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Des Mérovingiens à la BCE

L’histoire de la monnaie est fascinante. Et pour cause : la monnaie représente, pour tout humain, un moyen de transaction, mais aussi un moyen de thésaurisation et d’emprunt.

L’histoire de la monnaie est fascinante. Et pour cause : la monnaie représente, pour tout humain, un moyen de transaction, mais aussi un moyen de thésaurisation et d’emprunt. Cette fonction de la monnaie permet de reporter dans le temps, ou au contraire d’anticiper, la consommation. C’est d’ailleurs pour cette raison que la stabilité de la monnaie, c’est-à-dire le maintien de son pouvoir d’achat, est un objectif premier de nos gouvernants, d’autant que la monnaie n’est plus garantie par un étalon métallique, tel l’or, mais… par la confiance qu’on attribue à ces mêmes gouvernants.

Mais revenons sur ces deux fonctions essentielles de la monnaie, à savoir l’aspect transactionnel (la monnaie est utilisée pour acquérir et vendre des biens) et sa fonction de thésaurisation. Ces fonctions sont aujourd’hui liées : un euro utilisé pour une acquisition a la même valeur qu’un euro épargné, à tout le moins au moment de sa thésaurisation.

Dans l’histoire, il y eut plusieurs exemples de dissociation de la monnaie entre ces deux fonctions, à savoir l’utilité transactionnelle et la réserve de valeur.

Surestarie

Dans un remarquable ouvrage Au coeur de la monnaie paru chez l’éditeur Yves Michel (août 2011), Bernard Liétar nous apprend que dès le premier millénaire, on identifie, autant en Angleterre que dans nos contrées, une pratique des Mérovingiens (5e au 7e siècle) consistant à remplacer régulièrement la monnaie par une autre, afin de décourager la thésaurisation. A l’avènement de chaque Roi, de nouvelles pièces étaient frappées, mais en confisquant une partie des pièces émises par le Roi précédent.

C’est un phénomène que Bernard Liétar qualifie de surestarie. Une nouvelle frappe de monnaie remplaçait la précédente : les pièces en circulation étaient reprises moyennant une taxe d’émission. Quiconque était en possession d’anciennes pièces devait payer cette taxe. Il était donc plus intéressant de dépenser ou d’investir ces pièces que de les thésauriser. Selon Bernard Liétar, cette technique a contribué au renouvellement des biens durables de longue utilité, tels les moulins. On trouve, dans cette pratique, l’expression du droit régalien (c’est-à-dire du Roi) de battre monnaie et de fixer la valeur de l’étalon monétaire. Au reste, l’histoire fourmille d’exemples où les souverains ont modifié les parités monétaires afin d’assurer le remboursement des dettes qu’ils avaient contractées.

Monnaie “fondante”

Des siècles plus tard, cette singularité monétaire se retrouva dans la théorie d’un économiste belge né au 19e siècle, Silvio Gesell. En 1916, il formule son extraordinaire idée de monnaie “fondante” dans l’ouvrage L’ordre économique naturel.

Cette théorie postule que la thésaurisation est néfaste pour l’économie. La seule manière d’injecter de l’argent dans l’économie est de forcer sa dépréciation naturelle, à intervalles fixes. L’idée est originale : au lieu de subir l’inflation, c’est la monnaie qui va imposer sa propre perte de pouvoir d’achat et donc son rythme de circulation. Gesell arriva à la conviction que la monnaie “rouillait”, en perdant périodiquement de sa valeur. Gesell préconisait une dépréciation d’un millième par semaine, ce qui correspond à 5,2 % par an.

Selon Gesell, la perte de valeur régulière et prévisible de l’argent favorise son injection dans l’économie, puisque les agents économiques s’opposeraient à une dépréciation de leur pouvoir d’achat par des achats d’actifs et des remboursements de dettes. Il en résulterait une circulation monétaire constante permettant aux pouvoirs publics d’en doser la quantité afin d’assurer la stabilité des prix.

L’idée de Gesell doit être replacée dans le contexte du monétarisme métallique des deux siècles précédents. L’économiste postulait que si la détention de la monnaie coûtait au moins autant que la détention des biens, l’équilibre serait rétabli et le système économique pourrait fonctionner sans heurts et sans pénalisation.

La technique de la surestarie et l’idée de la monnaie fondante ne sont pas mortes. On les appelle aujourd’hui des “assouplissements quantitatifs” ou des politiques monétaires “non conventionnelles”, ce qui signifie, dans une expression simplifiée, faire tourner la planche à billets ou fabriquer de l’inflation. Les mérovingiens l’avaient déjà instauré, sous des vocables moins pudiques et plus brutaux.

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