Vendre, c’est aimer trois fois

Les meilleurs vendeurs sont ceux qui se révèlent réellement convaincus de l’impact positif qu’une vente peut avoir sur la vie de leurs clients. © Getty Images

Saviez-vous que la vente pourrait bien n’être que le simple transfert d’une émotion ressentie du vendeur à l’inconscient de l’acheteur? Une sorte de foi inébranlable qui repose sur trois piliers fondamentaux.

Les meilleurs livres sur la vente ne sont généralement pas écrits par les meilleurs vendeurs. La raison est simple: nombre de ces commerciaux d’exception sont incapables d’articuler les mécanismes qui sous-tendent leur propre succès. Le fardeau explicatif repose sur les épaules d’observateurs passionnés comme moi qui cherchent à décrypter la mécanique complexe de la vente. Le défi est de comprendre ce qui, dans le comportement instinctif et la posture naturelle de ces vendeurs, déclenche l’acte d’achat. C’est là que réside la frustration: nous tentons de formaliser des techniques en étudiant des individus qui, eux, n’en appliquent pas. Et je suis régulièrement témoin de phénomènes de vente inexplicables, comme si une sorte de magie opérait.

J’ai toujours été convaincu que certains vendeurs avaient à peine besoin d’ouvrir la bouche pour vendre. Cette idée a gagné en popularité ces dernières années, notamment grâce aux travaux de Kahneman/Tversky et Thaler/Sunstein en économie comportementale. En résumé, nos décisions, y compris d’achat, sont souvent guidées par des émotions qui déclenchent des prises de conscience et des actions. Le rôle fondamental d’une émotion, du latin “movere”, est précisément de nous inciter à agir, à nous mouvoir.

J’ai ensuite réalisé qu’une autre fonction cruciale de l’émotion résidait dans sa transmissibilité. Depuis environ 20 ans, nous savons que les neurones miroirs jouent un rôle clé dans la capture, la réplication et la contagion de l’état émotionnel d’autrui. En associant ces deux fonctions, une évidence m’est apparue: la vente pourrait bien être le simple transfert d’une émotion ressentie du vendeur à l’inconscient de l’acheteur, catalysant ainsi sa décision d’achat!

Jusqu’à présent, je considérais que les meilleurs vendeurs possédaient un “supplément d’âme”, une sorte de foi inébranlable et quasi inexplicable qui provoquait la posture adéquate et propice à la vente. Mû par cette nouvelle perspective centrée sur l’émotion, j’ai réalisé que cette foi reposait sur trois piliers fondamentaux.

1. Les meilleurs vendeurs aiment ce qu’ils vendent

Les meilleurs vendeurs sont des passionnés de ce qu’ils vendent. Plus que de simples ambassadeurs de leurs produits ou services, ils en sont les fervents défenseurs. Leur foi en ce qu’ils proposent va bien au-delà d’une simple appréciation: ils sont convaincus de l’impact positif que cela peut avoir sur la vie de leurs clients. Pour eux, chaque vente est une promesse de plaisir, d’épanouissement, de transformation. Leur fierté ne réside pas tant dans l’étiquette de la marque qu’ils représentent que dans les résultats tangibles, les contributions significatives et les effets avérés que leurs produits ou services peuvent apporter.

Un exemple concret: lorsque vous avez été émerveillé par un plat exquis ou captivé par un film poignant, vous savez à quel point il est facile de transmettre cette émotion à d’autres en évoquant à nouveau son souvenir (et en vous connectant à votre propre émotion). Pas besoin de maîtriser des techniques de persuasion complexes: votre enthousiasme naturel suffit à susciter l’intérêt, le désir, chez votre interlocuteur. Vous devenez en quelque sorte un vecteur d’émotion, incitant les autres à vivre l’expérience que vous avez trouvée si enrichissante.

