Réforme de Wall Street: ce qui change vraiment

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Le Sénat américain a ouvert la voie jeudi à l’adoption de la vaste réforme de la régulation financière. Bouleversement profond de Wall Street ou rafistolage superficiel ?

Les sénateurs américains ont approuvé jeudi matin la fin des débats de la plus vaste réforme de la régulation financière depuis les années 1930. Une décision qui ouvre la voie à son adoption, après un vote procédural sur la question du financement.

Forte de plus de 2.300 pages, la loi “Dodd-Frank” – du nom de ses principaux auteurs, le sénateur Chris Dodd et le représentant Barney Frank – a été conçue pour tenter d’empêcher une nouvelle crise telle que celle qui avait culminé à l’automne 2008. Reste à savoir si les compromis acceptés pour permettre son adoption ne vont pas entraver son efficacité…

Ce qui changera Moins d’incitations à la prise de risques. Le système financier est accusé d’avoir encouragé les banques à prendre des risques excessifs par rapport à ce qu’elles étaient capables d’assumer. Quand ces risques potentiels se sont transformés en pertes réelles, il ne restait plus aux banques qu’à attendre le sauvetage par les fonds publics. La réforme vise donc à diminuer les risques que les banques pourront prendre, et ce à tous les étages. Au niveau des prêts immobiliers d’abord : une des raisons du boom des subprimes était la possibilité laissée aux prêteurs de se débarrasser du risque de défaut via la titrisation. “En obligeant les émetteurs à retenir une partie du risque attaché à ces prêts sur leur bilan, la réforme oblige les prêteurs à être plus vigilants à la qualité des emprunteurs”, explique Michael Dorsch, professeur d’économie à l’American University of Paris.

Les banques d’affaires seront également freinées dans leur course aux investissements lucratifs mais risqués. D’une part, les nouvelles exigences en fonds propres à mettre en face d’activité de marché devraient rendre les investissements risqués moins attractifs puisque l’augmentation des fonds propres a pour effet mécanique de réduire leur rentabilité.

D’autre part, la réforme pose des limites au capital que les banques peuvent consacrer aux activités risquées, que ce soit l’investissement dans les hedge funds, le trading pour compte propre ou encore la spéculation sur les marchés dérivés. Concrètement il leur est interdit d’y investir plus de 3% de leurs fonds propres de première catégorie.

Plus de transparence

Nombre de produits dérivés qui s’échangent en gré à gré dans l’opacité la plus totale devront soit être standardisés et échangés sur des bourses publiques, soit passer par des chambres de compensation de manière à garantir suffisamment de collatéral en cas de défaut d’une partie. “C’est une des avancées les plus importantes de la réforme, car l’opacité de certains produits financiers complexes était un des facteurs déterminants dans la crise”, estime Herbert Kaufman, professeur d’économie à la Arizona State University.

Ce qui ne changera pas

Des mega-banques “too big to fail”.”La situation est encore plus dangereuse qu’avant la crise, avertit Michael Dorsch. Les banques savaient qu’elles étaient trop grosses pour que le gouvernement puisse les lâcher, ce qui posait un problème d’aléa moral.” Or aujourd’hui, depuis l’effondrement de certaines institutions, le paysage bancaire est encore plus concentré. “On est en présence de mastodontes bancaires que le gouvernement ne peut se permettre de laisser tomber.” En théorie, la FDIC doit pouvoir organiser la faillite d’un établissement à problème, mais, en pratique, c’est le Trésor qui avancerait les fonds. Car les banques ont réussi à faire supprimer in extremis une taxe qui aurait permis de lever 19 milliards de dollars pour garnir un fonds de liquidation.

Freddie Mac et Fannie Mae. Ces organismes parapublics de refinancement hypothécaire qui ont racheté la plus grosse partie des prêts subprime ont été renfloués à hauteur de 145 milliards de dollars. Et tant que le taux de chômage reste aussi élevé, la facture de Freddie Mac et Fannie Mae continue de grimper. Pourtant, rien n’est prévu dans le projet de loi pour les réformer.

Des régulateurs sans mordant. SEC, CFTC, Fed, FDIC, OCC… Alors que la multiplicité des autorités de régulation a souvent été désignée comme une des causes de leur manque de vigilance, seulement une seule a été supprimée, et deux ont été ajoutées, dont un organisme de protection des consommateurs de produits financiers au sein de la banque centrale (Fed). Les banques pourront continuer de “faire leur shopping” en choisissant la juridiction qui les arrange… Les régulateurs, et surtout la Fed, sont censés avoir plus de pouvoir, mais rien ne garantit qu’ils seront plus regardants sur l’activité des banques. “Le problème des “revolving doors” ( les portes tournantes) reste intact : les régulateurs qui recrutent des experts en finance sont obligés de chercher parmi les banquiers. Or ces derniers ont tendance à rester en contact avec le secteur privé, à être plutôt indulgents envers les banques et à ainsi s’assurer un bon poste dans la banque quand ils y retourneront quelques années plus tard.” Reste à voir donc, avec quelle ténacité le nouveau Conseil de surveillance de la stabilité financière se chargera d’identifier les sociétés financières géantes présentant un risque systémique et d’exiger des augmentations de fonds propres voire même le démantèlement à travers la FDIC…

Des failles, des délais, des exceptions…Contrairement à la loi Steagall-Glass adoptée en 1933 au lendemain de la Grande Dépression, “la Loi Dodd-Bill ne bouleversera pas le système, reconnaît Herbert Kaufman. Elle le répare et l’arrange petit à petit. C’est un pas dans le bon sens, mais ce n’est qu’un pas”. Pour Michael Dorsch, il s’agit d’ “une nouvelle couche de peinture sur un mur qui s’émiette”.

Les exemples de mesures adoucies par le lobby bancaire sont légion. Les banques doivent transférer les produits dérivés dans une filiale séparée… sauf les swaps de taux d’intérêt et de change. Elles ne peuvent plus investir dans des hedge fund, mais elles peuvent quand même y consacrer jusqu’à 3% de leurs fonds propres, et encore, cette limite ne s’appliquera que dans quelques années…Idem pour les nouvelles normes de fonds propres, qui ne devraient pas s’imposer de sitôt.

De fait, presque toutes les mesures ont été édulcorées. “Les Représentants sont en grande partie captifs des donations électorales et de l’influence du lobby bancaire, explique Michael Dorsch. Nous l’avons constaté au moment du vote pour le TARP, il y a eu une nette corrélation entre la somme d’argent donnée par les banques à l’élu et une forte tendance à voter “oui” au plan de sauvetage” Et l’emprise des lobbies n’est pas près de se desserrer : en début d’année, la Cour Suprême a levé la règle interdisant aux entreprises privées de puiser directement dans leur trésorerie pour financer des spots électoraux en faveur ou en défaveur d’un candidat.

Laura Raim

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