Carte blanche

Vos avoirs à l’étranger bientôt inutilisables ?

La loi organisant une régularisation fiscale et sociale prendra fin le 31 décembre 2023, soit dans un peu plus de sept mois. Et tous les fiscalistes du royaume se perdent en conjectures sur les solutions à conseiller et à mettre en œuvre à compter de cette date pour éviter un blocage de fait des avoirs détenus à l’étranger par des résidents fiscaux belges …

Les données du problème sont les suivantes. Jusqu’au 31 décembre 2023, tout contribuable belge peut introduire auprès d’un service particulier de l’administration fiscale, dénommé « point-contact régularisation », intégré au sein du service des décisions anticipées, une demande tendant à régulariser une situation fiscale problématique ou à réparer certains oublis. Ce que l’on appelle communément une « DLU quater », même si le terme n’est pas adéquat.

Pour être recevable, cette demande doit être spontanée, c’est-à-dire être introduite avant tout questionnement écrit de l’administration fiscale ou pénale au sujet des avoirs ou revenus problématiques. Le dossier doit être parfaitement documenté, et il convient tout d’abord d’établir les impôts dont l’établissement n’est pas encore prescrit. Ces impôts subiront leur régime normal, variable selon la nature des revenus auxquels ils se rapportent, majorés d’une pénalité de 25 points de base. Ainsi, un revenu soumis au précompte mobilier de 30 % subira une ponction de 55 %.

Reste le problème des capitaux prescrits. Pour ces derniers, la loi est claire : si le contribuable est capable de démontrer, preuves écrites et documents bancaires à l’appui, que tout ou partie de ces capitaux et les revenus qu’ils ont générés précédemment  ont toujours été déclarés et que les impôts y afférent ont été payés rubis sur l’ongle, pas de problème.

Malheureusement, cette situation est rarissime vu l’ancienneté de certains placements ou patrimoines et la disparition des pièces justificatives qui les concernent. Les banques ne gardent rien au-delà de 10 ans et les contribuables n’ont en règle générale rien conservé, leurs conseillers fiscaux ou bancaires de l’époque le leur ayant du reste souvent suggéré pour des raisons de discrétion faciles à comprendre.

Il en résulte, pour les contribuables concernés, une impossibilité matérielle de fournir les preuves exigées. Et dans cette hypothèse, qui représente une majorité stalinienne des cas rencontrés sur le terrain, la loi exige un prélèvement de 40 % des capitaux dont on ne peut démontrer, preuve à l’appui, la parfaite virginité fiscale. Et ce prélèvement n’est pas un choix, mais bien une obligation.

Immunité fiscale

La loi offre à celui qui introduit et mène à bonne fin une procédure de régularisation fiscale une immunité fiscale et pénale complète, laquelle s’étend à ceux qui ont participé à la détention et à la gestion des patrimoines. Et c’est là qu’entre en lice le gigantesque problème bancaire qui aboutit déjà, dans de nombreux cas, à une obligation de régularisation.

Terreur collective

En effet, pour les capitaux prescrits, l’administration fiscale ne peut plus rien faire. Mais les qualifications pénales qui peuvent se greffer sur ce type de situations, à savoir les infractions de fraude fiscale ordinaire ou grave, organisée ou non, les infractions de faux et d’usage de faux et surtout celle de blanchiment, semblent avoir créé chez les acteurs du monde bancaire une terreur collective et parfois irrationnelle en raison de l’absence de prescription et donc du risque de poursuites pour les auteurs, coauteurs ou complices de l’infraction. Au rang desquels se trouvent les banques et les banquiers qui accueilleraient ou auraient accueilli des fonds dont ils n’auraient pas chirurgicalement vérifié la parfaite virginité fiscale, dès leur origine.

Même si je ne partage pas leur position sur le sujet, pour des raisons techniques trop longues à détailler dans ces lignes, force est de constater que, sur le terrain, les services de compliance de l’ensemble des banques belges ont pris le pouvoir. Et ils sont à la fois les gardiens du temple et les protecteurs de la banque en matière de strict respect de la législation anti-blanchiment.

Ce qui, en soi, n’est guère critiquable.

