Quel bien fait Odoo à la Belgique?

1 milliard Le chiffre d’affaires (en euros) qu’Odoo espère enregistrer d’ici 2027. © BELGA MAG/AFP via Getty Images
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Entrepreneurs techs, investisseurs belges, politiques : tout le monde se réjouit de l’opération financière qui a permis à Odoo d’être valorisée à cinq milliards d’euros. Mais le bien que fait Odoo à la Belgique dépasse son statut de quintuple licorne et les 1.200 employés belges à son bord.

Fierté des écosystèmes belges du business, de l’entrepreneuriat et de la tech depuis pas mal d’années, Odoo a franchi un nouveau palier à la suite d’une opération financière d’envergure. Plusieurs actionnaires, dont Noshaq et Wallonie Entreprendre, ont revendu une partie de leurs actions à quelques grands noms du business international : notamment CapitalG – le fonds d’Alphabet (maison mère de Google) – et Sequoia Capital. Cette opération évaluée à 500 millions d’euros fait valoir à Odoo pas moins de 5 licornes (une licorne étant une entreprise non cotée de la tech qui vaut un milliard, ndlr). Rien de totalement étonnant pour une société qui compte plus de 13 millions d’utilisateurs à travers le monde, et croît de plus de 40% chaque année. Avec l’objectif, selon Fabien Pinckaers, fondateur et principal actionnaire (56%), d’atteindre un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros en 2027 !

S’il ne s’agit pas d’une levée de fonds mais d’un “simple” d’un rachat d’actions, “c’est une reconnaissance du marché et un signal fort dont on est contents et fiers”, réagit Fabien Pinckaers. L’arrivée de ces nouveaux actionnaires prestigieux ne changera pas fondamentalement la donne du business d’Odoo. “On reste un nouvel entrant sur le marché, admet le patron et fondateur. Par défaut, les grosses boîtes vont vers SAP. Ce genre d’opération nous apporte de la visibilité et du crédit.”

1 milliardLe chiffre d’affaires (en euros) qu’Odoo espère enregistrer d’ici 2027.

Mais il n’y a pas que Fabien Pinckaers et ses 5.000 employés à travers le monde qui se réjouissent de cette nouvelle valorisation, la Belgique aussi profite, à un tas d’autres niveaux, de la folle ascension d’Odoo.

Un ancrage purement belge

L’entreprise revendique et cultive son ancrage noir-jaune-rouge. Lancée alors que Fabien Pinckaers était étudiant à Louvain-la-Neuve, Odoo a toujours conservé un siège social en Wallonie malgré des développements colossaux à l’international et 1.200 de ses 5.000 collaborateurs restent basés chez nous. Odoo a encore investi dans un nouveau bâtiment à Louvain-la-Neuve, en plus des deux fermes “historiques” de Grand-Rosière. Pour Fabien Pinckaers, c’est tout naturel : la Belgique compte de nombreux talents pour une entreprise en constante recherche d’ingénieurs et de développeurs de premier plan.

En effet, le produit est encore majoritairement développé dans notre pays. “La R&D, qui représente 20% de nos budgets, n’est faite quasiment qu’en Belgique, pour un produit qui touche l’ensemble du monde”, martèle Fabien Pinckaers. Si l’entreprise a aussi mis en place des équipes de développeurs en Inde, le cœur du développement technologique se trouve bel et bien dans le plat pays. Et s’il peine constamment à trouver assez de développeurs belges, Fabien Pinckaers attire ceux de l’étranger. “Ils représentent plus de 40% de nos engagements de développeurs en Belgique”, nous glissait le patron plus tôt cette année.

