Salons de coiffure: l’euphorie pour le secteur pourrait être de courte durée (entretien)
Top départ pour les coiffeurs qui pourront rouvrir ce samedi 13 février, après trois mois et demi de fermeture. Pour le secteur, si le soulagement prédomine, l’heure n’est pas pour autant à la fête. “On craint que la reprise ne soit qu’un feu de paille”, nous dit Patrick Dumont, vice-président de la Fédération des coiffeurs de Belgique (Febelhair). Entretien.
Patrick Dumont, l’annonce de la réouverture des salons de coiffure vous satisfait-elle?
On le vit avec un certain soulagement, après avoir été fermés pendant trois mois et demi. Mais cette très longue période de confinement a aussi démontré que pas mal de Belges ont pris des dispositions pour se faire coiffer. On craint que la reprise extrêmement forte qu’on va connaître durant les quinze premiers jours ne soit qu’un feu de paille, pour finalement revivre ce qu’on a vécu au printemps.
Pour vous, ce feu vert à la réouverture arrive trop tard?
Ça arrive trop tard, oui. Trois mois et demi sans se faire coiffe, c’est trop long. Beaucoup de clients et coiffeurs ont exprimé leur avis à cet égard estimant que l’on pouvait se passer de certaines fonctions durant 600 jours, mais certainement pas 600 jours sans coiffeurs.
Vous compreniez tout de même les débats pour la réouverture du secteur?
Le gouvernement a publié une étude en décembre qui démontrait que les salons de coiffure pourraient être des clusters, de manière extrêmement importante en termes de contaminations. Cependant, cela n’avait jamais été constaté lors de la réouverture au printemps. Cette étude était en totale contradiction avec les statistiques que nous avions au sein du secteur.
Si ce dernier avait vraiment été cluster du virus, s’il y avait eu un taux de contamination au Covid dans les salons plus élevé que la normale, les instances syndicales et les organisations médicales auraient très certainement interpellé les organisations patronales pour assurer la sécurité des travailleurs, et à ce jour nous n’avons pas eu de retours négatifs.
Les protocoles très stricts pour la prise en charge des clients représentent-ils un manque à gagner conséquent?
Tout est “de trop” quand vous avez été fermés pendant trois mois et demi alors que vous aviez déjà été fermés deux mois au printemps. Avec seulement 1.500 euros d’indemnisations pour le moment, c’est clair que chaque mesure complémentaire est un obstacle. Cependant beaucoup d’entreprises préfèrent rouvrir même si c’est pour perdre 50% de leur chiffre d’affaires. Faute de grives, on mange des merles.
Vous ne rouvrez donc pas vraiment “avec plaisir”?
Disons que le plaisir n’est pas total. Ouvrir dans de telles conditions reste très difficile pour un grand nombre d’entreprises. Le client est obligé lui aussi de suivre des règles. Quant au coiffeur il ne peut très souvent pas exploiter ses installations dans leur totalité. Nous sommes obligés de recevoir uniquement sur rendez-vous avec un client maximum par 10 mètres carrés. Nous sommes aussi obligés de consacrer dix minutes entre chaque client pour désinfecter les installations. Cela empêche parfois de remettre tous les collaborateurs au travail et ce même si la demande est très forte pour les jours à venir. Nous ne pouvons travailler avec le rythme que celui que nous aurions souhaité. Selon la configuration du salon et de l’espace au sol disponible, de nombreux coiffeurs ne pourront accueillir le même nombre de clients, ce qui impactera la rentabilité.
Beaucoup d’entreprises préfèrent rouvrir même si c’est pour perdre 50% de leur chiffre d’affaires. Faute de grives, on mange des merles.
L’obligation d’installer un détecteur de C02 est un élément qui s’est encore ajouté dans la liste des dépenses. L’acquisition de cet appareil vous a causé des soucis?
Tous les salons ne peuvent pas assurer une ventilation permanente. Il fait jusqu’à -10°C dehors. En temps normal, on sait que dans un salon de coiffure, il est indispensable de ne pas avoir de courant d’air ainsi qu’une température stable pour l’oxydation des produits (pour les permanentes, par exemple). Tout dépend bien entendu de la configuration des lieux, mais si une aération permanente ne peut être assurée, il y aura lieu de se munir d’un détecteur de CO2.
Y a-t-il eu des confusions pour les coiffeurs dans l’achat de cet accessoire?
Malheureusement, on a vu beaucoup de coiffeurs se précipiter pour être prêts. Nous n’avions que 5 jours ouvrés pour se préparer, il faut le rappeler. Beaucoup ont acheté des détecteurs de monoxyde de carbone, mais il faut en réalité des détecteurs de dioxyde de carbone. D’autres ont acheté des purificateurs, mais ce n’est pas ce qui a été demandé. Il faut un appareil qui permette de contrôler la qualité de l’air, et non pas seulement qui la purifie. Cependant certains appareils nettement plus chers assurent les deux fonctions.
