Carte blanche

Consigne : “Il faut prendre la décision qui s’impose au niveau environnemental et pas celle voulue par l’industrie”

Ce mardi 6 février, le bureau d’étude RDC, spécialisé dans la résolution de problèmes environnementaux et la mise en place de stratégie de développement durable, présentait les conclusions de son étude sur les différents scénarios de consigne. Pour rappel, l’objectif de la consigne est de diminuer les déchets sauvages. Plus de 3 millions de canettes se retrouvent dans la nature chaque année. Cela n’est plus acceptable.

Globalement, deux solutions sont sur la table : la consigne classique telle qu’elle est pratiquée avec succès dans de nombreux pays depuis des années ou une consigne numérique qui n’existe nulle part ailleurs et n’a donc jamais été testée à grande échelle.

Au passage, notons que cette consigne numérique est défendue par Fost Plus et par les producteurs et distributeurs de boissons, alors qu’ils s’opposaient encore il y a peu de temps à toute forme de consigne.

Deux variantes de consigne numérique ont été présentées. La première (scénario S2) consiste en un code unique attribué à chaque canette ou bouteille que les consommateurs devront scanner via une application sur leur smartphone avant de placer la canette dans le sac bleu.  

La deuxième variante (scénario S3) lie ce même code unique à l’acheteur au moment de l’achat et le montant de la consigne payée sera reversé au consommateur après déconsignation automatique dans les centres de tri.

La variante S3 semblant avoir fait l’unanimité contre elle, concentrons-nous sur la variante S2. Ce système de consigne numérique semble simple mais sa première version proposée par Fost Plus et ayant servi de base à l’étude RDC, s’expose à d’innombrables risques de fraude. Il est en effet possible de récupérer l’argent de la consigne puis de jeter la canette ou bouteille dans la nature, ce qui va évidemment à l’encontre de l’objectif initial de réduction des déchets sauvages. Aussi, il est possible de récupérer la consigne sans même acheter la boisson.

Le sujet de la consigne en Wallonie est toujours baigné de brouillard et pendant ce temps les citoyens s’inquiètent, les canettes s’amoncellent dans les fossés et les bouteilles voguent vers la mer.

Régine Florent

C’est pourquoi la toute dernière version proposée par Fost Plus a été complexifiée. A présent, pour utiliser la consigne numérique vous devrez : installer une application, y encoder vos coordonnées bancaires, donner l’autorisation d’accès à vos coordonnées GPS et à la caméra. Ensuite, vous pourrez scanner vos canettes et bouteilles mais pour cela vous devrez d’abord scanner le code du sac bleu, être à proximité de ce sac bleu, ne pas avoir scanné et déposé trop de récipients dans ce sac bleu, et via un système d’intelligence artificielle vous devrez tenter de prouver que vous avez bien consommé le contenu de ce récipient avant d’en réclamer sa consigne. Si vous avez des enfants sans smartphone, vous devrez leur prêter le vôtre ou leur demander de stocker les récipients dans une zone d’attente que vous traiterez plus tard. Si vous n’avez pas de smartphone à la maison, vous ferez la demande pour obtenir une « scanette » à domicile. Pour cela vous paierez un prix à ce stade indéterminé. Si vous n’avez pas de wifi à la maison, vous devrez espérer capter le réseau mobile dans votre maison. Et si vous avez un souci avec la “scanette” ou l’application, vous n’aurez personne à qui vous adresser, cela n’étant pas estimé dans les coûts du système.

Vous n’avez pas lu l’entièreté du paragraphe précédent ? C’est normal, c’est compliqué.

Par contre, pour une consigne classique c’est facile : vous conservez les récipients consignés à part (et de ce fait vous aurez moins de sacs bleus à stocker). Puis vous déposez ces récipients au magasin en allant faire vos courses.