Un écosystème autour d’Odoo

La quintuple licorne belge s’est développée grâce à une solution open source, c’est-à-dire gratuite et ouverte à la communauté informatique. Si Odoo vend des licences pour sa suite logicielle, les PME ont généralement besoin d’aide pour l’implémentation de celle-ci. Et des tas de spécialistes informatiques se sont organisés pour proposer ces services. Idealis, Niboo, Nalios, etc., de plus en plus d’entreprises se sont formées autour d’Odoo pour gérer la mise en place de ces produits au sein des entreprises. Ce très large écosystème comprend des sociétés qui revendent les logiciels Odoo, font de l’intégration et proposent différents services autour des solutions commercialisées par la scale-up, certains nouant des relations contractuelles avec Odoo, et d’autres pas.

“On dénombre 330 sociétés qui emploient en moyenne 16 personnes pour bosser exclusivement sur Odoo”, calcule Fabien Pinckaers. Des petites entreprises partenaires mais aussi des grands groupes développent cette compétence Odoo pour l’ajouter à leurs services. Ainsi, par exemple, le groupe NSI qui emploie plus de 2.000 personnes, a expressément fait l’acquisition, cet été, de Nubeo pour doubler ses équipes Odoo.

À en croire les calculs de Fabien Pinckaers, en plus de ses équipes, au moins 5.000 personnes en Belgique travailleraient grâce à Odoo ou ses partenaires. “Au moins”, car ces chiffres ne concernent que les prestataires reconnus. À cela, il faut ajouter tous les développeurs informatiques avec lesquels la firme n’a aucun contact direct.

En plus de ses équipes, au moins 5.000 personnes en Belgique travailleraient grâce à Odoo ou ses partenaires.

Des affaires en Belgique

Odoo est désormais une entreprise d’envergure mondiale puisque ses logiciels sont aujourd’hui utilisés dans plus de 200 pays, de l’Inde aux États-Unis en passant par l’ensemble des pays d’Europe et d’Amérique du Sud. Son chiffre d’affaires devrait atteindre 650 millions d’euros dans les 12 prochains mois, d’après les estimations de l’entreprise elle-même.

Si la Belgique ne va pas générer ce chiffre à elle seule, Fabien Pinckaers insiste sur le fait que “38 millions d’euros de ventes sont réalisés en Belgique, ce à quoi il faut ajouter environ 125 millions d’euros de ventes à l’étranger mais facturés chez nous. Des ventes de licences majoritairement.”

Si 38 millions d’euros de ventes sont réalisés en Belgique, les 125 millions venus de l’étranger sont facturés chez nous.

De l’argent wallon… à réinvestir !

Odoo vaut cinq milliards d’euros. Sur les 10% d’actions qui ont été cédées aux nouveaux entrants, une partie vient des investisseurs wallons Noshaq et Wallonie Entreprendre. Une belle opération pour ces derniers, comme nous le confirme Olivier Vanderijst, patron de WE. Il s’agit même de la plus belle plus-value pour le fonds public qui avait déboursé plus de 10 millions pour détenir 8% de l’entreprise : “Odoo nous a permis de générer pas moins de 175 millions d’euros de pure plus-value”.

Autant d’argent qui, en théorie, pourra être réinvesti dans les entreprises (technologiques ou pas) wallonnes. Dans le meilleur des cas car, comme le souligne un observateur bien informé, “la Région demande toujours plus de dividendes, ce qui fait qu’une bonne partie de cet argent pourrait remonter sans être réinvesti”. Surtout que, d’après cette même source, “on dénombre malheureusement trop peu de dossiers techs en Wallonie, qui justifient de tels investissements”. D’autant que depuis le début de l’année, les gros investissements de Wallonie Entreprendre dans des start-up techs sont bien moins élevés que précédemment.

