Les métiers en pénurie, un mal belge ?
Il y a de nombreux métiers de pénurie en Belgique. La situation serait encore plus criante dans notre pays qu’ailleurs en Europe.
Camionneur, comptable et chef de cuisine : la liste des métiers en pénurie est longue. Le Forem en retient 92. “La liste des métiers en pénurie ne cesse de s’allonger. Est-il donc vraiment plus difficile de pourvoir les postes vacants ici qu’ailleurs ? Et pourquoi ?”, écrit Stijn Baert, professeur en économie du travail à l’Université de Gand, dans une analyse statistique sur X.
Oui, dit-il. Il semble bien s’agir d’un mal belge. “En Belgique, le marché du travail est beaucoup plus tendu que dans la plupart des autres pays de l’UE. La Flandre dispose d’un marché du travail plus tendu que Bruxelles et la Wallonie, mais pour ces régions, la situation est également supérieure à la moyenne. Dire que les demandeurs d’emploi wallons n’ont pas d’opportunités, c’est un non-sens”, explique Stijn Baert.
Le plus d’offres d’emplois en Europe
Qu’est-ce que cela représente en termes de chiffres ? L’expert se réfère en fait au ratio de postes qui ne sont pas pourvus, sur l’ensemble de postes existants sur le marché de l’emploi. En Belgique, ce taux est de 4,6%. Soit le deuxième le plus élevé d’Europe, après les Pays-Bas (4,7%). En d’autres mots, un poste sur 22 est actuellement à pourvoir, soit le double d’il y a dix ans. En Flandre, il est encore plus élevé et atteint 5,2%. En Wallonie, il est de 3,6% et de 4% à Bruxelles. La moyenne européenne est de 2,7%.
Baert ajoute cependant une nuance à ces chiffres : “L’embrasement de notre marché du travail ne doit pas être assimilé à ‘il y a beaucoup de nouvelles offres d’emploi’. En soi, cela est une bonne nouvelle : les entreprises travaillent et créent des emplois. Le problème est que ces emplois ne sont pas pourvus (et sont même retirés).”
Taux d’inactivité
Pour encore mieux situer ce problème belge des nombreux postes qui ne trouvent pas preneurs, il faut observer une autre facette du marché du travail : les personnes au chômage et les inactifs.
Malgré de très nombreuses offres d’emploi qui ne demandent aucune qualification ou expérience, le pourcentage de personnes au chômage depuis plus d’un an est très élevé. 48,2% en Belgique. En Flandre, il est de 32,5%, mais en Wallonie il est de 53,8% et même de 57,9% à Bruxelles. Une “raison importante de la pénurie en Belgique”, selon Stijn Baert.
A cela, il faut ajouter le taux d’inactivité, c’est-à-dire le nombre de personnes, en âge actif, qui ne se trouvent pas sur le marché du travail. Il s’agit de 1,3 million de personnes, ou 20,9% de la population active (contre 3,7% de chômeurs). C’est aussi une particularité belge : notre pays est tout en bas du classement européen en la matière, à la 23e place sur 27. “L’étang dans lequel les employeurs doivent pêcher est plus petit qu’ailleurs”, métaphorise Baert.
Belge, et pas wallonne ou bruxelloise, analyse-t-il encore : le taux d’inactivité en Flandre (18,3%) est, lui aussi, plus élevé que la moyenne européenne, ou qu’en France par exemple. Même s’il est encore plus élevé à Bruxelles (21,8%) et en Wallonie (25,3%).
Des opportunités manquées
Ce problème de postes qui ne trouvent pas preneurs ne devrait pas se résorber de sitôt, explique l’académicien. Au contraire : pour 100 personnes qui partent à la retraite, il n’y a que 80 diplômés qui débarquent sur le marché du travail.
Cela conduira, à terme, à des opportunités manquées pour l’économie, mais pas que. “Le danger est que nous passions d’un nombre record d’emplois vacants à un nombre record d’opportunités manquées. Pour les entreprises, mais aussi pour les familles où tout le monde n’a pas d’emploi. Et pour le gouvernement, qui ne parviendra pas à exploiter le potentiel des plans de relance, via des effets multiplicateurs”, en déduit Stijn.
Pour le gouvernement, c’est en effet une épine dans le pied. Il compte sur un taux d’activité de 80% pour équilibrer, à terme, ses finances publiques (en récolant plus de recettes fiscales via les salaires versés).
En conclusion : avec la relance post-pandémique, il y a eu de nombreuses pénuries de main d’œuvre, partout en Europe. Mais la Belgique est effectivement plus touchée que d’autres pays, pour des raisons qui lui sont spécifiques.
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