Un mois pour sauver Integrale
Les cinq semaines qui viennent décideront du sort d’Integrale, la compagnie d’assurance-vie liégeoise aux 170.000 clients, dernier leader belge de l’assurance-vie.
La compagnie d’assurance liégeoise Integrale devra-t-elle mettre la clé sous le paillasson? Parviendra-t-elle à se vendre? La décision a été reportée au 24 février par l’assemblée des actionnaires, au premier rang desquels on trouve Nethys avec 71% du capital. Les candidats acquéreurs sont priés de rendre une offre liante avant la fin de ce mois de janvier.
Ce dossier, qui évolue dans la mouvance de l’affaire Nethys, empoisonne tout le monde. Le monde politique liégeois, et particulièrement le PS, car il serait très malvenu de mettre en faillite un assureur détenu par les communes liégeoises et la province. Les actionnaires, et surtout Nethys/Ogeo (qui détiennent ensemble 90% du capital), qui risquent de perdre leur mise. Le régulateur financier parce qu’il s’agit de l’intérêt de 170.000 assurés, particuliers ou entreprises. Et le monde de l’assurance en général parce que la chute d’une compagnie qui emploie plus de 120 personnes et qui est dotée d’un bilan de 4 milliards d’euros n’est pas spécialement bonne pour l’image de la place financière belge.
Comment réaliser les promesses de rendement tenues aux assurés alors que leurs primes sont investies essentiellement dans des obligations d’Etat qui, au fil des ans, ont de moins en moins rapporté?
Dans le coma
Aujourd’hui, l’assureur est placé en coma artificiel: la Banque nationale (BNB), qui est le régulateur des assurances, a nommé un commissaire. Elle a temporairement suspendu la licence d’Integrale qui ne peut donc plus démarcher de nouveaux clients tant que son niveau de fonds propres (en langage technique, on parle de “capital de solvabilité requis”) est en dessous du minimum requis. Or, celui-ci évolue au gré des marchés, entre 66 et 120%, et personne ne veut renflouer le bateau.
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Sommé par la BNB de prendre des mesures, Integrale avait pourtant présenté dans le courant de l’an dernier deux plans de redressement. Mais pour remettre l’assureur à flot, une recapitalisation est nécessaire, de l’ordre de 300 millions au minimum, voire de plus de 500 millions si l’on veut que l’assureur affiche des niveaux de solvabilité comparables à ceux des autres grands assureurs du pays. Or, les actionnaires d’Integrale, qui y ont déjà injecté 400 millions d’euros depuis 2016, jettent l’éponge. “On peut les comprendre, observe un administrateur de l’assureur: la province et les communes actionnaires attendent un rendement régulier qui puisse alimenter leur budget. Un assureur-vie sous-capitalisé ne peut pas offrir un tel rendement régulier. En fait, ce fut une erreur pour ces pouvoirs publics d’avoir investi dans Integrale.”
Faute de plan accepté par le régulateur, Integrale a donc clôturé fin septembre dernier des comptes en discontinuité, comme si la société cessait l’activité. Ils font apparaître une perte de 354 millions d’euros qui tient compte de ce que l’assureur doit à ses clients pour honorer ses contrats jusqu’à l’échéance de ceux-ci. Le capital étant de 344 millions (dont 30 millions non encore libérés), les actionnaires ont donc tout perdu. Réunis toutefois en assemblée en décembre, ils ont décidé de ne pas encore s’avouer vaincus. Ils croient encore en la possibilité d’une reprise et, avec l’accord de la BNB, ont donné à Integrale jusqu’au 24 février de cette année pour poursuivre les négociations avec les candidats repreneurs.
Trois candidats
Ces derniers ne sont pas nombreux. Ethias, qui s’est défait péniblement de son assurance-vie, ne brûle pas d’y retourner ou, en tout cas, ne serait, dit-on, intéressé que par une petite partie de l’activité (le portefeuille de contrats Certiflex à destination des particuliers). Et encore, le groupe dirigé par Philippe Lallemand est bien décidé à monnayer une éventuelle intervention contre le déblocage de certains dossiers avec Nethys… Dans un entretien à La Libre Belgique, Philippe Lallemand les a précisés: rapprochement des filiales informatiques des deux groupes, reconduction du pacte d’actionnaires de l’aéroport de Liège, accès aux bases de données clients de Voo ou Resa, et rapprochement entre Ogeo Fund et Ethias Pension Fund.
Ageas a aussi été approché et son patron, Hans De Cuyper, a déclaré en novembre qu’il était prêt à travailler à une solution pour les détenteurs de polices. Mais pas plus.
Il ne resterait donc finalement que trois candidats repreneurs qui ont déposé des offres liantes pour le 31 janvier. Ainsi en a décidé le conseil d’administration qui s’est tenu la semaine dernière.
Il y a d’abord deux sociétés des Bermudes spécialistes de la gestion de portefeuille d’assurance en run off (c’est-à-dire en extinction): Monument Re et Athora. Elles ne sont pas inconnues chez nous. Monument Re a notamment acquis le portefeuille des comptes First d’Ethias. Athora a racheté les contrats “vie” de Generali Belgique. Et puis, il y a le fonds britannique River Rock fondé par Roland Berger (celui-là même qui a créé la firme de consultance qui porte son nom) et aujourd’hui piloté par l’ancien directeur du pôle banque d’affaires de la Société Générale, Michel Péretié. Une offre qui, elle, “maintiendrait Integrale comme une société opérationnelle”, note un administrateur. Mais d’autres aimeraient en savoir un peu plus sur l’origine des moyens financiers et la stratégie de ce fonds alternatif davantage spécialisé dans la gestion de portefeuilles obligataires que dans l’assurance-vie.