Ces services pratiquent dès lors une politique de risque zéro aboutissant au refus de l’accueil de tous capitaux provenant de l’étranger, voire à leur blocage jusqu’à parfaite régularisation, assortie souvent de la rupture de toute relation future avec les clients concernés. Une DLU bis ou ter antérieure (ne portant pas sur les capitaux), l’ancienneté de la relation avec le client ou l’importance des patrimoines n’entrent pas en ligne de compte. La banque se protège, point à la ligne. Et elle ne se soucie nullement de ses clients, même anciens et fortunés.

La banque se protège, point à la ligne. Et elle ne se soucie nullement de ses clients, même anciens et fortunés.

N’en veuillez surtout pas à vos chargés de relations ou conseillers bancaires : ils ne sont pour rien dans l’adoption de ces décisions radicales qui leur sont imposées et les déplorent au moins autant que vous.

Par ailleurs, il est piquant de constater que les poursuites pénales dans ce type de situations sont très rares et que leur risque est plus potentiel que réel. Les différents parquets du royaume semblent être peu enclins à engager des poursuites sur des bases pénales très contestables et estimer avoir d’autres chats délinquants à fouetter.

On ne saurait le leur reprocher dans la mesure où ils dénoncent de longue date, à juste titre du reste, le manque criant de moyens dont ils disposent pour assumer les fonctions dont ils ont la charge. Le Juge Michel Claise, s’exprimant régulièrement à ce sujet avec la verve qu’on lui connaît, ne me contredira certainement pas sur ce point.

Et donc, si vous ou vos clients détenez des capitaux à l’étranger et que vous souhaitez les rapatrier pour les utiliser pour vous-mêmes ou, ce qui est très fréquent, les donner à vos enfants en vue de planifier votre succession, ou encore si vous vendez un immeuble à l’étranger et souhaitez rapatrier le produit de la vente, cela risque d’être mission impossible à compter du 1er janvier 2024 si les problèmes évoqués ci-avant se posent et qu’une régularisation fiscale n’est plus possible faute d’une législation adéquate. Le problème se pose déjà pour les droits de succession dans la mesure où les Régions, disposant du pouvoir législatif en la matière et ayant adhéré au système de régularisation fiscale pour ce qui les concernait, ne l’avaient fait que jusqu’au 31 décembre 2020.

Situations de blocage

Pour des raisons parfaitement inexplicables, aucune des trois régions n’a prolongé cet accord, de sorte que depuis le 1er janvier 2021, aucune demande de régularisation fiscale n’est recevable si elle porte sur des droits de succession ou d’autres impôts régionaux. Ce qui engendre déjà des situations de blocage sur le terrain, et que pour les résoudre, certains contribuables sont tentés de convertir leur situation d’héritiers distraits en celle de fraudeurs invétérés, puisque dans ce cas, une DLU quater est encore, quoique très provisoirement, recevable.

Nous sommes donc une fois de plus en présence d’une situation fiscale totalement surréaliste

Nous sommes donc une fois de plus en présence d’une situation fiscale totalement surréaliste où l’État belge privera à court terme les contribuables souhaitant volontairement se mettre en ordre du droit élémentaire de le faire, se privera lui-même en ces temps budgétairement difficiles de recettes fiscales se chiffrant annuellement en centaines de millions d’euros et privera les banques et les compagnies d’assurances belges de la possibilité d’accueillir des capitaux importants pouvant alimenter une économie qui en aurait pourtant bien besoin. Que notre merveilleux pays est parfois difficile à comprendre …

« Il faut taxer les riches ! »

Quoi qu’il en soit, il reste moins de sept mois à tout contribuable concerné pour évaluer objectivement sa situation ou celle qu’il laissera à ses héritiers en cas de décès, et nos législateurs fiscaux au niveau fédéral et régional disposent du même délai pour procéder à un examen de conscience et revoir leur position pour éviter cette situation absurde que rien ne justifie sauf peut-être une idéologie poujadiste relevant du marketing électoral dans sa version la plus vulgaire.

Et à ce propos, il est quand même délicieux de constater qu’à l’heure ou certains membres de la coalition gouvernementale qui a décidé de l’arrêt de la loi sur la régularisation fiscale ont fait du slogan « Il faut taxer les riches ! », comme s’ils ne l’étaient pas déjà assez, le leitmotiv de leur campagne électorale qui s’annonce, voilà qu’on refuse d’en taxer des milliers, alors qu’ils acceptent, volontairement ou contraints et forcés, de l’être.

Allez comprendre …

Thierry Litannie, avocat fiscaliste (lawtax.be)

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