Comment débloquer le marché immobilier ?

Coup de froid sur l’immobilier. Taux, crédits, prix, production de logements neufs, fiscalité : tous les éléments convergent actuellement pour effriter la confiance des acquéreurs et des investisseurs. Comment relancer la mécanique ? Il faudra un peu de temps mais voici quelques pistes.

Une machine immobilière qui tourne toujours plus au ralenti. Les étu­des, rapports et autres baromètres s’enchaînent en ce début d’année pour démontrer que l’année 2023 a connu un net coup d’arrêt. Quinze pour cent de transactions en moins par rapport à 2022 (soit 48.000 ventes). Un nombre de crédits hypothécaires qui n’a jamais été aussi faible en dix ans. Une production de logements neufs qui continue de patiner et des investisseurs qui ont déserté ce segment. Le constat est éloquent, même s’il faut tempérer quelque peu les cris d’orfraie de certains acteurs de l’immobilier. Le marché sort d’une période déraisonnée, marquée par quatre années exceptionnelles de 2019 à 2023 où les ventes ont explosé suite à des taux d’intérêt anormalement bas. Le recul actuel permet de retrouver les standards en vigueur en 2016 et avant. Période où personne ne se plaignait vraiment de la vitalité du marché… “Le retour de bâton auquel nous assistons est principalement lié à de multiples incertitudes qui ont généré une crise de confiance, pointe Eric Verlinden, co-CEO de Goddard-­Loyd. Des taux qui montent sans vraiment savoir jusqu’où, une inflation qui s’envole, des prix de matériaux qui explosent. Tous ces éléments, dont personne n’appréhendait vraiment la période de fin, ont poussé les candidats à l’achat, et surtout les investisseurs, à mettre leur projet sur pause.”

La crise de confiance envers un actif qui a toujours séduit les Belges ne sera-t-elle que passagère ou peut-elle s’inscrire dans la durée ? Il semble surtout que de nouveaux équilibres doivent se créer pour compenser les multiples déséquilibres traversés ces dernières années. Pour y parvenir, on a listé une série d’éléments qui pourraient relancer le marché immobilier.

1. Retrouver la confiance

“Le marché immobilier déteste l’incertitude, lance le notaire Renaud Grégoire. Or, nous sommes en plein dedans depuis 18 mois. Si demain, un message circulait en affirmant : “ne vous inquiétez pas, les taux ne baisseront pas en dessous de 3 %, vous n’allez pas faire de meilleures affai­res dans quelques mois’, je suis certain que cela rassurerait tout le monde et que le marché reprendrait.”

Or, tant les vendeurs que les acheteurs ne savent plus sur quel pied danser aujourd’hui. Les plus optimistes tablaient il y a quelques mois sur le fait qu’une éventuelle stabilisation des taux d’intérêt fin 2023 pouvait permettre de délimiter de nouvelles règles du jeu et de rassurer les indécis. Un contexte qui serait bien évidemment moins favorable qu’il y a deux ans. Mais des nouvelles conditions plus en phase avec la réalité, qu’il faudrait simplement digérer et accepter.

“On y est pres­que, poursuit Renaud Grégoire. Mais l’état d’esprit actuel reste influencé par ce qu’il s’est passé à la sortie des premiers confinements. Une période euphorique marquée par une manne d’argent importante venant des comptes d’épargne et des taux d’intérêt particulièrement bas. Cette situation a poussé les prix vers le haut de manière déraisonnée. La hausse des taux et des coûts de construction a déboussolé tout le monde. Aujourd’hui, cela se calme quelque peu. Si le coût d’un crédit est plus cher pour un acquéreur, le marché est aussi bien plus sain : il peut visiter et négocier le bien à sa guise. Les banques jouent le jeu, en prêtant encore régulièrement. Avec la baisse des taux et les coûts de matériaux qui se stabilisent voire diminuent dans certains cas, la petite étincelle pourrait revenir. Acquéreurs et investisseurs pourraient se satisfaire de ces nouvelles conditions de marché qui restent tout à fait correctes.”

