“On veut encourager la création de nouvelles salles” : Cineville, l’abonnement cinéma qui explose les chiffres
Une coopérative entre différents cinémas bruxellois et wallons, avec un abonnement qui permet de se rendre dans 12 cinémas différents : voilà le concept de Cineville. En un an et demi d’existence, le projet a séduit 7.500 personnes, et la croissance s’accélère. Portrait.
Ce mois-ci, vous avez explosé tous les records!”, annonçait Cineville sur son compte Instagram à la fin de la semaine dernière. 1.000 abonnés en plus en janvier, soit une hausse de 16% du nombre total d’abonnés (après une multiplication par 2,5 sur 2023). 20.700 visites dans les salles, une hausse de 15% par rapport à décembre. Et un film, Poor Things de Yorgos Lanthimos, qui en deux semaines a dépassé les vues du plus populaire de 2023, Anatomie d’une chute de Justine Triet, resté en salle pendant des mois (et apparaît toujours à l’affiche), ajoute Thibaut Quirynen, coordinateur de la plateforme et responsable de Kinograph (intégré à Cineflagey).
“Et la tendance continue sur ce début de mois, on est presque à 7.500 abonnés, contre 7.200 à la fin janvier”, nous explique-t-il. “Un tiers environ du mois de janvier vient du pass cadeau (une offre proposée pour les fêtes, NDLR), et une bonne partie nous demandent déjà de poursuivre l’abonnement à leur nom.” Il pourrait y avoir un effet de “bonne résolution” aussi, comme dans les salles de sport, mais cette éventualité ne fait pas douter le coordinateur quant à la croissance à long terme.
Croissance du réseau
“La croissance dépend de l’offre de films”, sait-il, mais cela n’est pas tout. “C’est aussi une question de réseau de cinémas.” Et Cineville a l’ambition de grandir. Des discussions sont en cours avec le Plaza à Mons, par exemple, nous glisse-t-il. Mais la Flandre est aussi un objectif important. “Il y a beaucoup d’étudiants et de travailleurs, domiciliés en Flandre, qui vont au cinéma à Bruxelles avec leur abonnement. Il y a un potentiel énorme au nord du pays”, analyse Quirynen. Il y a aussi une offre de films qui n’existe pas, ou très peu, dans la partie francophone du pays, qui pourrait aussi attirer de nouveaux clients francophones désirant découvrir le cinéma néerlandophone.
Mais au-delà des salles obscures existantes, Cineville, avec sa base d’abonnés grandissante, souhaite aussi pouvoir encourager la création de nouvelles salles. “En Flandre il y a des projets de création de nouveaux cinémas indépendants. En Belgique francophone aussi : je sais qu’il y a un projet à Marcinelles, il y a en eu à Nivelles il y a quelques années… Donc on espère pouvoir encourager la création de cinémas de quartier ou de village, ou de petits complexes art et essai. On sait que c’est le cas aux Pays-Bas (lire plus bas, NDLR)”, raconte Quirynen.
Chiffres, transparence et big data
Ces annonces de la coopérative, pour le mois de janvier, sont quelque chose d’un peu inhabituel pour le marché du cinéma en Belgique. Contrairement à la France ou aux États-Unis, il n’existe pas de box office (mais il devrait voir le jour dans les mois à venir). Les seuls chiffres peuvent être les bilans annuels ou trimestriels des entreprises. Mais Cineville veut justement jouer la carte de la transparence.
Un élément qui peut également faire penser aux grandes plateformes. Netflix par exemple publie régulièrement les chiffres des produits les plus vus. Spotify permet aussi de compiler son “wrapped”, sorte de récapitulatif statistique des musiques écoutées sur l’année écoulée. Cineville n’est pas encore à ce niveau-là des data et du quantified self (“le moi quantifié”, tendance de collection de données numériques, par exemple pour le sport, la musique, les stades de football visités…). Mais l’esprit y est : à la fin de l’année, Cineville proposait aux usagers d’élire le top 5 des films de l’année, sur son site web – pour faire un classement général, mais aussi pour qu’ils puissent les partager sur les réseaux sociaux, par exemple.
La coopérative veut encore continuer son développement technologique, par exemple avec une app permettant la réservation de places. Quirynen sait en tout cas qu’il y a de l’engouement et des demandes pour de telles options parmi les usagers.
Cineville se veut aussi transparent sur les prix. “On a fixé un prix. C’est plus cher qu’UGC, mais c’est une volonté : on est pas là pour brader les prix. On s’est dit : ‘quel serait le juste prix pour rétribuer l’exploitant de la salle mais aussi le distributeur, le producteur et le créateur du film ?’ On s’est donc mis d’accord sur ce prix-là (21 euros par mois, ou 18 pour les jeunes, NDLR). C’est comme l’épicerie bio, si on veut : c’est plus cher, mais cette rémunération plus haute profite plus directement aux personnes impliquées dans la vie d’un film”, réfléchit l’exploitant.
Qu’est-ce que Cineville ?
Un peu d’histoire : d’où vient Cineville ? “La demande émanait des cinémas. Avec le covid, on réfléchissait à des manières pour faire revenir les spectateurs dans les salles. L’idée était déjà dans l’air avant, mais personne n’avait le temps de s’y consacrer vraiment… c’était donc le bon moment pour se décider”, remémore Quirynen.
Les quatre cinémas fondateurs, le Palace, les Galeries, Kinograph et le Vendôme à Bruxelles, ont d’abord lancé un sondage, pour tâter l’opinion du public. “On avait déjà un lien très fort avec notre public, cela s’est vu pendant le troisième confinement quand la culture a dû fermer mais que les cinémas indépendants sont restés ouverts en faisant de la désobéissance civile… La réponse au sondage a donc été hyper enthousiaste”, retrace le coordinateur.
En juin 2022, l’abonnement donnant accès à plusieurs cinémas bruxellois a donc vu le jour. D’autres salles ont rapidement rejoint le réseau : il y en a aujourd’hui sept à Bruxelles (les fondateurs ainsi que Nova, la Cinematek et Aventure), trois à Liège et un à Namur (le groupe des Grignoux) et un à Charleroi (Quai10).
Cineville est ainsi une coopérative belge, présidée par les cinémas membres. “Notre objet social est vraiment de favoriser la fréquentation des salles, de rajeunir le public et surtout de continuer à encourager la diversité de l’offre. L’âge médian est par exemple déjà de 31 ans”, explique Quirynen. Le système derrière, lui, vient des Pays-Bas, où Cineville est déjà une plateforme bien établie depuis 15 ans, avec près de 70 salles et 80.000 abonnés. Les Néerlandais gèrent aussi la logistique et tout ce qui est cartes et abonnements. L’équipe belge, composée de trois personnes, peut donc s’appuyer sur ce système et se concentrer sur d’autres missions, comme le marketing et la stratégie de croissance.
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