Certaines personnes affirment que la consigne numérique n’est pas plus difficile à utiliser que le self-scan des supermarchés. Eh bien justement, ce dernier demande l’accompagnement permanent de personnel physique et est sujet à la fraude. Pour la consigne numérique, c’est la même chose, sauf qu’il n’y aura personne à côté de vous pour vous aider si besoin, ni pour vérifier que vous mettez bien le récipient dans la poubelle.

La consigne numérique implique donc de mettre en place des solutions de contrôle complexes pour être efficace dans la lutte contre les déchets sauvages. Au final, la consigne numérique peut être efficace OU simple. Mais pas les deux.

Régine Florent

La consigne numérique implique donc de mettre en place des solutions de contrôle complexes pour être efficace dans la lutte contre les déchets sauvages. Au final, la consigne numérique peut être efficace OU simple. Mais pas les deux.

Assez étonnamment, l’étude RDC n’a pas pris en considération le risque de rejet de la consigne en raison de cette complexité. RDC a même fait le choix explicite de ne pas prendre en compte les désagréments de la consigne numérique pour la population belge ayant des compétences numériques limitées.

Et surtout, RDC présente son rapport basé sur la première version de la consigne numérique relativement simple mais inefficace, ce qui la rend favorite dans le classement basé sur le coût. Par ailleurs, RDC expose les solutions techniques récemment proposées sans préciser leur impact sur les coûts, ni l’impact sur l’acceptabilité du système par la population.

Aussi, l’étude sous-estime la problématique du recyclage « bottle to bottle » qui devrait être meilleur dans le cas de la consigne classique grâce à la séparation complète des flux de déchets, contrairement à la consigne numérique qui mélange les plastiques alimentaires et non alimentaires dans les sacs bleus avec une contamination de l’un vers l’autre. RDC affirme qu’un traitement chimique devrait permettre de résoudre le problème. Mais pourquoi s’infliger cela et à quel coût ?

De plus, il est dommage que l’étude ne prenne pas suffisamment en considération deux autres aspects environnementaux : d’abord, la pollution numérique énorme dans les scénarios numériques, surtout en cas d’usage d’intelligence artificielle pour lutter contre la fraude et ensuite la quantité de matières incinérées plus importantes car mal triées dans ces mêmes scénarios.

Assez bizarrement, l’étude détermine la supériorité des deux formes de consigne numérique sur base d’une analyse « coûts bénéfices » farfelue : on attribue un coût (entre 10 et 17 euros/heure) au temps passé à déconsigner les contenants. A-t-on jamais « monétisé » le temps passé à déconsigner un bac de bières ? Non, parce que cela se fait tranquillement en allant faire ses courses. Ce choix « éditorial » fait basculer l’analyse en faveur de la consigne digitale alors que tous les autres aspects (efficacité, accessibilité…) plaident en faveur de la consigne classique.

Par ailleurs, les auteurs de l’étude ignorent totalement le fait que les régions (Pays de Galles, Irlande, Angleterre) qui avaient envisagé une consigne numérique ont abandonné l’idée et se sont tournées vers la consigne classique.

Certains membres de la Commission ont naturellement posé des questions critiques et même mis en doute de nombreux aspects de l’étude. Mais, sans crier gare en fin d’audition, les représentants PS et MR ont réclamé de nouvelles auditions de la COPIDEC, de Fost Plus, de la Fevia et de l’Union des Villes et Communes.

Pourquoi de nouvelles auditions ? Pourquoi uniquement demander à réentendre les instances qui défendent la consigne numérique ? Tentative d’influencer le débat en faveur de l’industrie ? Volonté de jouer la montre et d’empêcher une prise de décision avant la fin de la législature ?

En tout cas le sujet de la consigne en Wallonie est toujours baigné de brouillard et pendant ce temps les citoyens s’inquiètent, les canettes s’amoncellent dans les fossés et les bouteilles voguent vers la mer.

Une carte blanche de Régine Florent, initiatrice de la pétition consigne présentée au parlement wallon

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