Quand on observe les dernières analyses des notaires, on relève que ce sont surtout les investisseurs qui se sont retirés du marché (baissent de 35 % sur le neuf), les acquéreurs pour occupation propre ne fléchissant que légèrement. Or, les investisseurs représentent 40 à 50 % du marché neuf. “La baisse des taux pourrait les ramener sur le marché assez rapidement mais cette baisse de 35 % ne sera pas rattrapée pour autant en 2024”, précise Roel Helgers, économiste de marché chez Matexi.

2. Diminuer les taux d’intérêt

C’est un des principaux points de blocage du marché immobilier. Après avoir navigué entre mars 2018 et mars 2022 sous les 2 %, les taux d’intérêt ont quasiment triplé en 18 mois pour se rapprocher des 4 %, voire les dépasser dans certains cas. Une remontée qui a sonné le glas des investisseurs et qui a poussé les acquéreurs-occupants à s’interroger, tant leurs mensualités se sont envolées.

Le marché pourra reprendre sa marche en avant une fois que les acquéreurs et investisseurs auront fait leur deuil des taux allant de 1 à 2%.

“La bonne nouvelle, c’est que les taux hypothécaires ont à nouveau baissé fin 2023, lance Wouter Thierie, économiste chez ING. L’accessibilité devrait donc s’améliorer quelque peu dans les mois à venir. Le taux belge à 10 ans a déjà chuté depuis son pic de 3,6 % début octobre à 2,7 % début janvier. La combinaison d’une baisse de l’inflation et d’une détérioration des perspectives de croissance devrait inciter la BCE à réduire ses taux directeurs un peu plus rapidement que prévu cette année. Cela a entraîné une baisse des taux d’intérêt à long terme. Néanmoins, nous ne pensons pas que les taux hypothécaires baisseront encore fortement en 2024. Les taux à long terme ont déjà fortement anticipé les premières baisses de taux de la BCE.”

Le baromètre des taux d’intérêt de l’agence de conseil en crédit Immotheker-Finotheker affiche pour le moment un taux moyen de 3,23 % pour un prêt de 20 ans à taux fixe, avec une quotité maximum de 80%. “Un plafond semble avoir été atteint en novembre avec une chute de 0,5 % depuis lors”, confie-t-on chez Immotheker. Et Etienne de Callataÿ, chief economist d’Orcadia Asset Management, d’ajouter : “Une nouvelle hausse impor­tante des taux d’intérêt n’est pas à crain­dre. Mais l’espoir d’une chute brutale de ces taux d’intérêt paraît tout aussi ténue.”

D’après de nombreux observateurs, le marché immobilier pourra reprendre sa marche en avant une fois que les acquéreurs et investisseurs auront fait leur deuil des taux allant de 1 à 2%, situation qui était anormale et non une nouvelle norme. “Pour certains profils, il est aujourd’hui possible d’obtenir un taux à 2,8 voire 3 %, lance Eric Verlinden. Ce sont des conditions tout à fait acceptables et intéressantes. La baisse des taux va créer une communication positive et donner un coup de fouet sur le marché de l’investissement.”

3. Baisser les prix

La relance du marché immobilier peut-elle passer par une baisse des prix ? Si c’est ce qu’espèrent bon nombre de candidats-acquéreurs, ils risquent d’attendre bien longtemps. Reste qu’en matière de prix, on sait désormais qu’ils n’évoluent plus de manière uniforme. Les logements énergivores connaissant une décote alors que les logements rénovés pouvaient encore espérer une légère croissance.

