PermaFungi, un petit poucet belge veut révolutionner l’isolation, et ce n’est qu’un début
Spécialiste du champignon urbain bio cultivé sur du marc de café, la firme bruxelloise PermaFungi se lance dans la commercialisation d’un nouveau matériau, sain et non polluant, offrant des perspectives dans de nombreux secteurs dont le packaging et la construction. L’entreprise se voit même déjà leader en Europe.
Parler de champignon dans le secteur du bâtiment n’est généralement pas synonyme de bonne nouvelle… Mais cela devrait changer dans les années à venir si les myco-matériaux parviennent à trouver leur place comme isolant dans la construction. Les myco-matériaux? Si ce terme vous est inconnu, c’est qu’il s’agit d’un développement assez récent. Il s’agit de matériaux obtenus à partir de déchets organiques transformés par l’action naturelle du mycélium, la semence des champignons. C’est la firme bruxelloise PermaFungi qui se lance, en Belgique, sur ce créneau après plusieurs années de recherche et développement pour la mise au point de ce matériau innovant et circulaire.
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L’avantage du myco-matériau? Il serait capable de concurrencer le plastique ou la frigolite grâce à ses propriétés, isolantes notamment. De quoi trouver des débouchés dans le domaine du bâtiment ou du packaging, deux secteurs gourmands en plastiques et donc particulièrement polluants. “Les secteurs de la construction et de l’emballage représentent 52% de la consommation de plastique dans le monde et sont donc un enjeu sociétal et économique majeur, détaille Julien Jacquet, le patron et fondateur de PermaFungi. Voilà pourquoi nous entrons sur ce marché largement dépendant des énergies fossiles.”
PermaFungi compte explorer d’autres domaines. Des études seront menées pour finaliser des… cercueils, des urnes funéraires, du cuir de champignon, des casques de vélo, des objets de design, etc.
Non polluant et sain, le myco-matériau répondrait parfaitement à ces enjeux. Sa fabrication est assez simple: du mycélium est injecté dans des déchets (le “champost”) dont il va se nourrir. Ce mélange est inséré dans des moules (réutilisables bien sûr) qui peuvent avoir la forme de panneaux, de bouteilles (pour des packagings de protection), etc. Un procédé parfaitement circulaire puisque ces déchets (quelque cinq tonnes par mois environ) ne sont pas n’importe lesquels: ils proviennent directement de la production de champignons, activité originelle de PermaFungi.
L’entreprise s’était construite, dès 2013, avec la ferme ambition de développer un business qui réponde aux enjeux environnementaux et sociétaux. Voilà pourquoi elle s’est lancée dans la culture de champignons bios sur un déchet urbain: le marc de café (15.000 tonnes jetées par an rien que dans la capitale). Disposant aujourd’hui d’un site de 1.200 m2 dans les caves de Tour et Taxis à Bruxelles, la PME emploie huit personnes (deux viennent d’être engagées), avance un chiffre d’affaires d’un demi-million d’euros environ, provenant pour moitié de la vente de ses produits et à 20% de kits cadeaux pour récupérer du marc et faire pousser des champignons. Le reste des revenus provient de visites du site et d’initiation des techniques aux écoles, entreprises, etc.
Surtout, aujourd’hui, PermaFungi produit une tonne de champignons par mois. Un plafond, aux yeux de l’entreprise: plutôt qu’envisager de déployer son modèle de champignons urbains à large échelle, la firme a en effet préféré miser sur le lancement de ce myco-matériau comme “pivot” dans ses activités. “Nous avons cherché une solution pour dupliquer notre champignonnière, détaille Julien Jacquet. Mais nous avons fait le constat que nous devions rester un produit de niche. Si nous avions voulu prendre une plus grande place sur le marché belge du champignon dont 99% sont produits hors de nos frontières, nous aurions dû nous aligner sur une activité industrielle, avoir une qualité moindre, et… perdre notre âme.”
Julien Jacquet et son équipe sont en effet des idéalistes. C’est d’abord leur fibre sociale et environnementale qui les a poussés vers le développement d’une activité économique. Outre la circularité, la dimension sociale tient aussi une part importante dans la vision du jeune patron, qui veut valoriser ses équipes. “La majorité de nos collaborateurs sont soit des personnes qui étaient au chômage quand elles ont commencé avec nous, soit ne possédaient pas de diplôme du supérieur, précise-t-il. Avant, on parlait d’insertion et de personnes peu qualifiées, moi je parle plutôt de personnes qui n’étaient pas valorisées sur le marché du travail mais qui se sont parfaitement adaptées chez nous. En plus d’une gestion participative, celui qui va chercher 100 kilos de marc de café à vélo intervient aussi à d’autres tâches comme la gestion des stocks, etc.”
Contexte favorable
C’est donc pour ne pas perdre son âme dans une course à l’augmentation de la production de champignons que PermaFungi table aujoud’hui sur le myco-matériau comme source de croissance et d’impact. Mais ce n’est sans doute pas non plus par hasard. Le contexte semble particulièrement favorable au développement de cette solution. Du moins sur papier.
