350 milliards pour les logements belges

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Permettre aux plus de 5 millions de logements du pays de réduire drastiquement les émissions de CO2 d’ici 2050 est un chantier gigantesque, qui prend déjà du retard.

Certains chiffres donnent le tournis. Selon le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, pour que notre parc de logements rencontre d’ici 2050 les exigences du “zéro émission”, il faudra investir 350 milliards d’euros. Nous n’allons pas entrer dans le débat sur les certifications mais pour rappel, les habitations wallonnes et flamandes devront présenter d’ici là un certificat de performance énergétique des bâtiments (PEB) avec un label A, et les bruxelloises au moins un label C+ (*).

“Les calculs sont très incertains, mais en supposant qu’il faille en moyenne 60.000 à 70.000 euros pour remettre à niveau un logement, et en tenant compte du fait qu’il y a environ 5 millions de logements à rénover, on arrive facilement à des montants qui frôlent les 350 milliards”, indique l’économiste de la BNB Geert Langenus. BNP Paribas Fortis confirme. Selon la banque, pour arriver au net zéro d’ici 2050, il faudrait environ 150 à 162 milliards en Flandre, 103 à 120 milliards en Wallonie et 31,5 milliards à Bruxelles. Il faudrait donc un véritable boom de l’investissement dans l’isolation des bâtiments si on veut atteindre les objectifs climatiques. Or on ne l’observe pas sur le terrain”, note Pierre Wunsch.

C’est que la situation depuis un an sur le front de l’inflation et des taux d’intérêt complique la donne. Depuis le deuxième trimestre de l’an dernier, on observe même, d’un trimestre à l’autre, une baisse des investissements dans l’immobilier résidentiel. Et la Banque nationale table sur la poursuite de cette décélération jusqu’à la fin de l’an prochain et sur une année 2025 pratiquement stable. Tout cela est corroboré par les enquêtes auprès des propriétaires. Selon un sondage réalisé pour BNP Paribas Fortis, un Belge sur deux n’a pas réalisé de rénovation ces cinq dernières années et n’a pas non plus l’intention d’en réaliser d’ici à 2028.

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“A l’heure actuelle, pour la Belgique, la production annuelle de logements neufs ou rénovés est de 60.000 unités par an. Soit un taux de renouvellement de 1% alors qu’il faudrait atteindre 3% pour être en phase avec les exigences des échéances 2030 et 2050!”, observe Valery Halloy, porte-parole de BNP Paribas Fortis.

“Faire le pari que les prix vont diminuer est un pari perdant.”

On comprend la réticence des propriétaires à passer à l’acte. D’abord parce qu’il y a une question de moyens. Comme le souligne Hugues Kempeneers, directeur général d’Embuild Wallonie, il y a un réel problème d’accessibilité au logement et à la rénovation. “Toute nouvelle législation, même si elle a des objectifs bénéfiques, induit une augmentation des coûts. Il faut donc bien réfléchir avant d’intégrer des législations qui seraient en avance par rapport aux ambitions européennes”, observe-t-il. Mais il y a aussi sans doute l’espoir d’une retombée des prix. “Il y a un message important à faire passer aux ménages: faire le pari que les prix vont diminuer est un pari perdant. Les prix des matériaux ne vont pas diminuer et ceux de la main-d’œuvre non plus.”

Les banques bougent…

Au niveau bancaire, des choses se mettent en place. Il y a d’abord les outils existants tels que le crédit à la consommation “rénovation” ou “rénovation énergétique”. Il y a aussi le crédit hypothécaire à but “rénovation ou transformation”. Et il y a la reprise d’encours qui permet, explique-t-on chez Febelfin, la fédération du secteur financier, de pouvoir contracter un nouveau crédit hypothécaire à but “rénovation ou transformation” à hauteur du montant en capital déjà remboursé sur les garanties constituées, sans frais de notaire supplémentaire.

“Dans ce contexte, le même secteur financier est demandeur de la prolongation de la durée de l’inscription hypothécaire de 30 à 40 ans afin de permettre la reprise d’encours sans engendrer des frais notariés supplémentaires”, ajoute l’association. D’autres solutions pourraient venir compléter les outils existants, poursuit-elle, comme “prolonger la durée maximale de financement à 60 mois pour les tranches comprises entre 3.701 et 10.000 euros des crédits à la consommation”.

“Pour les revenus les plus modestes, nous accordons maintenant un prêt à 30 ans.”

Le “crédit bullet”, avec remboursement des intérêts pendant la durée du crédit et du capital au terme, qui n’est aujourd’hui réservé qu’aux grands patrimoines, pourrait également être élargi pour financer la rénovation. “Cela permettrait aux personnes n’ayant pas la capacité de remboursement pour financer la rénovation de leur bien avec une mensualité complète (capital et intérêt) de contracter un financement avec un remboursement total du capital au terme du crédit”, précise Febelfin.

Les banques élargissent déjà leurs gammes de services et leurs tarifs en les verdissant. “Nous offrons une réduction de taux d’intérêt lorsque la performance énergétique des bâtiments ne dépasse pas les 150 kilowattheures au mètre carré par an”, explique Valery Halloy. Pour les revenus les plus modestes, nous accordons maintenant un prêt à 30 ans qui permet d’amortir le crédit à plus long terme”, ajoute-t-il.

Projet pilote

BNPP Fortis a également lancé en mars un projet pilote, permettant aux clients d’une dizaine d’agences de contacter une plateforme de 400 professionnels qui peuvent isoler, rénover une toiture, bref, améliorer la durabilité d’un logement. “Et avec le promoteur Matexi, nous avons lancé il y a quelques semaines Happynest. Cette joint-venture permet de louer une habitation avant de l’acheter en déduisant du montant de l’achat une partie des loyers du prix d’achat”, complète Valery Halloy.

Au niveau politique, ça bouge aussi. Prenons l’exemple wallon: “Ce gouvernement a beaucoup travaillé pour améliorer, simplifier et augmenter les primes et les prêts à taux zéro, note Eric Bierin, porte-parole de Philippe Henry, le ministre wallon du Climat, de l’Energie, de la Mobilité et des Infrastructures. L’étape imminente suivante est de s’accorder sur une vision stratégique de l’accompagnement des ménages.”

RENO+, le projet pilote pour accélérer la rénovation de logements privés en Wallonie, devrait par exemple lancer deux trains de travaux (des travaux de masse, à l’échelle d’une rue ou d’un quartier) d’ici la fin de l’année, souligne-t-on au cabinet du ministre.

Plus globalement, “les réponses se feront progressivement, sans doute sur plusieurs législatures. L’enjeu n’est pas de mobiliser tous les moyens maintenant mais d’accélérer le mouvement à tous les niveaux”, poursuit Eric Bierin. Dans la Région, l’alliance Emploi-Environnement devenue depuis deux ans l’Acer, (Alliance Climat Emploi Rénovation), qui réunit une centaine de parties prenantes (acteurs publics, secteur privé, secteur associatif), est en tout cas en effervescence: “Plus de 20 réunions en six mois, cela démontre la fébrilité du secteur et du sujet”, souligne Eric Bierin.

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