Salon international de l’alimentation 2024: “Seuls les plus malins ont continué à innover et ce sont ceux qui s’en sortent le mieux”
Pour sa 60e édition, le Salon international de l’alimentation (Sial) a accueilli plus de 310.000 visiteurs, venus de plus de 200 pays, et 7.200 exposants. Véritable plateforme d’innovations, cet événement met l’accent sur les nouvelles tendances de l’industrie alimentaire. Émotion, lien et attention sont les trois tendances majeures que doivent saisir les industriels.
Finis la naturalité, les produits bios et autres steaks végétaux… Aujourd’hui, l’heure est à la gourmandise et au retour des goûts puissants, selon les dernières analyses de Protéines XTC, présentées au Salon international de l’alimentation à Paris.
“Nous avons assisté l’an dernier au redémarrage de l’innovation”, observe Xavier Terlet, directeur général de ce cabinet qui étudie les nouvelles tendances de l’agroalimentaire. “Nous réalisons cette étude barométrique depuis 1995 et c’est la première fois que je vois ça ! Entre 2021 et 2022, le nombre de nouveaux produits dans le monde a chuté de 12,7% avant de repartir à la hausse l’an dernier, avec une croissance de 3,9%.” La faute au covid et à l’inflation qui ont stoppé les ambitions des industriels en matière d’innovation. “Seuls les plus malins ont continué à innover et ce sont ceux qui s’en sortent le mieux aujourd’hui”, note Xavier Terlet.
Toujours marqués par les conséquences de la crise sanitaire et la baisse du pouvoir d’achat, les consommateurs cherchent davantage d’émotion, de lien et d’attention dans leur alimentation, souligne l’étude Sial Insight menée par Protéines XTC, Kantar et Circana. “Cela passe par davantage de plaisir et de goûts prononcés comme la truffe ou le safran”, précise le directeur de Protéines XTC. “Les consommateurs ont envie de se faire plaisir”, assure-t-il.
Selon le cabinet d’études, plus d’un nouveau produit alimentaire sur deux (52%) était lié au plaisir en 2023, contre 47% en 2022. Le meilleur exemple ? La glace au Nutella, lancée l’année dernière, qui a été le produit le plus plébiscité par les consommateurs. “Avec huit millions de chiffre d’affaires sur les trois premières périodes de l’année, contre trois millions pour le deuxième produit le plus acheté, c’est dire le décrochage”, évoque Xavier Terlet.
En progression dans les attentes (+5 points), le plaisir concerne aussi plus particulièrement l’Europe (53,6% des innovations contre 52,1% monde). “Les consommateurs ont vraiment cherché à optimiser leur façon d’acheter et de consommer pour éviter de devoir se priver”, observe Emily Mayer, directrice des études Circana. “Le maintien des petits plaisirs du quotidien est à ce titre très parlant : les bonbons, cookies, biscuits apéritifs, produits entre 2 et 3 euros, ont continué à progresser, alors même que la consommation globale baissait.”
Entre 2021 et 2022, le nombre de nouveaux produits dans le monde a chuté de 12,7% avant de repartir à la hausse l’an dernier, avec une croissance de 3,9%.
Xavier Terlet
Protéines XTC
Du traditionnel et de l’exotisme
À noter également un retour aux sources et au traditionnel. “On renoue avec son patrimoine culinaire et le tradi redevient trendy, que ce soit dans les plats ou les ingrédients, à la maison et au restaurant”, explique Emily Mayer. Ces plats sont retravaillés pour des raisons économiques et écologiques (céréales ou assimilées à l’instar du sarrasin par exemple). Ce retour au traditionnel fait le succès des recettes et des produits qui “racontent une histoire” et contribuent à la préservation des savoir-faire. “Le retour aux sources devient gage de qualité, et les marques commencent à rivaliser de relancements aux couleurs vintage (packaging et retour à la version originale des produits, ndlr)”, confirme-t-elle.
En parallèle de ce retour au traditionnel, l’étude note une attirance pour l’exotisme, devenu un des drivers actuels de la consommation. “Il y a une offre coréenne complètement démesurée, pointe Xavier Terlet. Il y a également un courant autour de la cuisine du Levant comme le Liban par exemple.” Ce qui se traduit en nouveaux produits, nouvelles recettes et des épices telles que le zaatar ou le sumac, méconnues jusque-là du grand public. En attestent les nouvelles barres de snacking au hummus de l’entreprise Grapeful déclinées au tahini et fleur d’oranger ou encore au dukkah et betterave. Celles-ci ont d’ailleurs été épinglées parmi les produits les plus innovants du Sial.
