“Le recrutement international est une vraie nécessité pour les entreprises belges”

Les études révèlent que le recrutement international est bénéfique pour l’économie belge. Anna Gaik, qui occupe le poste de General Manager Foreign Recruitment chez Accent, nous explique les défis associés à ce type de recrutement en Belgique.

Vous préférez parler de “recrutement international” plutôt que de “migration de main-d’œuvre” ou de “migration économique” expliquez-nous.

Chez Accent, nous voulons rester en dehors du débat politique et aborder le sujet à partir des informations purement basées sur l’économie et non sur l’aspect émotionnel.

En quoi le recrutement international est-il indispensable à notre économie ?

Le recrutement international représente un grand avantage pour les entreprises, qui créent ainsi une valeur économique ajoutée. Si une entreprise a besoin de travailleurs compétents et qu’elle ne les trouve pas en Belgique, elle cherchera toujours des solutions alternatives. En Belgique, il y a en ce moment environ 40.000 migrants sur le marché du travail et 11.000 demandeurs d’asile. Parmi ces 40.000 migrants, environ 8.000 viennent de l’extérieur de l’Europe. D’un autre côté, par le biais du détachement, cinq fois plus de talents internationaux affluent dans notre pays. On dénombre ainsi 200.000 personnes travaillant en Belgique sous contrat international. Les 40.000 migrants paient des impôts en Belgique, le second groupe sous contrat international n’en paie pas. Dans leur cas, tant les cotisations sociales que les impôts sont payés dans le pays d’où ils sont originaires. La Belgique se prive ainsi de milliards de revenus du travail. C’est pourquoi nous plaidons en faveur d’une migration de travail régulière afin de rééquilibrer la situation.

Quels sont les défis à relever dans le futur ?

Anna Gaik, General Manager Foreign Recruitment chez Accent

Le recrutement hors de nos frontières présente une réelle nécessité pour assurer notre prospérité et promouvoir notre économie dans les années à venir. Les chiffres démographiques sont tels qu’il n’y a qu’un nombre limité de personnes qui entrent sur le marché du travail par rapport à ceux qui partent à la retraite. La population en Europe est vieillissante avec de nombreux baby-boomers qui partent à la pension. Pour 100 personnes qui quittent le marché, seulement 80 y entrent.

Les chiffres ne mentent pas. Pas besoin d’être mathématicien pour savoir qu’il y a une pénurie structurelle très importante. L’autre point d’attention est la constatation que les jeunes ne sont pas assez motivés pour opter pour les emplois techniques ou plus physiques où règne également une forte pénurie.

Que proposez-vous de mettre en place pour combler les secteurs en pénurie?

Chez Accent, nous faisons quotidiennement l’expérience de la difficulté à pourvoir les postes vacants, par manque des compétences adéquates ou par manque de motivation des gens à faire ce travail. La Flandre compte pas moins de 241 métiers en pénurie. Ce sont des fonctions difficiles à pourvoir et pour lesquels le recrutement international s’impose. Par exemple, on ne trouve plus de chauffeurs de poids lourds. La Wallonie, grâce aux restrictions moins sévères, affiche une liste de “seulement” 68 professions pour lesquelles il est possible d’attirer des travailleurs de l’extérieur de l’UE via la procé dure simplifiée du permis unique (lire aussi l’encadré ci-dessous). Mais, il y  a seulement 29 métiers sur cette liste dans le nord du pays. Selon nous, cette liste devrait être considérablement élargie. Notre idée est partagée par la VOKA et le SERV (ndlr: Sociaal-Economische Raad van Vlaanderen, une institution en Flandre. En français: Conseil Économique et Social de Flandre).

Une différence doit être faite entre les listes de métiers en pénurie (241 en Flandre, 158 en Wallonie) et les listes de métiers en pénurie éligibles par le biais d’une procédure de permis unique (Flandre : 29, Wallonie : 68).

Que demandez-vous aux autorités politiques ?

La guerre des talents continue à faire rage. Nous rencontrons des difficultés opérationnelles à trouver de bons candidats en Belgique et à l’étranger. L’obstacle le plus important, c’est que nous ne disposons pas en Belgique d’un cadre législatif clair. Nous n’avons pas de stratégie cohérente, ni en Flandre, ni en Wallonie, ni à Bruxelles. Nous n’avons aucune vision claire sur la manière dont nos institutions veulent procéder, sur ce que nous allons faire pour attirer et valoriser ces talents internationaux. Parce que ce n’est pas à ces travailleurs à demander à venir chez nous, mais c’est nous qui leur demandons de venir, c’est une mentalité différente. A l’approche des élections, nous demandons un changement dans la législation pour que cela puisse être plus facile d’employer et d’attirer ces recrues internationales.