D’abord, la quête de produits plus sains et plus respectueux de l’environnement devient prioritaire pour un nombre toujours croissant de consommateurs et d’entreprises. Une démarche d’ailleurs largement encouragée par le Green Deal européen, stratégie comptant progressivement interdire les plastiques, encourager l’économie circulaire et soutenir les modèles de consommation et de production durables. Dans le même temps, la Commission européenne veut imposer la rénovation énergétique pour diminuer l’impact carbone des bâtiments… Un contexte évidemment favorable à l’émergence d’innovation comme le myco-matériau de PermaFungi. L’entreprise a d’ailleurs obtenu, la semaine passée, un financement de 2 millions d’euros pour la mise en place de sa chaîne de production. D’autant que la tendance ne concerne pas seulement la construction. Les enjeux liés aux packagings sont également énormes: le patron de PermaFungi évoque le chiffre de 75% des Européens opposés aux matériaux polluants dans les conditionnements
En outre, la question économique et géopolitique des matières premières fossiles et de l’énergie n’a jamais été aussi aiguë. On le sait, la limitation des ressources et la dépendance européenne à l’égard de l’étranger font actuellement exploser les prix de tout ce qui en dépend. Inévitablement, Julien Jacquet voit donc une opportunité pour des produits comme le sien. Son ambition consiste à produire, d’ici fin 2025, quelque 12 tonnes de myco-matériaux par mois en recyclant 15 tonnes de déchets. Un objectif que PermaFungi devrait parvenir à réaliser en recrutant 20 nouvelles personnes et en levant des fonds. Une première pour la firme, à l’inverse de ces nombreuses jeunes pousses qui sollicitent les investisseurs pour tenter de réussir leur pari. “Nous n’avons jamais levé d’argent, confirme Julien Jacquet. Nous avons emprunté pas mal mais avons toujours cherché des solutions innovantes pour diminuer les coûts, comme envisager cette agriculture urbaine souterraine, dans les caves de Tour et Taxis. Résultat, nous sommes rentables depuis cinq ans.” Si aujourd’hui PermaFungi se prépare à sa première levée, c’est donc que les ambitions sont grandes. L’entreprise se verrait bien leader en Europe sur le créneau de ce nouveau matériau. Et de nouveaux moyens lui permettraient de financer son espace de production, ses moules, son personnel, etc.Reste que le défi est de taille. Tant au niveau du marché que de la production. Le mycélium est en effet un être vivant. Il a dès lors besoin de conditions de culture bien spécifiques qui doivent être maîtrisées. Même si PermaFungi mène des études depuis 2016 sur l’élaboration de ce matériau et y a consacré 700.000 euros, il faut encore arriver à assurer une production importante, tout en contrôlant le travail du mycélium.
Déjà de la demande
La PME devra donc former ses équipes pour améliorer leurs compétences sur l’action de ce mycélium de sorte à diminuer le risque de contamination du champignon et assurer des productions efficaces et régulières. Surtout à des volumes bien plus importants que ceux actuellement assurés par la société.
PermaFungi devra également convaincre le marché d’adopter son produit, jusqu’ici méconnu. Une bonne parole à transmettre, d’autant qu’à ce stade, le myco- matériau d’isolation coûte bien plus cher que les produits similaires, mais polluants, actuellement sur le marché. “Les prix des isolants fluctuent aujourd’hui entre 20 et 80 euros le mètre carré environ, explique le patron de la PME bruxelloise. Aujourd’hui, notre produit de niche se vend autour de 200 euros le mètre carré.” Ceci étant, même à ce prix, la demande serait déjà présente et suffisante pour les capacités de production actuelles, encore très limitées. PermaFungi a d’ailleurs récemment remporté un appel d’offre auprès de Citydev, l’agence de développement urbain de la Région de Bruxelles-Capitale. “Nous ciblons actuellement des professionnels, comme des architectes qui se veulent à la fois précurseurs et en adéquation avec la nature, affirme Julien Jacquet. C’est une première étape qui va augmenter notre cycle de production et donc, à terme, diminuer nos prix, ce qui nous permettra de toucher d’autres cibles. On pense réussir à baisser chaque année les prix de 20% …” Un objectif qui passera par la formation des équipes et donc une meilleure efficacité de production, mais aussi l’utilisation de machines pour mélanger les déchets et le mycélium, opération qui s’effectue encore à la main.
Cette prise de position sur le marché et la diminution des prix devront toutefois se faire à un certain rythme. Car si PermaFungi est pionnière, elle n’est pas la seule dans le monde à viser ce créneau: une poignée d’entreprises aux Pays-Bas, en Italie ou aux Etats-Unis élaborent également ce type de produits. La concurrence sera-t-elle rude? Peut-être pas. Le marché est hyper-vaste. Et PermaFungi compte explorer d’autres domaines que la construction et le packaging, avec d’autres produits pour d’autres débouchés. Des études seront menées pour finaliser des… cercueils, des urnes funéraires, du cuir de champignon, des casques de vélo, des objets de design, etc. Pas étonnant que certains spécialistes abusent de la formule “le champignon va sauver le monde”…
12 tonnes
L’objectif de production mensuelle de myco-matériaux de PermaFungi d’ici fin 2025, en recyclant chaque mois quelque 15 tonnes de déchets.
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