“Je ne pense pas qu’une baisse des prix soit un élément capital pour relancer le marché, pointe Eric Verlinden. Ce n’est pas le principal facteur bloquant, d’autant que les salaires ont fortement augmenté ces deux dernières années. D’après nos analyses, la baisse a été quasi nulle l’an dernier : de +2 % à -5% en fonction des biens et des régions.” ING a relevé une hausse des prix de 3 % en 2023 et s’attend à une hausse de 1,5 % en 2024. Ce qui devrait représenter une baisse en termes réels vu que l’inflation devrait encore dépasser 3 %. “Les chances d’une remontée forte des prix immobiliers en 2024 nous sem­blent faibles, estime Wouter Thierie. A partir de 2025, on s’attend à ce que les prix de l’immobilier augmentent à nouveau de 3%. La diminution du nombre de permis de construire l’an dernier suggère que l’offre de biens immobiliers augmentera plus lentement dans les années à venir, tandis que le nombre de ménages continuera à croître régulièrement de 0,5% par an d’ici à 2030, selon le Bureau du Plan. Cela augmentera la pression sur le marché de l’immobilier et soutiendra les prix.”

Pour le marché neuf, le baromètre de la construction neuve établi par Matexi et Realo a relevé une stabilisation des prix pour le quatrième trimestre 2023. Une première depuis longtemps. La stabilisation des coûts de construction et la diminution de l’accessibilité au marché neuf entraînant ce plafonnement des prix. “Mais cette stabilisation des prix n’est probablement que provisoire”, tempère Fabrice Luyckx, spécialiste des données chez Realo. Et Etienne de Callataÿ d’ajouter : ” Il ne faut pas oublier que les prix en Belgique sont bien moins élastiques que dans d’autres pays européens. Ils montent moins vite et descendent moins vite. Ils res­tent également relativement abordables par rapport aux autres pays européens

Ce sont surtout les investisseurs qui se sont retirés du marché, le nombre d’acquéreurs pour occupation propre ne fléchissant que légèrement.

4. Octroyer davantage de permis

La Belgique doit faire face à un double défi: rénover son parc immobilier complètement obsolète tout en contrôlant les prix pour maintenir une certaine accessibilité. Les promoteurs défendent l’idée qu’une hausse de la production de logements neufs fera diminuer les prix et la pression sur l’immobilier. D’autres veu­lent axer la stratégie sur la réhabilitation du patrimoine existant. “Dans les deux cas, les particuliers ne pourront pas rénover à grande échelle ce parc immobilier, estime Olivier Carrette, le CEO de l’Upsi (Union professionnelle du secteur immobilier). Les acteurs de la cons­truction doivent être soutenus. Cela passe par une obtention des permis bien plus rapide. A Bruxelles, elle est, en moyenne de cinq ans et neuf mois pour les grands projets. En Wallonie, c’est quatre ans. Nous devons travailler à des solutions.”

Selon Roel Helgers, 11 % de permis en moins ont été délivrés sur les neuf premiers mois de l’année 2023. Ce qui aura d’indéniables répercussions sur le marché en 2024. “J’affirme depuis quelque temps, comme certains confrères, que le vrai frein actuel du marché immobilier, c’est moins la hausse des taux hypothécaires que les difficultés pour obtenir un permis, lance Eric Schartz, directeur d’Immobel Home. La raréfaction de l’offre de biens de qualité tire les prix vers le haut. C’est un problème que peu de politiques semblent relever. S’il y a bien évidemment la durée des procédures qui entre en compte de même que les recours, l’effet Nimby de la part des riverains et les doubles discours de certains élus et bourg­mestres posent aussi d’importants problèmes.”

5. Réformer la fiscalité

La fiscalité immobilière reste un monstre du Loch Ness en Wallonie et à Bruxelles. Des idées de réformes sont souvent avancées sans jamais se concrétiser. De quoi désormais introduire une véritable concurrence entre Régions, tant la fiscalité est bien plus avantageuse en Flandre.

