa Coffee a décidé de s’y frotter en 2013 et que l’italienne Illy veut voir ses bars Esspressamente Illy monter en puissance. Côté bruxellois, on dénombre péniblement deux Starbucks, nichés (cachés ?) gares Centrale et du Nord.

La “tortue Autogrill” ? Une situation qui en laisse plus d’un perplexe ; experts en immobilier commercial ou en (géo)marketing. La lenteur de Starbucks ne manque pas d’étonner. La “personnalité” de son franchisé belge est pointée du doigt ; on le dit prudentissime, voire touchy, tant en termes de décisions que de budget disponible. Quitte à rater des opportunités. “Je connais un shopping center de premier plan qui cherche un exploitant pour un bar à café et qui ne trouve personne, hallucine Boris van Haare Heijmeijer, head of retail services pour l’Europe chez Cushman & Wakefield. Ce n’est pas une question de succès ; le marché existe à Bruxelles. Prenez le bas de la ville, à la Monnaie ou à City 2. Ou le haut de la ville, à Louise ou Porte de Namur. Ou encore à Schuman. Ce serait le carton assuré. Ce qui se passe est incompréhensible.” Et laisse toute la place à une concurrence potentielle, qui commence à s’activer sur les marchés européens, relève Isabelle Schuiling, professeur de marketing à l’UCL.

Pas de quoi démonter Patrice Fiévet, marketing and food & beverage manager d’Autogrill en Belgique et aux Pays-Bas. Trop lent, Autogrill ? “Les choses ne vont peut-être pas assez vite pour tout le monde mais nous ne nous développons pas à n’importe quel prix. Accessibilité, visibilité, fréquentation : nos critères d’implantation sont très stricts. Le but n’est pas d’avoir le plus de Starbucks possible mais de disposer des meilleurs emplacements. Et oui, la situation économique est ce qu’elle est. Nos moyens d’investissements ne sont pas illimités. Cela dit, en cinq ans, nous avons ouvert 10 Starbucks en Belgique, deux en Espagne, quatre en France et quatre autres aux Pays-Bas. Ce n’est pas si mal.”

Ne comptez pas sur Autogrill pour davantage parler chiffres. Sachez juste ceci : ils sont contents de toutes leurs boutiques. Ce qui inclut donc celle de Gand, ouverte fin 2011, accrochez-vous bien, dans le centre-ville. Une première sortie hors des clous pour Autogrill. Un test, en somme, malgré leurs dénégations. Sera-t-il amené à se répéter ? “Centre-ville ou gare, cela dépendra des opportunités, temporise Patrice Fiévet. Il y aura un onzième Starbucks en Belgique mais l’emplacement n’est pas encore arrêté.”

Le “petit café du matin” Qu’en est-il alors ? Le marché belge constituerait-il une sorte d’exception, de village gaulois qui freinerait l’expansion de la machine Starbucks, autrement plus imposante sous d’autres cieux ? A première vue pourtant, le marché semble parfait. Parce que le Belge est friand de café. Voyez le succès de Senseo ou Nespresso. Douwe Egberts a réalisé un classement des pays consommateurs de café. La Belgique arrive en neuvième position, devant le Brésil, avec 5,5 kg de café bus, en moyenne, par an et par tête de pipe. Sauf que le Belge est en même temps d’humeur assez casanière : “50 % du volume consommé en Belgique l’est à la maison, entre 7 h et 10 h 30, assure Peter Pintens, directeur marketing chez D.E. Master Blenders 1753. Le Français consomme certes moins de café, mais il le fait en dehors de chez lui.” Confirmation de Frédéric Rouvez, cofondateur de la chaîne de restauration Exki. “A Paris, les gens sortent de leur bureau pour leur pause-café, ils vont en bas ou de l’autre côté de la rue et des files de collègues se forment.” Rien de tel en Belgique. Faute, peut-être, d’endroits adaptés où le faire. “L’oeuf ou la poule”, sourit Boris van Haare Heijmeijer.

Bien sûr, la place belge affiche d’autres (petits) handicaps. Elle est “tenue” par les brasseurs, considère Frédéric Rouvez. Et le Belge boit du café, oui, mais le matin et en début d’après-midi. Passé 16 h, c’est nettement plus rare ; de peur, peut-être, de ne pas trouver le sommeil et de perdre ces heures supposées compter double — mais oui, vous savez, celles avant minuit. Sa culture ne le porte peut-être pas non plus vers ces immenses cafés dilués (ou sucrés jusqu’à l’écoeurement) à l’américaine ; il est habitué à ses marques, qu’elles soient néerlandaises ou italiennes. Son portefeuille risque également de tiquer au vu de certains prix — ceux de Starbucks en tête.

Le “take away” s’installe Cela dit, la tendance a décidé de ne pas s’arrêter à ces désagréments. Et encore moins d’attendre les grandes chaînes. D’abord discret, le phénomène se marque de plus en plus. Les bars à café fleurissent sur les trottoirs belges, avec des indépendants à la manoeuvre. Prenez Anvers, mais surtout Gand, où une véritable culture locale a réussi à s’implanter. Un phénomène qui percole jusque dans des plus petites villes, comme Alost ou Louvain. Et qui a fini par atteindre la capitale, où les petits établissements se multiplient. “La mentalité take away s’installe en Belgique, se réjouit Rodolphe Renwart, administrateur délégué de Natural Caffè, qui totalise trois boutiques sur Bruxelles. Il y a 10 ans, par contre, quand nous avons repris la boutique, ce n’était pas gagné. Un bar à café, les gens ne savaient pas comment cela fonctionnait et entraient limite pour commander une bière. Si nous avons tenu, c’est uniquement grâce au côté multiculturel de Bruxelles et à la présence de l’Europe.”

Un bruissement du marché à même d’éveiller la curiosité, et l’appétit, des grandes chaînes justement. Comme Leonidas, qui annonçait récemment son intention d’ouvrir des Leonidas Café. Cible : le marché international et les touristes visitant le plat pays. Du côté de D.E. Master Blenders 1753, racheté il y a peu par le groupe allemand JAB, propriétaire des enseignes Peet’s Coffee & Tea et Caribou Coffee, on se tâte et on n’exclut pas d’attaquer ce marché out of home. La rumeur, enfin, a déjà doublé la tortue Autogrill, installant le 11e Starbucks de Belgique avenue de la Toison d’Or, à Bruxelles, en guise de voisin de l’Apple Store que les bruits de couloirs annoncent également. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.

BENOÎT MATHIEU

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