Paul Vacca
Quel avenir pour le casque Vision Pro d’Apple?
Le casque “spatial” présenté par Apple arrive bien après la bataille. Que vaudra le voyage? Vu le prix de la carte d’embarquement, il y a peu de chance que les privilégiés qui y prendront part se plaignent, au risque de passer pour des gogos…
Si Tim Cook, le CEO d’Apple, avait été un étudiant dans une business school et s’il avait présenté son Vision Pro en mémoire de fin d’année, nul doute qu’il se serait fait recaler. Ne lui a-t-on pas enseigné durant tout son cursus qu’il fallait: 1) être en avance, et idéalement parmi les premiers, sur un marché pour le préempter et distancer ses concurrents ; 2) définir une offre claire ; 3) proposer un prix compétitif par rapport à l’offre?
Or, le jury de professeurs n’aurait pas manqué de souligner que son projet de casque de réalité mixte déroge à ces trois dogmes marketing: 1) sa sortie est très en retard par rapport à la concurrence ; 2) l’offre reste très floue ; 3) le prix de vente proposé est totalement irréaliste! Ne se serait-il pas trompé d’un chiffre?
Ces professeurs n’auraient pas tort. D’abord, parce que le Vision Pro présenté début juin pour une sortie prévue en 2024 arrive bien après la bataille, après sept ans de réflexion et de débats internes. Rappelons qu’il existe déjà un nombre conséquent de casques de réalité mixte proposés par Sony, Microsoft, HTC et Meta qui en sera déjà à son Meta Quest 3 à l’automne.
Ensuite, parce que l’offre n’est pas limpide. Réalité augmentée et réalité virtuelle, le casque est tour à tour présenté comme un “ordinateur spatial qui mélange de manière transparente le contenu numérique et le monde physique” ou comme une “salle de cinéma personnelle avec un écran qui semble large de 30 mètres”. C’est vague. Et enfin, parce que le prix du casque semble totalement hors sol: sept fois plus cher au bas mot que ceux de la concurrence.
Apple entend se détacher du concept de métavers. D’où le chemin emprunté…
Pourtant, à peu de choses près, c’est la stratégie qui a plutôt bien réussi pour le Mac ou l’iPhone. Aucun des deux produits iconiques de la marque n’étaient des précurseurs et ils ont toujours été bien plus chers que la concurrence. Un retard à l’allumage assumé, car ces produits sont arrivés sur des marchés à maturité avec la volonté de les redéfinir à son avantage.
Ainsi, en 1984, le Macintosh précurseur l’iMac et du Mac a-t-il réimaginé la place de l’ordinateur personnel en “apprenant l’homme à l’ordinateur plutôt que faire de chaque personne un informaticien”. Pour l’iPhone en 2008, Apple était encore en retard mais redéfinissait l’approche de l’outil tel que l’avait défini BlackBerry et Nokia.
Bref, Apple s’est employé dans les deux cas à “ringardiser” les marchés sur lesquels il arrivait en leur insufflant de nouveaux paradigmes. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler ce que l’on a défini comme le “champ de distorsion de la réalité” concernant Steve Jobs, cette capacité hors norme qu’il avait de redéfinir l’espace autour de lui: un peu comme le ferait un casque de réalité mixte.
Or, c’est précisément ce que la firme de Cupertino entend faire aujourd’hui avec ce produit. Un mot nous interpelle tant il a brillé par son absence, jamais prononcé par Tim Cook: le mot “métavers”. C’est qu’Apple entend se détacher du concept même: cet improbable eldorado virtuel peuplé d’avatars, survendu par Mark Zuckerberg et déjà fortement démonétisé. D’où le chemin emprunté par Apple, aux contours flous pour l’instant, qui ne propose pas un paradis virtuel forcément déceptif, mais le “début d’un voyage”, comme l’a présenté Cook, arrimé par itérations à un espace familier, l’écosystème d’applications Apple.
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Alors que vaudra ce voyage? Et où mènera-t-il? Odyssée ou impasse? Trop tôt pour le dire. Mais pour l’heure, vu le prix de 3.459 dollars la carte d’embarquement, il y a peu de chance que les privilégiés qui y prendront part se plaignent, au risque de passer pour des gogos. Par la grâce de la dissonance cognitive, une autre distorsion de la réalité.
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