Du végétal sous une autre forme que le substitut
Pour autant, ces nouvelles tendances n’effacent pas celles qui avaient été relevées lors de la précédente édition, à savoir la santé et le végétal. “Je pense qu’avec le végétal, nous sommes sur une tendance de fond qui va durer. C’est quelque chose qui associe les dimensions plaisir et santé”, clame Audrey Ashworth, directrice du Sial. Le végétal est toujours présent, mais de manière beaucoup plus qualitative. Les industriels semblent avoir pris en compte l’aspect santé et proposent aujourd’hui des produits beaucoup moins transformés que précédemment.
“Le végétal va continuer de se développer, mais autrement qu’avec des substituts de viande ou de poisson”, confirme Xavier Terlet qui estime que les marques vont davantage se tourner vers des produits à base de légumineuses, riches en protéines. “Les véganes représentent 0,8% de la population et les végétariens, 2,5%. Tandis que la proportion de flexitariens (ceux qui décident de réduire leur consommation de protéines animales sans pour autant la stopper complètement, ndlr) s’élève à 40%. C’est à eux qu’il faut s’adresser”, ajoute-t-il.
Preuve en est que le grand gagnant des Sial innovation Awards est l’entreprise Sabarot, productrice de galettes végétales à base de légumineuses. “C’est un produit végétal, mais ce n’est plus un substitut”, note Xavier Terlet. “On est dans la praticité et l’aide culinaire plutôt que le tout fait, car les végétariens ou flexitariens sont en fait des gens qui cuisinent naturellement eux-mêmes.”
Pour autant, les substituts de viande ou de poissons vont-ils finir par disparaître du marché ? Pour les experts, il y a encore une place pour les substituts s’ils se développent intelligemment. “Il faut de la praticité. Par exemple, des filets de faux poulet pour une salade ou du fromage végétal en cubes.”
En termes d’alternative, le poisson semble être le nouveau dada des industriels : les filets de saumon 100% végé ou les faux sushis se multiplient. Il faut dire que les alternatives de poisson sont moins réglementées que les substituts de viandes. En France, ces derniers ne peuvent plus prendre le nom de steak ou burger par exemple. “C’est différent avec le poisson”, confirme Ava Farhang de la start-up Olala, qui produit des substituts de saumon, thon et tarama végétaux. “Les ressources en mer ne sont plus ce qu’elles étaient, les pêcheurs s’en rendent compte et ne nous voient pas comme une menace, mais plutôt comme une offre complémentaire.”
Produit “sans”
Même si l’on assiste au retour en force du plaisir, la recherche d’une alimentation saine reste une priorité pour le consommateur, attentif à ce qu’il mange et à ce qu’il donne à manger à ses enfants. Une santé qui passe aujourd’hui par la naturalité et l’absence d’ingrédients nocifs. Selon Kantar, 74% des personnes pensent que leur alimentation peut présenter un risque pour leur santé. Les consommateurs font dès lors plus attention aux listes d’ingrédients (44% disent avoir une attention marquée aux ingrédients, soit une augmentation de 7%), se tournent vers des produits peu transformés (72%), marquent leur préférence pour des produits locaux et de saison (53%).
“L’offre suit en rayons avec la généralisation du clean labelling (produits aux mentions “sans” ou le “sans pesticide” devenant même “sans résidus de pesticides”), la reformulation des recettes, la mise en avant de la traçabilité de la production, voire de nouveaux modèles d’agriculture, le bio ne faisant plus forcément recette”, note Xavier Terlet. Le directeur remarque même une personnalisation de l’offre avec, par exemple, le développement de produits ciblés pour les seniors ou les femmes enceintes. “On assiste à l’apparition en rayons de produits hyper ciblés, en fonction de l’âge, des modes de vie et des besoins, poursuit-il. C’est une offre individualisée et inclusive à la fois, qui s’appuie sur les dernières découvertes scientifiques concernant l’ADN ou le microbiote pour optimiser les performances de l’organisme.”
