Fabien Pinckaers, l’homme qui n’avait pas peur de défier les géants
Avant l’aventure Odoo, à laquelle il a consacré tout son temps et son énergie, Fabien Pinckaers avait vendu des t-shirts, réalisé des programmes de vente aux enchères ou d’anti-spam. Depuis la naissance d’Odoo, sa détermination, il la place dans son logiciel de gestion. Avec l’audace de venir concurrencer des géants comme SAP, Microsoft ou Oracle.
Si votre fils de 13 ans s’intéresse au code informatique, encouragez-le. Il pourrait bien un jour être à la tête d’une entreprise de près de 1.200 personnes présente partout dans le monde. C’est en tout cas ce qui est arrivé à notre nouveau Manager de l’Année. Oui, le fondateur et CEO d’Odoo s’est intéressé très tôt au développement informatique… Pour sa communion solennelle, il avait demandé un ordinateur. Et peu après, il vendait son premier logiciel pour 7.000 euros aux Taxis Verts. Il n’était alors âgé que de 13 ans. Une belle histoire… Et pourtant, ce n’est rien par rapport à la suite du parcours de cet entrepreneur dans l’âme.
Avant de se lancer corps et âme dans l’univers des logiciels de gestion pour entreprises, Fabien Pinckaers s’est essayé à une multitude de projets. De l’e-commerce avec la vente de t-shirts et peluches labellisés Linux qu’il faisait venir de Chine. Ou un logiciel anti-spam qui s’intégrait à la boîte e-mail des utilisateurs et qui s’appelait “No More Viagra”… Mais aussi un logiciel destiné aux salles de vente, développé pour son père qui dirigeait, comme les deux générations précédentes, l’Hôtel des Ventes Flagey. Le nouveau Manager de l’Année n’avait d’ailleurs pas tout à fait délaissé la tradition familiale puisqu’il avait lancé un site de ventes aux enchères spécialisé dans le marché de l’art. “Il s’y vendait 15.000 oeuvres d’art par mois, se souvient Fabien Pinckaers. J’avais réussi à créer l’une des plus grosses databases du domaine… mais mon business model n’était pas bon.”
L’audacieux pari de l’open source
C’est plus tard, alors qu’il poursuit des études à l’UCL, que le jeune homme jette son dévolu sur le développement d’un logiciel de gestion. Il est séduit par l’univers open source qui permet de s’appuyer sur des développements collaboratifs au sein d’une communauté qui partage les codes et où chacun peut apporter ses améliorations.
C’est sur cet open source que le jeune entrepreneur se base donc pour pénétrer le marché des PME, avec Tiny, la société qu’il crée en 2004. TinyERP, le produit que propose Tiny, entre alors frontalement en concurrence avec des mastodontes comme SAP, Sage, Oracle ou Microsoft… A la différence près que Tiny s’adresse aux PME et non aux grandes entreprises, cibles privilégiées de la concurrence. Fabien Pinckaers, lui, nourrit clairement l’ambition de changer le monde des logiciels de gestion. Anecdote amusante: en 2006, Fabien Pinckaers achète le nom de domaine “sorrySAP.com”… mais il n’ose pas l’utiliser, sans doute pour ne pas paraître arrogant. Toutefois, il bosse comme un fou pour réaliser son objectif: 13 heures par jour, week-ends compris, et ne prend aucun congé pendant sept ans.
Lire aussi: Odoo, la méthode Pinckaers en huit points
L’argument massue pour convaincre le marché? La gratuité du produit. TinyERP, ensuite devenu OpenERP en 2008, se rémunère via des contrats de maintenance pour les clients qui le souhaitent. Beaucoup continuent néanmoins d’utiliser la version gratuite. Rapidement, le produit de Fabien Pinckaers trouve des clients, un peu partout dans le monde, notamment grâce à l’effet de communauté liée au logiciel ouvert. La jeune entreprise séduit quelques grands noms comme l’Ena et La Poste, en France, et Atlas Copco, en Thaïlande. La croissance de la firme est déjà impressionnante.