Il est également très important de rationaliser les procédures pour qu’elles soient plus rapides, plus simples, plus faciles pour tout le monde. Et enfin, je pense qu’il est primordial de réfléchir à la manière d’intégrer ces personnes et de s’assurer qu’elles se sentent bien accueillies et bienvenues dans notre société. Parce que le recrutement international peut être une solution très durable pour cette pénurie démographique si il est bien pris en charge et s’il a un cadre adéquat, et des attentes appropriées. Il est crucial que cela soit fait de la bonne manière.

A l’approche des élections, nous demandons un changement dans la législation pour que cela puisse être plus facile d’employer et d’attirer ces recrues internationales.

Anna Gaik, General Manager Foreign Recruitment chez Accent

Sur quoi faut-il travailler en particulier?

Le statut de travailleur migrant, par exemple, n’existe pas encore. Nous proposons de créer un statut distinct pour les travailleurs migrants, qui contiendrait à la fois des solutions fédérales (comme les impôts) et régionales (comme le logement).

Le permis unique peut-il aider à trouver les bons candidats ?

Oui, il peut aider mais la procédure du permis unique pour recruter en dehors de l’Union européenne est aussi très lourde et très longue. Cela peut même prendre plusieurs mois entre le moment où les candidats sont sélectionnés et le moment où ils peuvent enfin commencer à travailler. Cette lenteur peut être très frustrante pour les employeurs, et pour les employées à la recherche d’un job. Ce sont des domaines sur lesquels nous devrions travailler. La Belgique est un pays complexe, avec différentes responsabilités régionales et fédérales qui ne sont pas toujours harmonisées comme elles le devraient. Demander un permis unique, prend beaucoup de temps, principalement parce qu’il faut passer par deux autorités différentes, d’abord régionale, puis fédérale. La durée des procédures régionales varie énormément. En Flandre, une procédure pour les ouvriers dure actuellement environ 3 mois (ndlr : en Wallonie, la procédure peut parfois durer quelques semaines).

En Flandre, son obtention semble plus compliquée…

Il est possible de demander un permis unique en Flandre pour les fonctions où l’on rencontre de grandes difficultés à trouver des personnes compétentes. Sur la liste des métiers en pénurie éligibles par le biais de cette procédure, il y a 29 professions pour un taux de chômage de 3,3%. En Wallonie, cette liste compte 68 métiers, pour un taux de chômage de 8,2%. Étant donné que le taux de chômage en Flandre est inférieur à celui de la Wallonie, on peut logiquement supposer que la liste des métiers en pénurie dans le cadre de la procédure de permis unique soit plus longue. Or, c’est le contraire, ce qui n’est pas du tout logique.

Qu’est-ce que le permis unique en Belgique?

En Belgique, le “permis unique” fait référence à un type de permis de travail qui permet à un étranger de séjourner et de travailler légalement dans le pays pour une durée déterminée, en fonction de la nature du contrat de travail ou d’autres circonstances spécifiques. Ce permis unique combine à la fois l’autorisation de séjour et l’autorisation de travail en une seule procédure. Pour obtenir un permis unique, l’employeur doit démontrer qu’il ne peut pas trouver de travailleurs belges ou européens pour occuper le poste concerné.   

Les critères de refus, appliqués de manière plus stricte à partir du 1er mai prochain, entraîneront aussi une augmentation de la charge administrative pour les employeurs et des délais de traitement. Comparé à la Wallonie, ils seront encore plus longs pour la Région flamande qui fait déjà face à un arriéré important. Actuellement, dans le cas de travailleurs hautement qualifiés, la procédure prend, en moyenne dans son ensemble, quatre mois. Pour les personnes moyennement qualifiées, la procédure d’obtention du permis unique prend actuellement 7 mois.  Le traitement pour les travailleurs hautement qualifiés a récemment été réduit de manière drastique, ce qui est certainement une bonne évolution mais constitue une forme de discrimination par rapport aux travailleurs moyennement qualifiés. Cette situation doit être améliorée. C’est un vrai problème car cela bloque les entreprises dans leurs projets et développements.

Vous pointez aussi du doigt la migration clandestine…

Nous parlons surtout ici de la zone grise. Le “détachement international” est un système européen qui a son utilité mais qui est souvent utilisé dans l’illégalité. Le premier souci, et le plus important pour nous, c’est qu’il n’y a aucune possibilité de tracer les personnes qui travaillent dans ce système. Il y a très peu de contrôles des autorités. On a eu le cas Boréalis l’année dernière à Anvers. Des centaines de talents internationaux se sont alors retrouvés dans les circuits de l’emploi illégal. Ces personnes devaient en effet être correctement rémunérées, disposer de permis en bonne et due forme et être logées dans de bonnes conditions. Comme elles travaillaient pour des employeurs étrangers, il y avait très peu de contrôle. Si ces travailleurs avaient eu un contrat belge, on n’en serait probablement pas arrivé là.

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