Ces vendeurs d’exception, armés de leur conviction inébranlable, parviennent également à neutraliser leur “biais de négativité” qui pousse souvent leurs pairs à focaliser, voire à exagérer les aspects négatifs d’un produit ou d’un service, simplement parce que dans de rares cas, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Pour ces vendeurs, chaque interaction est une opportunité de dépasser les préjugés.

2. Les meilleurs vendeurs aiment ceux auxquels ils vendent

Nombre des vendeurs d’exception que j’ai pu rencontrer sont, au fond, des humanistes convaincus. Leur intérêt pour autrui n’est pas feint ; il est viscéral. Cette empathie intrinsèque se traduit par une approche de vente qui va bien au-delà de la simple transaction. Ils sont authentiquement à l’écoute, pleinement engagés dans le moment présent avec leur interlocuteur. Leur curiosité pour les autres n’est pas l’application d’une technique de vente mais plutôt l’expression d’un appétit sincère pour la complexité humaine.

Pour eux, chaque client est un livre ouvert, une énigme à résoudre. Et la clé pour déverrouiller ces mystères réside dans l’art de poser des questions, sans préjugés ni arrière-pensées. Leur objectif n’est pas de diriger la conversation mais de créer un espace où le client peut s’exprimer librement, se révéler. Et ainsi être véritablement compris. Bien sûr, en formation, nous tentons de reproduire cette empathie naturelle en enseignant des techniques. Cependant, il sera peut-être plus judicieux de commencer par raviver cette soif innée de comprendre l’autre afin que les comportements souhaités s’installent de manière authentique et spontanée.

3. Les meilleurs vendeurs s’aiment eux-mêmes

Ils ont une estime suffisamment solide pour confronter l’autre et cultivent donc un certain amour-propre. Loin de toute forme d’ “autophilie”, il s’agit d’une confiance robuste et ancrée qui leur permet d’oser influencer autrui. Cette confiance est cruciale car la vente est un exercice périlleux, semé d’embûches telles que le rejet, le refus, ou même l’indifférence, qui viennent heurter la moindre fragilité narcissique chez le vendeur (sentiment d’imposture, image négative de la profession, etc.).

Pour naviguer dans ces turbulences, il faut avoir le courage de mettre en avant ses propositions, de défendre ses prix et, surtout, de sortir de sa zone de confort pour permettre au client de s’extraire de la sienne. Ce courage n’est pas inné, il est le fruit d’un travail sur soi qui permet de dépasser ses propres peurs. Les grands vendeurs ne se laissent pas paralyser par l’autocritique. Ils agissent avec une détermination tranquille, mue par la conviction qu’ils peuvent apporter un changement positif dans la vie de leurs clients. Ils ne se contentent pas de vendre ; ils aspirent à transformer, à élever, à mobiliser. Lorsqu’un vendeur intègre ces trois fondamentaux, il vend naturellement, spontanément et avec une fluidité et une facilité qui nous paraissaient, jusqu’ici, presque inexplicables.

A l’inverse, dès qu’un de ces piliers fait défaut, les deux autres s’effondrent rapidement. Si vous vendez des produits que vous détestez, continuerez-vous à les proposer à des personnes que vous aimez? Ou serez-vous capable de vous apprécier vous-même encore longtemps? Si votre fragilité d’estime vous empêche de défendre vos prix, vos marges, arriverez-vous encore longtemps à apprécier ce que vous vendez, ou à aimer ceux auxquels vous finirez par reprocher de ne pas vous rémunérer assez? C’est une nouvelle approche qui commence par un sacré défi: réveiller chez les vendeurs les émotions clés qui leur permettront d’adopter instantanément les postures et les comportements que nous tentions jusqu’alors de leur faire imiter.

Difficile à cultiver? Peut-être! Mais ne vivrions-nous pas dans un monde meilleur si chaque vendeur s’engageait à ne vendre que des produits dans lesquels il croit à des personnes qu’il respecte en cultivant une image positive de lui-même? C’est pour cela que j’ai choisi comme mission de vie non pas d’enseigner la vente mais de la faire aimer.

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