Rik De Nolf: la position de Roularta est extrêmement robuste

Rik De Nolf © Image Globe

En 60 ans d’existence de Roularta Media Group, aucune crise économique n’avait fait sentir ses effets aussi longtemps, se souvient Rik De Nolf (64 ans). Le CEO n’en reste pas moins optimiste et croit fermement dans l’alchimie entre imprimé, radio-télévision et Internet.

Il y a de cela six décennies, Willy De Nolf abandonnait sa toge d’avocat pour faire son entrée dans une imprimerie/maison d’édition de Roulers, dont les deux premiers titres étaient De Roeselaarse Weekbode et Advertentie. Aujourd’hui, son fils Rik est à la tête d’un groupe de médias coté en Bourse qui a réalisé un chiffre d’affaires de 676 millions en 2013. En Belgique, Roularta édite Knack, Trends-Tendances, Sport/Foot Magazine, De Streekkrant, De Zondag et une flopée d’autres titres. Par le biais de sa participation dans Medialaan — avec notamment VTM et Q-music, cet acteur pèse également lourd dans le paysage radio-télévisuel flamand. En 2006, Roularta a fait main basse sur le Groupe Express-Expansion en France, avec les magazines homonymes et une panoplie de publications bien connues comme Maison Française, Côté Sud, etc.

C’est alors que la crise a frappé. “Nous n’avions encore jamais traversé de période aussi difficile”, affirme Rik De Nolf, qui a accompagné la croissance de Roularta depuis son plus jeune âge. “En Belgique, tout est revenu à la normale. Le chiffre d’affaires s’est stabilisé, et on note même une légère croissance pour cette année. Avant 2006, nous enregistrions des taux de croissance annuels de 10 à 15 %. De plus, beaucoup de choses ont changé, surtout sur le plan économique et technologique. Auparavant, notre chiffre d’affaires sur les magazines provenait pour trois quarts de la publicité, par exemple. Depuis deux ans, les revenus du marché des lecteurs ont pris le dessus.”

TRENDS-TENDANCES. Comment sortir de la crise ?

RIK DE NOLF. Notre force, c’est notre énorme portefeuille d’abonnés. Nous avons développé de nouvelles activités, notamment avec des extensions de gammes et l’organisation d’événements. Par le biais de nos médias et grâce au concours de certains partenaires, nous vendons aujourd’hui des livres, des films, de la musique, du design et des voyages. La première croisière Knack, fin juin, était consacrée aux îles britanniques. C’était une offre très intéressante pour nos lecteurs et elle a renforcé l’image du magazine. Le navire était exclusivement réservé aux lecteurs de Knack. Un programme spécial a favorisé l’ambiance et le dialogue avec et entre nos lecteurs. Nous organisons également des croisières pour L’Express, Point de Vue, Côté Ouest, Plus Magazine et le Krant van West-Vlaanderen.

Cet optimisme prudent s’applique-t-il aussi aux activités françaises ?

Malheureusement, le marché de la publicité et des lecteurs continue à se contracter en France. Nous sommes en pleine exécution du plan de restructuration de l’an dernier. Dans l’Hexagone, hélas, tout prend deux fois plus de temps. Il nous aura fallu beaucoup de temps pour en prendre la mesure. Les procédures sont du reste très fastidieuses. Ces problèmes persistants ont contraint Roularta à acter l’an dernier une dépréciation sur le goodwill de 45 millions d’euros, ce qui a engendré un résultat net négatif. Mais grâce à la diversification et aux corrections que nous avons apportées, nous reprenons le contrôle de la situation.

“Nous avons mal estimé l’impact de l’acquisition du Groupe Express-Expansion”, avez-vous déclaré récemment…

En 2006, nous n’avons absolument pas vu arriver la crise. Les marchés étaient euphoriques, l’argent était facile. Initialement, nous voulions financer l’investissement pour moitié par augmentation du capital. Nous avons changé d’avis et nous avons privilégié les dettes bancaires. A l’époque, c’était de bon aloi. Rétrospectivement, j’estime que ce fut certainement une erreur. Je le déplore. Lorsque notre chiffre d’affaires a baissé, nous avons été tout proches de rompre nos accords avec les banquiers et de devoir verser une amende. Pour respecter ces covenants, nous avons procédé à une augmentation de capital de 32 millions d’euros fin 2008. Elle s’est finalement avérée inutile, mais nous préférions jouer la carte de la sécurité.

Envisagez-vous une cession de certains actifs français ?

Nous recherchons des solutions au cas par cas et nous ferons ce qu’il y a de mieux pour les titres français et pour le groupe. Nous devons veiller à la santé de l’ensemble.