Une réouverture dans de telles conditions pose aussi la question de la rentabilité. Est-ce rentable?
Pour les grosses structures et ceux qui occupent du personnel non, ça n’est pas rentable de rouvrir. Mais c’est préférable que de devoir rester fermé avec une aide de 1.500 euros pour plus trois mois de fermeture. Une entreprise empêchée sur Bruxelles depuis le 1er novembre n’a perçu que 1.500 euros d’aide à ce jour, pas un cent de plus. Imaginez un coiffeur qui a un rez-de-chaussée commercial à la Rue Neuve, à Uccle, ou dans n’importe quel shopping. Son loyer et ses charges fixes sont déjà quatre fois plus élevés que cette aide de 1.500 euros. Elle est certes la bienvenue comme toutes les aides fédérales (droit passerelle) mais elles ne peuvent compenser les pertes encourues et couvrir les charges réellement payées.
Il serait plus que salutaire de laisser une période transitoire d’un ou deux ans avec une TVA réduite à 6%.
Quelles mesures de soutien supplémentaires réclamez-vous?
Il est indispensable de maintenir dans les mois à venir la possibilité pour les entreprises d’utiliser la procédure simplifiée pour la mise en chômage pour cas de force majeur Covid-19.
Nous ne saurons pas garantir l’emploi de tous, il est indispensable de donner les moyens utiles aux employeurs pour limiter la casse au maximum.
D’autre part, il serait plus que salutaire de laisser une période transitoire d’un ou deux ans avec une TVA réduite à 6%. Il s’agirait d’une bonne mesure, sur un moyen terme, qui donnerait une réelle bouffée d’oxygène. Celle-ci nous semble primordiale pour améliorer la marge brute des entreprises.
Comprenez-vous que certains experts s’inquiètent de la réouverture du secteur?
C’est délicat de s’exprimer sur cette question, mais à défaut d’avoir des études qui prouvent que nous avons été des clusters, je pars du principe qu’on ne l’a pas été. Très peu de travailleurs ont été contaminés entre le mois de mai et le mois d’octobre. Est-ce qu’on s’en félicite ? Oui, cela démontre que les mesures prises étaient suffisantes et efficaces. Nous devons à présent ajouter de nouvelles dispositions, ce n’est pas un choix, il nous faut choisir entre deux maux.
Vous y voyez une incohérence?
Notre protocole, bien que très strict, nous semble cohérent. Mais de manière générale bien des dispositions prises ou non prises restent à ce jour incomprises.
Les autres métiers de contact se disent discriminés de ne pas pouvoir ouvrir en même temps que les coiffeurs. Vous les soutenez?
Il serait inapproprié de se mettre en concurrence avec nos collègues. Le 18 décembre 2020, le Premier évoquait un déconfinement pour les métiers de contact. Le 05/02/2021, il fait une distinction entre ceux-ci. Ce changement de stratégie n’était pas annoncé et déçoit fortement ceux et celles qui attendaient de perspectives promises.
Quelle est la situation avec les barbiers?
Tout le secteur de la coiffure peut rouvrir mais il ne peut pas proposer un service de taille de barbe qui obligerait le client à devoir enlever son masque. Les barbiers peuvent donc ouvrir pour couper les cheveux, mais pas pour la taille des barbes, par ailleurs les coiffeurs à domicile ne peuvent reprendre leurs activités.
Vous vous attendez à un nombre important de faillites sur le plus long terme?
Le moratoire des faillites a été suspendu au 31 janvier. On n’a pas de chiffres concrets, mais si on veut une estimation du pourcentage d’entrepreneurs qui disent qu’ils vont déposer le bilan, je dirais entre 25 et 35%. Le moratoire des faillites empêche d’avoir des statistiques précises à ce jour.
Je pense qu’il va donc avoir un étalement. Le tsunami des faillites pourrait avoir lieu fin 2021, et dépendra principalement de l’évolution dans les mois à venir la pandémie.
Le tsunami des faillites aura certainement lieu fin 2021.
Des projets d’espaces de “coworking” pour coiffeurs commencent à naître. Le but étant de leur fournir un lieu de travail avec les meilleures conditions sanitaires. Que pensez-vous de ces initiatives?
Ce sont des initiatives qui ne sont sans doute pas mauvaises, mais je ne sais pas qui va être intéressé dans le cadre de cette pandémie, si ce n’est un coiffeur qui faisait du domicile (les coiffeurs à domicile ne sont toujours pas autorisés à reprendre, NDLR). En ce qui concerne les employeurs, ils ont leurs propres infrastructures, idem pour l’indépendant qui travaille seul et qui paye déjà un loyer pour son espace de travail.
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