A l’infini, tous les prospects deviennent clients
Patience organisée plutôt qu’empressement lourdingue, voilà le secret pour conclure une vente. Ne brûlez pas vos cartouches trop vite: le temps est votre ami, à condition de ne pas se montrer trop insistant.
Tous les commerciaux que je rencontre sont à la recherche du “truc” magique qui fait signer à coup sûr! Et certains vont ressortir de formation armés d’une phrase miracle, d’une formulation géniale ou d’une petite tactique qui leur servira à transformer des “non” en “oui”. Ces astuces existent et certaines fonctionnent effectivement très bien. Mais ces ficelles occultent le vrai moteur de la vente et de la relation client: la persistance, la persévérance, la patience. Une statistique connue révèle que 80% des ventes se concrétisent après cinq contacts minimum avec une entreprise, tandis que seuls 5% des commerciaux tentent plus de quatre approches lorsqu’un prospect refuse ou ne donne pas suite. Et 48% des vendeurs abandonnent toute tentative dès le premier rejet!
La capacité à persévérer dans la démarche en dépit de l’adversité, voilà le véritable secret des meilleurs vendeurs. Arriver à être persistant sans devenir insistant. C’est entre ces deux notions qu’une grande confusion s’installe. Imaginez que vous abordiez la même personne dans un bar, dans la même heure, avec la même phrase cinq fois d’affilée: vous êtes insistant, voir rebutant. Il est probable que vous vous fassiez débarquer rapidement.
Pourtant, si vous approchiez la même personne dans cinq contextes différents sur une période de cinq mois avec un message original à chaque fois, vous verriez augmenter drastiquement vos chances de créer du lien avec elle. Dans les deux scénarios, il est seulement question de cinq contacts. La première posture est insistante, l’autre est persistante.
Biais d’exposition
C’est le tempo qui fait la différence. L’insistance est motivée uniquement par l’intérêt personnel. Le vendeur insistant pense à sa prime ou à la nécessité impérieuse de boucler son trimestre. Il trouve dans ces facteurs de stress l’énergie d’oser forcer sa chance et passe, hélas, à côté de la réalité de son client, ne respectant que son propre timing. La persistance tient compte du tempo de l’autre, de la maturité de ses besoins et de son désir de passer à l’acte. Cette posture est motivée par une vision long terme, par une forte capacité à différer sa gratification dans le temps et à comprendre les enjeux réels de l’autre.
Ainsi, les vendeurs les plus persistants vont considérer que les premiers échecs constituent simplement le début logique d’un long parcours et non la fin d’une opportunité. Leur préoccupation n’est pas de savoir “si” l’affaire se réalisera, mais plutôt de savoir “quand” elle se concrétisera et d’être présent au bon moment. Comme me le disait l’un d’entre eux: “A l’infini, tous les prospects deviennent clients!”. Tout est donc question de perspective!
Sans le savoir, ces commerciaux activent à leur échelle le “biais de simple exposition”, phénomène psychologique bien connu en publicité qui amène les individus à développer une préférence pour les choses auxquelles ils sont exposés de manière régulière et répétée. Comme souvent, ce biais puise sa source dans notre dynamique évolutionniste. Pendant des milliers d’années, notre survie a dépendu de notre capacité à éviter les menaces et à trouver des ressources. Un parfait inconnu qui vous bondirait dessus avec une proposition fracassante sera instinctivement catalogué comme une menace potentielle. Alors qu’une personne que vous croisez chaque jour sur votre chemin et qui se contenterait de signaler aimablement sa présence fera bientôt partie de votre zone de confiance et sera de facto en bien meilleure posture pour être perçue comme ressource au moment précis où vous en aurez besoin. Cela vous paraît très certainement logique à la lecture de ces lignes.
Nous avons créé des générations de vendeurs purement opportunistes, véritables usines à déchets commerciaux.
Pourtant, dans le quotidien des organisations commerciales, c’est exactement le contraire qui se produit, et pour cause: notre éducation et notre conception même du modèle commercial nous conduisent à privilégier l’insistance à la persistance. En théorie, notre système scolaire devrait nous pousser à cultiver notre persévérance. Mais le rythme des modèles d’évaluation, interrogations et examens nous amène à développer des attitudes de sprinteur et à rechercher les moyens de maximiser l’effort sur une durée courte pour un résultat fracassant: une période de blocus intense, une épreuve minutée, un résultat on/off, avec gratification et repos, etc.
Nos entreprises sont construites sur le même modèle: retours quantifiables à court terme, revues mensuelles, pilotage à la schlague et petits bâtons sur le tableau blanc hebdomadaire, etc. On veut du résultat. Beaucoup. Tout de suite. Ce faisant, nous avons créé des générations de commerciaux purement opportunistes à l’affût des affaires chaudes qui perpétuent la vision prédatrice de nos métiers.
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Hélas, ces vendeurs, pour quelques succès retentissants, deviennent de véritables usines à déchets commerciaux. Tous ces prospects et ces leads abordés agressivement une seule fois avec insistance, puis jetés ou abandonnés, avec pour certains un ressenti très négatif, parce qu’ils n’étaient pas “mûrs”, constituent une absurdité commerciale! D’une part, ces premiers contacts sont coûteux. De l’autre, ils ont été au moins fructueux sur un aspect: vendeur et client potentiel ayant déjà échangé, le plus dur est fait, ils ne sont plus tout à fait des inconnus l’un pour l’autre.
Créez un écosystème
Une fois n’est pas coutume, le digital va nous obliger à évoluer dans le bon sens. D’abord, la généralisation des CRM (customer relationship management) gardant en mémoire toutes les opérations entreprises vis-à-vis d’un prospect, sans limite de temps ni de personne, va permettre de piloter avec plus d’intelligence la maturation des prospects en rappelant régulièrement aux commerciaux d’entretenir ces liens ténus mais néanmoins existants, assistés par une stratégie marketing dédiée, pour en faire enfin une responsabilité partagée dans l’entreprise.
Ensuite, la présence incontournable des réseaux sociaux va obliger les vendeurs à prendre en compte la réalité du long terme des relations qu’ils créent. Vous le constatez tous les jours en allumant votre smartphone et en apercevant sur vos réseaux des nouvelles de personnes qui furent vos camarades d’école, vos copains de fac ou d’unité scoute, vos premiers collègues de boulot… Le digital multiplie la quantité de relations administrables et prolonge sans limite leur durée de vie. Bien traité, avec persistance, respect et bienveillance, un prospect peut entrer dans le réseau numérique d’un commercial, y rester indéfiniment et y recevoir de temps à autre de ses nouvelles.
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Non seulement ces occasions s’ajoutent au nombre de “contacts” statistiquement nécessaires pour fonder la confiance qui amènera à un achat mais, en plus, ces liens persistent indépendamment des postes occupés et des entreprises. Il devient de plus en plus fréquent qu’un prospect contacté et entretenu par un vendeur patient pour le compte d’un certain employeur finisse par lui accorder sa confiance, des mois ou des années plus tard alors qu’il travaille pour un autre!
Les commerciaux doivent absolument comprendre qu’il est désormais dans leur intérêt de travailler leurs prospects sur le long terme de façon à créer un écosystème commercial qui pourra les accompagner tout au long de leur vie professionnelle et constituer un capital économique personnel que les entreprises commencent déjà à considérer comme crucial dans leurs recrutements. L’avenir sourira aux vendeurs qui auront compris qu’à la différence d’une vente, on ne peut pas rater ou réussir une relation mais simplement la construire en cultivant patience et persistance. Alors, fidélisez vos prospects… jusqu’à l’infini et au-delà!
Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.
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