Après l’acquisition du groupe français, Roularta a beaucoup investi dans une nouvelle imprimerie à Roulers. Sa capacité est-elle suffisamment exploitée ?

L’imprimerie tourne nuit et jour, car nous imprimons non seulement des quotidiens, mais aussi des périodiques. Les activités d’impression sont suffisamment diversifiées : 30 % pour des tiers, souvent des magazines d’autres entreprises de médias, et 70 % pour nos propres publications. Les titres français accaparent à eux seuls 18 % de la capacité totale. Nous ne devrons pas procéder à de lourds investissements au cours des années à venir, la durée de vie de ces machines atteignant facilement 20 ans. Nous investissons constamment dans l’entretien et la modernisation des presses, afin d’accroître encore davantage la qualité de nos produits. Si nous procédons à des remplacements, c’est parce que des modèles plus performants sont mis sur le marché.”

Avez-vous l’intention de vous concentrer entièrement sur l’imprimé et de vendre votre participation de 50 % dans Medialaan ?

Non. La télévision et la radio font désormais partie intégrante de notre coeur de métier, nous n’avons pas cessé de renforcer notre position sur ces marchés ces derniers temps. La diversification est saine. Ces dernières années, nous avons connu des périodes où l’imprimé était en difficulté et où la télévision et la radio se portaient mieux, et des périodes où la situation inverse prévalait. La collaboration avec De Persgroep (qui possède l’autre moitié du capital, Ndlr) se passe également très bien.

A propos du Persgroep d’ailleurs, avez-vous déjà eu l’occasion de féliciter Christian Van Thillo pour l’acquisition de Mecom Group ?

Naturellement, c’est la moindre des choses (il rit). C’est un pas en avant fantastique pour De Persgroep, et sans doute à des conditions acceptables. On ne sait pas encore exactement ce qu’ils vont en faire, car le groupe comprend également des journaux danois. Mais ils acquièrent en tout cas une taille colossale aux Pays-Bas.

De Persgroep, qui pourrait tripler de taille, ne constitue-t-il pas peu à peu une menace pour Roularta ?

Roularta et De Persgroep ne sont pas concurrents directs dans beaucoup de domaines, sauf pour les budgets publicitaires naturellement. Nous sommes plutôt complémentaires. Dans l’imprimé, nous sommes surtout spécialisés dans les magazines et la presse gratuite, alors qu’eux sont surtout concentrés sur les quotidiens. C’est un autre métier.

Un métier que vous aimeriez apprendre.

Nous nous étions effectivement intéressés à Het Volk. Mais pas pour avoir un quotidien national. Nous voulions nous concentrer sur la Flandre-Occidentale. Finalement, l’aile chrétienne a préféré vendre à Corelio et, malheureusement, le titre a entre-temps disparu. En fait, c’était à prévoir. En tant que journal provincial avec 11 éditions hebdomadaires, notre Krant van West-Vlaanderen occupe en effet une position extrêmement robuste. Jusqu’à présent, cela n’a pas encore donné lieu à la création d’un quotidien, même si nous avons déjà un site web payant. Mais l’équipe du Krant van West- Vlaanderen tient à la formule actuelle et la gère parfaitement depuis des années.

Dans les conditions actuelles, la croissance doit surtout provenir des acquisitions dans l’imprimé. Vous intéressez-vous au dossier Sanoma Belgique (Flair, Humo, Story, Libelle) ?

Nous y sommes bien obligés.

A contrecoeur ?

Nous n’avons pas l’ambition de publier un paquet de périodiques du jour au lendemain. La mise en vente de Sanoma Belgique crée des opportunités. Nous allons étudier sérieusement le dossier. Nous avons déjà beaucoup d’expérience dans le journalisme de service et le lifestyle. Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’autres candidats.

Sanoma n’est pas le seul dossier qui bouleverse le paysage médiatique. L’entrée de Telenet dans De Vijver (Vier, Vijf) est-elle une mauvaise nouvelle pour Medialaan ?

Tant qu’elle ne crée pas de distorsion de marché, elle ne pose aucun problème. Les propriétaires des participations dans les chaînes n’ont guère d’importance. Mais Telenet est un opérateur dominant, avec une part de marché énorme. Il y a un risque que Telenet soit tenté d’abuser de sa position de force pour favoriser Vier et Vijf. Dans cette hypothèse, ce serait la guerre. Je pense que Telenet en est conscient. Les autorités chargées de la concurrence sont d’ailleurs déjà intervenues dans des dossiers beaucoup moins sensibles. Elles devraient également attirer l’attention du monde politique sur la situation.