Un autre observateur avisé salue bien sûr la belle plus-value, tout en taclant cette sortie partielle de l’actionnariat d’Odoo : “Quelle idée de vendre des parts d’Odoo alors que la liste des investisseurs qui veulent entrer est gigantesque. Cela pourrait bien être une belle connerie (sic). Vendre aujourd’hui, c’est aussi perdre des millions d’euros potentiels vu que la valorisation d’Odoo ne devrait faire qu’augmenter.” Reste que les investisseurs ont aussi besoin de cash…

Fabien Pinckaers, CEO d’Odoo : “On dénombre 330 sociétés qui emploient en moyenne 16 personnes pour bosser exclusivement sur Odoo.” © Anthony Dehez

“Role model” mais pas de mafia

Dans l’écosystème de la tech, les entrepreneurs observent Odoo avec beaucoup d’admiration. “C’est hyper-positif qu’un entrepreneur comme Fabien Pinckaers réussisse alors que tout est créé en Belgique, en Wallonie, en partant de rien, se réjouit Philippe Van Ophem, serial entrepreneur de la tech. Il doit servir de role model“.

Même son de cloche du côté de Sébastien Deletaille, serial entrepreneur à la tête de la start-up Rosa : “Ce que Fabien réalise est incroyable et inspirant. Gagner de l’argent dans l’open source est particulièrement compliqué. C’est donc une sacrée prouesse. Il entrera dans l’histoire des plus grands entrepreneurs belges. C’est indéniable.”

Certains regrettent cependant l’absence du CEO et son manque d’implication personnelle dans l’écosystème de la tech, dans les événements et surtout l’absence de “mafia Odoo”. Dans ce contexte, le terme mafia désigne la création d’un réseau d’entrepreneurs et de start-up nés de l’entreprise. C’est-à-dire des personnes qui partent développer une start-up grâce à leur apprentissage au sein de la boîte. Cette notion s’observe pas mal en Flandre (les mafias nées de Netlog ou Showpad) et à Bruxelles (mafia Skynet, mafia Riaktr). C’est à ce stade moins le cas autour d’Odoo. “Il n’y a pas, au sein d’Odoo, d’esprit spin-off, nous glisse un observateur. Sans doute parce que Fabien Pinckaers ne cherche pas non plus à engager des profils de jeunes entrepreneurs fondateurs, mais plutôt de bons profils d’employés.”

Placer la Belgique sur la carte ?

Ravi de l’énorme plus-value déjà acquise pour les investisseurs wallons, Olivier Vanderijst, patron de Wallonie Entreprendre, souligne aussi la qualité des investisseurs internationaux attirés par Odoo. Pour lui, cela n’a rien d’anodin et se révèle hyper positif pour l’écosystème belge. “La qualité des investisseurs entrants ne peut qu’être bénéfique pour le rayonnement de l’entreprise mais aussi pour la Belgique et la Wallonie.”

Ces investisseurs pourraient bien être intéressés de mettre de l’argent dans d’autres sociétés du sud du pays. Olivier Vanderijst fait, à ce titre, remarquer qu’une autre entreprise wallonne, CluePoints, spécialiste du contrôle des essais cliniques par le numérique, a aussi pu compter sur Summit Partners, comme Odoo. “C’est vrai, mais en même temps très théorique, souligne ce spécialiste de l’investissement. Des fonds comme AlphaG cherchent les meilleures entreprises, peu importe leur localisation.” Surtout que, d’après nos informations, les nouveaux entrants ne disposeraient pas de place au board

Digitalisation de l’économie belge

Que l’économie belge doive se numériser ne fait plus l’ombre d’un doute depuis pas mal d’années. La Wallonie l’a bien compris et mène, via Digital Wallonia, des campagnes pour sensibiliser sur la question. Elle consacre d’ailleurs des budgets, notamment via des subsides et des chèques pour les entreprises, pour aider les PME dans cette voie.

Odoo y joue son rôle en transformant la manière dont les PME fonctionnent. Grâce à ses solutions gratuites ou accessibles, plus de 100.000 entreprises belges bénéficient de ses outils. Odoo contribue donc à une bonne part de la digitalisation des PME belges. Bien plus que toutes les politiques publiques mises en place.


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