354 millions d’euros : la perte enregistrée par Integrale à la clôture des comptes en discontinuité.
Il ne faut toutefois pas trop se faire d’illusions. Ces investisseurs étrangers ne sont pas séduits par le marché liégeois de l’e-assurance. Ils sont plutôt intéressés par l’acquisition à bon marché d’une licence d’assurance permettant d’opérer au sein de l’Union européenne ainsi que par les DTA (deferred tax assets), des “latences fiscales”, estimées pour Intégrale à 200 millions d’euros, voire plus, et qui permettraient à un acquéreur de ne pas payer d’impôts sur ses bénéfices à hauteur de ces montants. Quoi qu’il en soit, ces acquéreurs potentiels ne devraient pas dépenser beaucoup plus qu’un euro pour racheter l’assureur liégeois et les actionnaires en seraient pour leurs frais.
L’arrêté royal de trop
Comment en est-on arrivé là? “Integrale, résume un administrateur, a été la victime de trois choses: une gouvernance déplorable, une stratégie mono-produit dans l’assurance-vie et l’arrivée de nouvelles règles de solvabilité plus sévères, Solvency II.” Certains y ajoutent un quatrième élément: un embellissement comptable, plus ou moins intentionnel. Ils estiment en effet que la valeur du portefeuille immobilier de l’assureur aurait été gonflée. Et puis, pour dégager quand même des bénéfices au risque d’hypothéquer le futur, Integrale aurait réalisé plusieurs ventes de son gros portefeuille (environ 800 millions d’euros) d’obligations portugaises, espagnoles et surtout italiennes. Des obligations anciennes qui offraient un joli coupon mais qui ont en partie été vendues pour réaliser des plus-values et afficher des bénéfices. “Integrale était connu sur le marché des obligations italiennes”, confirme un financier.
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Côté gouvernance en effet, le versement d’indemnités de 5,7 millions d’euros à ses directeurs (dont 4,5 millions au bénéfice du CEO de l’époque Diego Aquilina), sans en avoir averti pendant des mois le conseil d’administration, en a exaspéré plus d’un, dont Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale.
Ces indemnités étaient, comme celles versées à l’ancien management de Nethys, supposées retenir au sein du groupe un management qui aurait pu partir en raison du décret gouvernance de la Région wallonne instaurant un plafonnement des rémunérations. La Banque nationale, gendarme des assureurs, a retiré au printemps 2020 l’agrément du CEO et de deux autres administrateurs qui n’étaient plus considérés comme “fit and proper” (compétents et honnêtes). Diego Aquilina a donc été poussé vers la sortie en avril dernier.
Un métier qui n’est plus rentable
Les pratiques de certains membres du management n’ont certainement pas aidé mais la principale raison de la dégringolade d’Intégrale est que le groupe est actif dans un métier qui n’est plus rentable.
Déjà, être un assureur-vie par les temps qui courent n’est en général pas une sinécure: comment réaliser les promesses de rendement tenues aux assurés alors que leurs primes sont investies essentiellement dans des obligations d’Etat qui, au fil des ans, ont de moins en moins rapporté et affichent désormais des taux négatifs?
200 millions d’euros : le montant obtenu par Integrale après la vente de plusieurs biens immobliers en 2020.
Mais Integrale avait une difficulté supplémentaire: l’assureur s’était spécialisé dans les produits d’assurance groupe régis par l’arrêté royal 69. En gros, cette disposition permet aux assureurs d’imputer une grande partie de leurs frais généraux sur ces produits et, en échange, ils doivent verser aux bénéficiaires la quasi-totalité des bénéfices réalisés sur ces contrats. “Ce système avait son sens quand il avait été mis en place mais il est devenu totalement absurde”, commente un administrateur. En effet, plus de 70% de l’activité d’Integrale relevait de ces contrats d’assurance groupe, qui n’ont donc pas permis à l’assureur de se constituer des provisions en cas de période de vaches maigres. Integrale était donc désarmé lorsque les taux d’intérêt se sont mis à baisser. Dans le courant de l’an dernier, Integrale a certes tenté de changer la réglementation mais le gouvernement, alors en affaires courantes, n’en avait pas la compétence.
Et puis, la législation en matière de capital requis, Solvency II, n’a pas aidé non plus. Elle impose en effet de mobiliser pas mal de fonds propres au regard des investissements immobiliers. Or, Integrale avait constitué un vaste portefeuille immobilier qui compte encore pour plus de 20% de ses avoirs et qui mange donc une partie importante de ses fonds propres. C’est ce qui explique d’ailleurs que dans le courant de l’an dernier, Integrale a vendu à Cofinimmo quatre maisons de repos et un immeuble de bureaux lui permettant d’engranger près de 200 millions d’euros.
Reste une dernière question: les clients d’Integrale ont-ils du souci à se faire? “A moins d’hypothèses inimaginables, les bénéficiaires des contrats auront ce qui leur a été promis, y compris pour le futur”, répond un administrateur, qui ajoute: “ceux qui vont absorber les pertes seront les actionnaires, les détenteurs d’emprunts subordonnés contractés par Integrale et le fonds de garantie des assurances”.
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