Qu’attendez-vous de ce monde politique ?

Récemment, tous les grands éditeurs flamands ont transmis un dossier avec leurs aspirations aux négociateurs. Personnellement, je ne fais pas de politique. Ce que j’espère ? Moins de charges pour les entreprises. Le journal gratuit De Streekkrant, par exemple, est de plus en plus confronté à des taxes communales. Roularta est l’une des rares entreprises médias à devoir supporter ces taxes supplémentaires. Nous nous sentons un peu pris pour cible.

La presse gratuite est à l’origine de Roularta. Ce segment revêt-il toujours la même importance ?

Absolument. Les publications gratuites représentent un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros. Il n’y a pas que De Streekkrant : De Zondag et Steps sont venus s’y ajouter. Et nous continuons à innover. Nous pensons par exemple à des éditions sur papier brillant. Cela nous tient beaucoup à coeur. Depuis 60 ans, nous avons régulièrement des contacts avec des milliers de journaux locaux. Nous avons vu de nombreux petits annonceurs se transformer en véritables groupes d’entreprises.

Le défi consiste également à développer cette force sur Internet. Roularta vend des annonces sur les résultats des recherches Google depuis 2009. Google nous a même déjà décerné à deux reprises le Prix européen du meilleur service. Entre-temps, nous avons acquis une participation dans Proxistore, qui permet de publier des annonces géographiquement très ciblées sur les sites flamands, comme avec l’imprimé via De Streekkrant. Aujourd’hui, des clients nous demandent également de soutenir leur site, de fournir des lettres d’information et des pages Facebook. Cette approche full service en ligne est désormais hébergée collectivement sous la marque Digilocal. Son positionnement sur le marché est l’une de nos priorités pour les prochaines années.

La publicité reste-t-elle la principale source de revenus pour les sites d’information ?

Ce n’est déjà plus le cas. Nos sites belges d’information attirent 2 millions de visiteurs uniques par mois. Cela représente énormément de contacts qui apportent des revenus par la publicité, mais aussi — et en fait beaucoup plus — par le recrutement d’abonnés. Le site web nous procure énormément de données sur les abonnés potentiels et nous pouvons leur présenter une offre sur mesure. Nous ne cessons de progresser dans l’analyse de ces big data. Le recrutement grâce à et par Internet est devenu une piste importante, outre le démarchage habituel par la poste et le téléphone.

Il y a aussi des expériences avec des sites payants. En Belgique, avec le Krant van West-Vlaanderen et en France avec L’Express. En outre, nous proposons des versions numériques de tous nos magazines, comprises dans l’abonnement. Pour l’instant, les lecteurs digital only ne représentent qu’une part très modeste de notre chiffre d’affaires. Mais elle progresse et nous lancerons bientôt The Daily Trends, un quotidien numérique.

Marleen Vaesen, CEO de Greenyard Foods, siégeait au conseil d’administration de Roularta. Elle a préféré ne pas reconduire son mandat…

Au début de son mandat chez nous, Madame Vaesen était encore directrice du marketing chez Sara Lee (Douwe Egberts, Senseo, etc., Ndlr). En 2012, elle est devenue CEO de Greenyard Foods. Un poste difficilement compatible avec son mandat d’administrateur, d’autant qu’elle siégeait également au comité d’audit chez nous. Il arrivait régulièrement que ces réunions durent une journée entière.

Elle a été remplacée par Koenraad Dejonckheere, CEO de Gimv, réputé pour son expertise dans les opérations financières. Est-il arrivé en vue d’attirer du capital externe ?

Non. Il est là uniquement pour ses qualités personnelles et l’intérêt qu’il porte aux médias. Nous nous connaissons de longue date. Il est originaire de Roulers et nous siégeons notamment ensemble au conseil d’administration de l’hôpital du Sacré-Coeur. Grâce à ses contacts, je savais depuis longtemps qu’il serait un relais idéal.

Le baron Hugo Vandamme est président du conseil d’administration depuis 2002. Dans ses interviews, il ne cache pas qu’il vous voyait un jour occuper ce poste.

Je ne m’en préoccupe pas pour l’instant. Mon beau-fils Xavier Bouckaert est aujourd’hui directeur opérationnel et a repris de nombreux dossiers ces dernières années. Sans doute les choses évolueront-elles spontanément au cours des années à venir.

Il y a parfois des chocs de personnalités, avez-vous récemment déclaré au quotidien De Tijd.

(Il rit) C’est normal et c’est sain. Nous avons tout simplement des caractères différents. Mais nous nous entendons très bien.

Propos recueillis par STIJN FOCKEDEY ET CAMILLE VAN VYVE

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