Enfin, dans le domaine de l’éthique (6,4 % des innovations mondiales l’an dernier), la rémunération des agriculteurs est certes un sujet émergent, mais n’est pas prioritaire pour les consommateurs tandis qu’en matière d’écologie, le levier d’innovation et l’enjeu pour les industriels dans les années à venir sera la décarbonation. Afin de diminuer leur empreinte carbone, les industriels ont de plus en plus recours à la science. Ils sont d’ailleurs nombreux à se lancer dans des projets ambitieux autour de l’intelligence artificielle et de la fermentation de précision. Parmi leurs ambitions, réussir à recréer une protéine animale, comme la caséine, sans avoir recours à l’animal. L’entreprise Bel fait figure de précurseur dans le domaine avec sa marque Nurishh, une nouvelle gamme de fromages végétaux.
“Pour le consommateur, les priorités sont dans l’ordre : le plaisir, la santé, la forme, la praticité et l’éthique, résume Xavier Terlet. Le consommateur porte une attention particulière à l’empreinte carbone globale du produit, mais il estime que c’est à l’industriel de faire le travail et de mieux rémunérer les autres maillons de la chaîne.”
Repéré au Sial
Voici les innovations que nous avons repérées au Sial 2024:
Le café aux champignons est une innovation récente, présentée comme une alternative saine au café. Celui-ci est deux fois moins riche en caféine qu’un café ordinaire. Il permet ainsi de profiter du café sans avoir à souffrir des effets indésirables liés à la caféine tels que l’agitation, la nervosité ou l’anxiété.
Le faux café au lupin de l’entreprise Lupi coffee a gagné le prix “Own the change” du Sial. Le produit est un nouveau substitut au café à base de graines de lupin torréfiées, avec un goût étonnant et une empreinte écologique imbattable. La culture de lupin permet en effet de régénérer et fertiliser les sols pauvres.
Sushi 2.0 de l’entreprise King Konjac est une alternative hypocalorique et riche en fibres au riz à sushi traditionnel. Au cœur de cette innovation se trouve la plante de konjac, nettement plus respectueuse de l’environnement que la culture du riz. Le konjac regorge de fibres solubles, ce qui le rend pratiquement sans calories et bon pour l’intestin.
Le Papondu est une alternative végétale aux œufs à base de féveroles, une légumineuse riche en protéines. Présenté sous forme de palets, il s’adapte à toutes les recettes et peut se cuisiner seul en omelette mais aussi dans les pâtisseries. Le produit est également meilleur pour la santé puisque sans cholestérol et riche en fibres.
Le Solmon, substitut de saumon d’Ocean Kiss, est une alternative végétale à base d’algues marines et de plantes. Riche en Oméga-3, protéines et fibres, ce produit est garanti sans pesticides, mercure et autres polluants marins. Il est également plus écologique puisqu’il permet de préserver la biodiversité de nos océans.
Marjan Decoster, acheteuse chez Delhaize, responsable charcuterie et fromages
“Je fais très attention au packaging, qui doit être lisible mais aussi durable”
TRENDS-TENDANCES. Qu’avez-vous pensé des producteurs belges sur le salon ?
MARJAN DECOSTER. En tant qu’acheteuse belge, je me concentre plutôt sur les producteurs étrangers que j’ai moins la chance de rencontrer dans mon travail de tous les jours. Dans ce genre de salon, les Belges sont d’ailleurs bien plus axés sur l’export, surtout en France qui est un des principaux marchés.
Quelles sont les innovations que vous avez repérées ?
Les produits plant based étaient un peu moins nombreux que les autres années, mais ils semblaient plus naturels. Les produits protéinés en revanche sont déclinés à toutes les sauces ! Que ce soit dans les boissons, les charcuteries ou les fromages au skyr par exemple. Il y a vraiment une tendance aux produits moins gras, mais plus protéinés. Le fonctionnel devient très mainstream.
Des produits vous ont-ils séduite ?
J’ai repéré l’entreprise Fungible qui propose un substitut de graisse à base de champignons hollandais qui réduit la teneur globale en graisse sans compromettre la texture et le goût. Les alternatives aux poissons, comme l’entreprise Ocean Kiss que l’on commercialise déjà chez Delhaize, sont aussi très intéressantes. C’est l’un des produits qui connaît la meilleure rotation en rayon.
Quels conseils donneriez-vous à un industriel qui se rend sur un salon pour la première fois et souhaite attirer les acheteurs ?
Soignez l’accueil et la présentation du produit sur son stand, c’est essentiel ! Il faut donner envie à l’acheteur de venir vous voir, car il y a des milliers de stands au Sial. Je fais personnellement très attention à l’innovation et au packaging, qui doit être lisible, mais aussi durable. C’est un critère très important pour les distributeurs, et cela en devient un pour les consommateurs.
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