“La fiscalité immobilière actuelle est à la fois bête et intelligente, estime Etienne de Callataÿ. Intelligente car taxer l’immobilier est une bonne chose d’après les économistes de l’OCDE. Ils estiment que c’est moins nocif que le travail. Bête dans sa conception car se baser sur les mutations (les déménagements, Ndlr) pour taxer n’est pas le bon moment. Il vaut mieux une taxation annuelle que basée sur les mutations. Une baisse des droits d’enregistrement permet d’avoir une plus grande mobilité résidentielle. Les droits élevés poussent à acheter une maison trop spacieuse et à surconsommer des mètres carrés plutôt que de déménager à deux ou trois reprises au cours d’une vie.” Et le notaire Renaud Grégoire d’ajouter : “Il serait surtout opportun de réfléchir à une fiscalité beaucoup plus adaptée aux primo-acquéreurs en Wallonie. La société a tout intérêt à favoriser l’accessibilité au logement. Etre propriétaire de son logement à l’âge de la pension permet d’être beaucoup plus serein. A ce titre, la formule de l’abattement des droits d’enregistrement appliquée à Bruxelles est très intéressante.”

De son côté, Eric Verlinden possède également quelques pistes fiscales pour relancer le marché immobilier : “Baisser la TVA du marché neuf serait une piste intéressante, tout en veillant à rencontrer les objectifs environnementaux décidés par l’Europe. Aligner la TVA (21%) sur les droits d’enregistrement (soit 12,5 % en Wallonie et à Bruxelles, Ndlr) sera de nature à rebooster le marché neuf. Je ne vois pas pourquoi il devrait être pénalisé vu les enjeux futurs. Par ailleurs, une clarification de la fiscalité sur les revenus locatifs serait la bienvenue. Il faut une décision positive et pérenne, dans un sens ou dans un autre. Mais il faut surtout une stabilité fiscale pour une dizaine d’années. Enfin, développer des solutions intelligentes pour faciliter l’accès à la propriété est essentiel. Avec, pourquoi pas, le financement à taux zéro de tous les travaux énergétiques.”

Les droits élevés poussent à acheter une maison trop spacieuse et à surconsommer des m2 plutôt que de déménager à deux ou trois reprises au cours d’une vie.” – Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management)

6. Baisser la TVA à 6 %

Le secteur de la construction et de la rénovation s’attend à une année 2024 compliquée, avec une baisse de la demande de nouveaux clients qui fait craindre un net ralentissement de l’activité. “Nous ne reviendrons pas à la situation d’avant 2022, lorsque emprunter de l’argent était presque gratuit, avec des taux d’intérêt extrêmement faibles, explique Niko Demeester, le CEO d’Embuild, l’association sectorielle de la construction. Il ne sert donc à rien d’attendre que les taux d’intérêt baissent. En même temps, les revenus des ménages continuent d’augmenter. Cela offre la sécurité nécessaire pour les options de remboursement. De plus, les prix de l’immobilier n’augmentent plus aussi rapidement qu’auparavant.”

Pour relancer l’activité, le secteur de la construction et de la rénovation mise sur les logements abordables et durables. Il estime donc qu’il est contre-productif que les projets de vente pour les démolitions-reconstructions ne puissent plus bénéficier de 6 % de TVA. “Le gouvernement doit revenir sur sa décision de maintenir le taux de TVA à 6 % pour les démolitions-­reconstructions uniquement pour les projets particuliers à partir de 2024, précise Niko Demeester. En effet, les grands projets sont nécessaires pour l’extension et la rénovation de notre parc de logements très vétuste. Les démolitions-reconstructions individuelles sont positives, mais elles sont loin d’être suffisantes pour répondre aux défis climatiques et démographiques.”

1 milliard de recettes 
en moins pour les Régions 
en 2023

Entre 2022 et 2023, les notaires ont recensé 38.000 ventes en moins en Belgique.
Une diminution qui se répartit bien différemment selon les Régions : 26.670 ventes en Flandre, 3.115 à Bruxelles et 7.944 en Wallonie.

Une chute qui aura des conséquences sur les finances régionales puisque, d’après nos calculs, c’est plus de 1 milliard de recettes en moins que ne percevront pas les Régions via les droits d’enregistrement. Soit 240 millions pour la Wallonie, 147 millions pour Bruxelles et 671 millions pour la Flandre. Précisons que nos calculs ne tiennent pas compte des éventuels abattements, en vigueur en Wallonie et à Bruxelles.

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