Marketing : quand le chasseur cache le cueilleur…

Les meilleurs éleveursne se contentent pas de servir et de fidéliser leurs clients, ils prospectent activement. © Getty Images

En vente, il existe une division traditionnelle des métiers, héritée des âges les plus reculés, qui oppose les chasseurs et les éleveurs…

La majorité des directions commerciales sont toujours en quête de bons profils de chasseurs, compétence réputée plus rare et plus précieuse que celle des éleveurs. Quoi de plus logique quand on s’intéresse de près aux qualités respectives demandées à ces deux profils.

Pour les chasseurs, focalisés sur la prospection de nouvelles opportunités chez de nouveaux clients, on recherche la persistance, la résistance à l’échec, un dynamisme qui flirte avec l’audace et parfois avec l’agressivité (bien qu’on s’en défende officiellement) et une grande autonomie organisationnelle. Aujourd’hui, on parle plus volontiers de SDR (sales development representatives) sur la phase initiale de vente (qualification et prise d’un premier rendez- vous), la transformation de l’essai jusqu’à la conclusion de l’affaire étant confiée à des chasseurs plus seniors, les AE (account executives).

Les éleveurs (AM, account managers et/ou CSM, customer success managers) ont pour mission de soigner le client et de faire croître sa consommation. Les qualités requises sont plus relationnelles, empathiques, perçues comme moins confrontantes que celles demandées aux hunters.

Turnover supérieur

Le turnover des chasseurs (25 à 30%) est bien plus important que celui des éleveurs (10 à 15%), preuve déduite que ce métier exigeant n’est pas fait pour tout le monde et que seuls les meilleurs survivent. Sauf que même ces meilleurs finissent quasiment tous par abandonner les fonctions de chasse lorsqu’on leur propose un poste de développement commercial.

De génération en génération, on se persuade ainsi chez les vendeurs que la chasse est surtout une mission ingrate qu’on refile aux juniors pour qu’ils se fassent les dents, avant de proposer à ceux qui auront fait leurs preuves une gestion plus long terme de leurs comptes clients. La prospection devient alors une tâche avilissante que les plus aguerris estiment dégradante et indigne de leur statut. Il est temps de tordre le cou à ce modèle viriliste qui occulte une réalité bien moins reluisante.

La prospection, c’est l’hygiène commerciale. Comme le brossage des dents

Il est évidemment nécessaire de chercher à acquérir de nouveaux comptes, ne fût-ce que pour compenser l’érosion naturelle du capital client des entreprises. Le taux d’attrition moyen (perte annuelle de clients) est de 15 à 20% en Europe occidentale (contre 10% aux Etats-Unis), ce qui signifie qu’une entreprise qui n’engrange pas entre 20 et 25% de clients supplémentaires par an fait virtuellement du surplace.

La prospection pour tous

La prospection, c’est l’hygiène commerciale. Comme le brossage des dents, ce n’est certes pas l’exercice quotidien le plus amusant, il est néanmoins indispensable à l’entretien d’une bonne santé et devient une routine dont les effets sont hautement profitables. Plutôt que déléguer cet effort à une poignée de jeunes prédateurs, il importe de responsabiliser et d’impliquer chaque membre d’une force commerciale dans l’effort de renouvellement des clients de l’entreprise. Tout le monde devrait savoir prospecter efficacement et y consacrer un peu de temps et d’énergie.

Mais il y a plus préoccupant: nous tenons en fait la lorgnette par le mauvais côté. Nous ne manquons pas d’excellents chasseurs, nous manquons d’abord surtout de vrais éleveurs! Le besoin chronique d’efforts violents de prospection provient d’un défaut de performance des farmers dont le vrai rôle n’est hélas pas assez bien expliqué et mis en valeur.

Dans l’ensemble, ces farmers prennent correctement soin de leurs portefeuilles clients. Ils se montrent disponibles pour leurs interlocuteurs habituels, sont réactifs à leurs demandes et font de leur mieux pour garantir à leurs clients un service à la hauteur de leurs attentes. Ils entretiennent un chiffre d’affaires actif. Sauf qu’entretenir et cultiver sont deux notions différentes. Entretenir, c’est prendre soin de l’existant, à périmètre fixe. En somme, c’est le minimum attendu de la part d’un commercial. Cultiver, c’est développer, provoquer plus d’occasions de faire grandir la relation, les opportunités.

Ni la chasse, ni la cueillette

La mission d’un farmer n’est donc pas de préserver un chiffre d’affaires, mais bien de l’étendre, de le doubler, le tripler, le décupler même! A côté des chasseurs, beaucoup d’éleveurs se contentent d’enregistrer les commandes, de les suivre jusqu’à terme en entretenant le niveau de relation client juste nécessaire et suffisant à l’exécution de cette fonction. Ils pensent cultiver mais se satisfont de faire du picking en attendant qu’une nouvelle demande soit mûre chez un client pour aller la recevoir. Ce faisant, ils ne réalisent pas qu’ils se comportent en simples cueilleurs et non pas en développeurs de business. Or, ce ne sont ni la chasse ni la cueillette qui ont sorti l’humanité de l’âge de pierre, mais bien les sciences agricoles! Nous avons progressé en décidant de faire plus et mieux à partir de ce que nous avions déjà, non pas en conservant simplement nos acquis.

La posture du business developper aujourd’hui nécessite un autre état d’esprit. Un farmer doit en réalité nourrir des ambitions bien plus grandes et des aspirations beaucoup plus fortes que son confrère hunter et chercher à faire grandir la coopération à chaque occasion, qu’il s’agisse de faire croître la part de marché interne de son entreprise chez son client, de détecter les signes avant-coureurs de futurs sujets de collaboration voire de déclencher lui-même ces nouvelles opportunités tout en permettant à son client de grandir, d’évoluer.

Il saisit toutes les possibilités pour étendre et solidifier ses relations dans les organisations clientes et se crée de véritables réseaux internes, de promoteurs, de champions, d’influenceurs, de décideurs, de sponsors, là où les simples cueilleurs se contentent d’avoir un ou deux acheteurs. Mieux encore, les développeurs de talent, grâce à leur écoute, leur position relationnelle, la fréquence et la pertinence de leurs interventions, fournissent des nouveaux leads à leur entreprise, en faisant jouer pleinement la carte de la fidélisation et de la recommandation. Ils transforment peu à peu leurs comptes en ambassades, à partir desquelles ils partent conquérir de nouveaux marchés. Là où la plupart se suffisent à exécuter aujourd’hui le job d’hier, les meilleurs farmers créent déjà les opportunités de demain. Ils ne se contentent pas de servir et de fidéliser leurs clients. Ils les prospectent, activement!

L’avenir aux développeurs

La question qui devrait obnubiler les commerciaux n’est plus de savoir s’ils ont bien géré le business actuel, la demande de leur client. Pour cause, à l’heure où sont écrites ces lignes, les premiers outils de CRM embarquant des IA de type ChatGPT émergent déjà et vont bientôt faire, seuls, la cueillette des demandes client.

Avec ces outils en main, l’avenir appartient désormais aux talentueux farmers-développeurs, véritables entrepreneurs de la relation commerciale qui démultiplieront leur capacité à cultiver leurs clients, à faire croître l’existant et à nourrir seuls toute l’entreprise en croissance perpétuelle, reléguant les autres métiers au second plan. La chasse pure deviendra peut-être un business-hobby, un rite initiatique commercial, noble et un brin désuet. Les cueilleurs qui restent, eux, se résigneront à devenir glaneurs… jusqu’à ce que les machines ne leur laissent plus rien à glaner.

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