Paul Vacca
La discrétion, le nouveau bling-bling
Comme l’époque n’est pas à un paradoxe près, il est désormais de bon ton d’étaler sa discrétion sur les réseaux sociaux.
Dans le monde politique, on appelle dog whistle le langage codé ou suggestif utilisé dans les messages électoraux dans le but d’obtenir le soutien d’un groupe particulier sans trop se démasquer. Ainsi, un candidat de gauche qui évoquera dans son discours les “valeurs familiales” enverra un appel du pied à l’électorat chrétien sans toutefois s’aliéner ses partisans allergiques à la religion. Ce terme forgé en analogie aux “sifflets pour chiens” dont les ultrasons sont audibles pour la race canine mais pas pour les humains. Une métaphore, donc, pour les clins d’œil uniquement décelables par les intéressés.
Cette pratique ne se limite pas au monde politique. On la retrouve dans les discours en entreprise et sur les réseaux sociaux. Le bullshit fonctionnant, par exemple, essentiellement à base de dog whistle car sa nature étant plus de signaler que de signifier quelque chose. Il est assez logique aussi que le secteur du luxe (où la référence est reine) n’échappe pas à cette forme de suggestion élective.
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Pourtant, à première vue, il semble que le luxe verse plus dans le tape-à-l’œil que dans le clin d’œil. Logos ou monogrammes omniprésents, utilisation de matériaux et de couleurs flashy, la tendance semble être au loud luxury, le luxe tapageur. Après avoir inspiré au hip-hop l’esthétique bling-bling par l’étalage bruitiste des signes extérieurs de richesse, le luxe s’en inspire en retour.
Pourtant, au cœur de cet univers surchargé, on voit émerger des marques comme Loro Piana, The Row, Bottega Veneta, Toteme, Proenza Schouler, Jil Sander ou Savette… Et à quoi les remarque-t-on? Au fait, précisément, qu’elles ne cherchent pas à se faire remarquer. Elles incarnent une tendance appelée le quiet luxury qui se distingue par une approche minimaliste des matières, des lignes et des couleurs et parfois même une absence totale de logo. Un retour vers plus de modestie et de la discrétion?
En filigrane de cette discrétion affichée se niche une subtile arrogance: le super-élitisme.
Pas vraiment. Car si l’on peut traduire quiet luxury par “luxe discret” ou “luxe tranquille”, il serait erroné selon nous de lire dans cette tendance la recherche d’une forme d’intériorité, d’un retour à l’essentiel, d’un refus du statut social ou d’une forme apaisée et responsable de consommation face à la crise. Car le but du quiet luxury n’est pas la discrétion ni la tranquillité ; il vise au contraire à se faire remarquer en se démarquant du loud luxury. Il agit comme le dog whistle du “vrai” luxe.
Car en filigrane de cette discrétion affichée se niche une subtile arrogance: le super-élitisme de la stealth wealth, la richesse furtive, décelable uniquement par les plus aguerris. Pas étonnant que ce soit la série Succession (HBO) servie par l’arrogance shakespearienne et machiavélique de la famille Roy qui ait agi comme catalyseur de cette tendance actuelle à la “discrétion”. Le clan ultra-riche des Roy n’a pas assez de mépris pour cette “fausse” richesse qui s’étale. Comme dans l’épisode 1 de la saison 4 où un cabas Burberry avec son trop célèbre motif à carreaux débarque dans l’univers feutré d’une fête de famille, déclenchant un torrent de haine.
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Rien de nouveau évidemment: sous l’Ancien Régime déjà, la “vraie” richesse se gargarisait de sa discrétion et faisait du minimalisme l’expression de sa supériorité.
Ce qui semble neuf en revanche, c’est l’ampleur du phénomène qui recrute une foule d’adeptes sur TikTok ou Instagram, jusqu’en Chine où le hashtag #oldmoneystyle engrange des millions de vues. Et comme l’époque n’est pas à un paradoxe près, il est désormais de bon ton d’étaler sa discrétion sur les réseaux sociaux. Comme si la discrétion devenait le nouveau bling-bling, en somme.
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