Si bien qu’en 2009, alors que la société de Fabien Pinckaers n’a toujours que cinq ans, Trends-Tendances le distingue déjà. Il fait la couverture du 16 juillet. Le titre? “Et si ce Belge était le nouveau Bill Gates?” Rien que cela! Une prédiction qui intervient certainement un peu tôt mais qui épingle déjà l’étonnante réalisation du jeune entrepreneur et une ambition qui force le respect. A l’époque, Fabien Pinckaers n’a qu’une trentaine d’années mais il dirige déjà une boîte de 85 personnes (15 en Belgique, 70 en Inde). Mais, surtout, il se voit déjà à la tête d’une entreprise de 400 personnes dans les quatre ans.
L’homme aime se fixer des jalons: “J’ai rapidement dit à mes premiers collaborateurs que si je n’arrivais pas à créer une boîte de 100 personnes, ils devaient me remplacer, s’amuse le nouveau Manager de l’Année. Ensuite, je disais que je voulais atteindre 1.000 personnes avant mes 40 ans.” De peu, Odoo n’y est pas arrivée. Mais désormais, c’est 10.000 employés avant ses 50 ans que Fabien Pinckaers évoque…
Changement risqué de modèle
Mais en 2010, si l’entreprise wallonne connaît un beau succès d’utilisation, son business ne suit pas toujours suffisamment. A l’époque, la société perd encore de l’argent. Elle proposait un produit “puissant mais moche”, confesse aujourd’hui Fabien Pinckaers dans un billet sur le site de la firme. Et puisque le modèle économique lié à l’open source n’est visiblement pas totalement satisfaisant, le jeune CEO réalise sa première grosse mutation. “Nous avions beaucoup d’utilisateurs, se souvient-il. Sauf que les clients payaient la maintenance la première année mais plus la deuxième, car le produit fonctionnait très bien tout seul. Résultat: pas mal de clients continuaient d’utiliser Odoo… mais sans plus rien payer.” La firme change alors de modèle: 80% de la suite logicielle sont désormais proposés gratuitement mais les 20% de fonctionnalités plus avancées deviennent payants. En interne, ce changement n’a rien d’anodin: d’une société de services avec des consultants, elle devient une entreprise de création de logiciels qui doit miser sur la R&D et des développeurs. Fabien Pinckaers réalise alors sa première levée de fonds auprès de Sofinnova et… Xavier Niel. En 18 mois, la société “brûle” 2 millions d’euros, essentiellement en salaires pour des développeurs et des équipes de vente. Fabien Pinckaers fait le pari de la croissance contre vents et marées.
C’est à ce moment qu’OpenERP commence vraiment à décoller. Certes, la firme manque ses objectifs en 2011, mais elle propose toujours plus de services à ses clients: quelque 4.000 modules touchant à l’ERP ( enterprise resource planning), la compta, l’e-commerce, la création de sites web, l’analyse de données, etc. C’est pour englober cette évolution qu’OpenERP devient alors Odoo en 2014. La même année, Fabien Pinckaers réalise une nouvelle levée de fonds: 10 millions de dollars (fonds XAnge, SRIW, Sofinnova, etc.) qui doivent lui permettre de soutenir la croissance des équipes de vente et de développeurs. Et faire du marketing. Odoo est sur le rail de sa croissance effrénée: 60% en moyenne, chaque année. Et même avec 1.200 employés, Fabien Pinckaers continue de nourrir une grande ambition: “Notre marché est gigantesque et l’on n’en détient même pas 1%”. Voilà pourquoi le nouveau Manager de l’Année se montre sûr de lui: l a croissance d’Odoo est loin d’être finie.
Odoo en chiffres
- 1.168 employés (+58% en 1 an)
- 7 filiales dans le monde
- 11 bureaux
- 6,5 millions d’utilisateurs
- 10,4 millions d’euros levés
- 95 millions d’euros de chiffre d’affaires estimé (2020)
- 13 millions d’euros de chiffre d’affaires (décembre 2020)
- 3.000 partenaires
- 70.000 emplois indirects
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici