Nathalie Pfaff Seigle et Nigyar Makhumudova (Danone): “Les consommateurs ont perdu la valeur de la nourriture”

© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Activia, Alpro, Danette ou encore Evian: toutes ces marques font partie du portefeuille du groupe Danone qui propose quatre catégories de produits (les laitiers, les alternatives végétales, la nutrition spécialisée et les eaux). Son ambition est de mettre sur pied d’égalité le profit, la santé, la durabilité et les personnes. Un équilibre parfois compliqué à trouver, particulièrement en période de crises.

“Plus on grandit, plus nous avons un impact. Plus nous avons un impact, plus on grandit”, résume Nathalie Pfaff Seigle, CEO de Belux, à l’occasion des 50 ans du “double projet” du groupe. Un double projet qui réside dans l’ambition pour l’entreprise de créer à la fois de la valeur pour les actionnaires et de la valeur pour la société. “Une réconciliation nécessaire entre la performance économique de l’entreprise et sa responsabilité sociale et environnementale”, poursuit cette Française de 40 ans installée en Belgique depuis cinq ans. Accompagnée par Nigyar Makhumudova, la directrice Croissance et Innovation du groupe, venue d’Azerbaïdjan, elle nous explique pourquoi la performance économique est indissociable de la durabilité.

Nigyar Makhumudova

  • Née en 1967 en Azerbaïdjan
  • 1998. Rejoint Mars Russia où elle occupe plusieurs postes seniors en marketing et ventes pour l’ensemble du portefeuille de produits Mars
  • 2019. Rejoint Danone en tant que directrice générale Croissance et Innovation

Nathalie Pfaff Seigle

  • Née en 1982 à Mulhouse
  • 2010. Rejoint Danone, où elle occupe différents postes de marketing stratégique en Europe et au Moyen-Orient
  • 2017. Rejoint Alpro en tant que responsable de l’intégration, du marketing et de l’innovation
  • 2019. Devient country manager pour les activités laitières au BeLux
  • 2021. Occupe le rôle de general manager BeLux pour toutes les catégories

TRENDS-TENDANCES. Que représente la Belgique pour Danone?

NATHALIE PFAFF SEIGLE. La Belgique est un super pays pour le groupe. On y emploie 1.800 personnes et on touche plus de cinq millions de ménages avec nos produits. Nous avons ici cinq unités: un bureau à Bruxelles, les bureaux d’Alpro à Zwevegem, un centre de recherche à Gand et deux usines de production à Wevelgem et Rotselaar.

NIGYAR MAKHUMUDOVA. La Belgique est un endroit géographiquement stratégique, ce qui en fait un laboratoire parfait pour des tests marketing à grande échelle. C’est un petit pays mais cela permet d’analyser rapidement la perception du consommateur sur un nouveau produit, très utile pour analyser et anticiper les tendances du marché.

Quels sont les investissements du groupe en Belgique?

N.P.S. Nous avons investi énormément dans nos deux usines de production. Récemment, nous avons engagé plus de 5 millions d’euros dans un programme de réutilisation des eaux usées. Quatre-vingts pour cent des eaux du processus de fabrication sont réutilisées. Les deux sites de production fonctionnent avec de l’énergie 100% renouvelable grâce à un investissement de plus de 20 millions d’euros rien qu’à Wevelgem. Cette efficacité permet aujourd’hui de réduire de deux tiers notre facture d’énergie.

Pourquoi ces deux usines sont-elles importantes pour le groupe?

N.P.S. C’est à Rotselaar que les ingénieurs ont inventé Actimel, qui est l’un de nos produits les plus importants. L’usine de Wevelgem produit la marque Alpro que l’on a rachetée il y a cinq ans. C’est l’un des centres les plus innovants sur le segment du végétal.

Parmi toutes les entreprises de l’agroalimentaire, Danone est l’une de celles qui se concentrent le plus sur la santé.”

Nathalie Pfaff Seigle

Le végétal, c’est justement la nouvelle tendance du marché. Comment répondez-vous à cette demande?

N.M. Nous avons l’ambition de devenir la plus grande entreprise flexitarienne. Nous avons donc réalisé deux grandes acquisitions afin d’atteindre cet objectif en achetant Silk, une marque disponible aux Etats-Unis et au Canada et Alpro en Europe. Le végétal est un segment très riche en innovations.

N.P.S. Près de 38% des consommateurs belges se disent flexitariens. On souhaite convertir un maximum de personnes, par exemple avec notre produit This is not milk, une boisson végétale qui imite la texture du lait mais aussi des yaourts ou des fromages.

Les boissons végétales ne sont pas vraiment une nouveauté…

N.P.S. Non, mais nous avons travaillé pour faire évoluer les goûts. Le groupe a démarré avec un lait de soja qui était destiné uniquement aux personnes véganes ou intolérantes au lactose. Nous avons évolué grâce à un travail sur la fermentation qui a permis d’élargir la gamme de produits offerte aux consommateurs.

N.M. Nous avons également lancé une gamme de boissons végétales à destination des baristas. Il y a d’autres produits en cours d’élaboration mais nous ne pouvons pas encore communiquer à leur sujet.

Le récent Salon international de l’alimentation (Sial) a dévoilé les trois axes d’innovation les plus importants: le plaisir, la santé et l’éthique. Pensez-vous que votre entreprise réponde à ces critères?

N.M. Oui, complètement. Parmi toutes les entreprises de l’agroalimentaire, Danone est l’une de celles qui se concentrent le plus sur la santé. Quatre-vingts pour cent de notre portefeuille est composé de produits avec un nutriscore A ou B. Nonante pour cent de notre portefeuille est certifié ATNI (l’index de nutrition global), ce qui signifie que nos produits peuvent être consommés quotidiennement. Dans le même temps, nous faisons très attention au plaisir, avec des goûts variés.

N.P.S. Au niveau de l’éthique, beaucoup de choses sont réalisées. Nous avons trois marques neutres en carbone: Actimel, Evian et Volvic. Rien que sur la bouteille d’Actimel, nous avons réduit de moitié le grammage en plastique, l’étiquette a également été remplacée, ce qui correspond à huit tonnes de plastique en moins sur les volumes belges produits sur un an. Il y a aussi un travail sur les ingrédients. L’avoine, les amandes et le soja viennent surtout d’Europe. En fait, c’est un travail qui est mené sur chaque acteur de la chaîne agroalimentaire, en passant par les agriculteurs qui doivent être rémunérés correctement.

Vous êtes aussi une entreprise certifiée B Corp (donc répondant à certains objectifs sociaux et environnementaux) depuis sept ans. Est-ce un avantage compétitif?

N.P.S. Oui, probablement, même si nous ne le voyons pas comme tel. C’est plutôt un outil qui nous permet d’analyser comment et où il faut s’améliorer. Presque 80% de nos filiales dans le monde sont aujourd’hui certifiées. Et en Belgique, toute nos catégories sont certifiées B Corp.

N.M. Cela permet peut-être aussi d’attirer la jeune génération qui est particulièrement sensible à ces questions sociales et environnementales.

Nathalie Pfaff Seigle et Nigyar Makhumudova (Danone):

Des produits Danone ont été absents de nombreux rayons à cause d’une trop forte augmentation de prix que la grande distribution a refusée. Comment analysez-vous

cet épisode?

N.P.S. La crise sanitaire, la hausse des prix des matières premières ou de l’énergie sont des crises qui touchent tout le monde. C’est une réalité pour l’ensemble de la chaîne, les consommateurs, les entreprises et les retailers. Nous avons enregistré une augmentation de nos coûts de production entre 16 et 20%. Nous avons décidé d’en supporter la moitié car on estimait que c’était aussi de notre responsabilité, mais il fallait faire passer l’autre moitié. Ce n’est pas nous qui décidons du prix au consommateur. Nous travaillons avec tous les partenaires pour nous assurer que chacun prenne ses responsabilités.

En tant que multinationale, vous avez une force de négociation que certains n’ont pas. Est-ce un avantage, selon vous?

N.P.S. Etre une grande marque est à la fois une force et une faiblesse. Oui, nous pouvons négocier car nous sommes assez grands. Mais c’est justement parce que nous sommes grands que les conséquences économiques sont démultipliées.

Les consommateurs se tournent davantage vers les marques propres qui sont généralement moins chères. Est-ce compliqué d’être une grande marque en temps de crise?

N.P.S. On sait que les consommateurs font plus attention à leur budget et vont chercher le prix le plus bas. Ils prennent uniquement ce dont ils ont besoin. Nos produits figurent dans la catégorie des produits alimentaires nécessaires. Il nous faut donc, en tant que marque, pouvoir rester une habitude de consommation. Cela demande de l’innovation et une optimisation des coûts de production tout en restant accessible. Le consommateur peut choisir des achats engagés avec des produits essentiels et responsables, même s’ils sont parfois plus chers.

Vous souhaitez une revalorisation de la chaîne alimentaire. Cela passe-t-il par une augmentation du prix pour le consommateur?

N.P.S. Ce n’est pas tellement une question de prix mais plutôt de valeur du produit. Les consommateurs ont perdu la valeur de la nourriture car ils ont été habitués à des prix bas dans la grande distribution. Payer moins cher dans l’alimentaire se répercute sur la qualité des produits avec des ingrédients moins naturels, moins nutritifs et peu respectueux de l’environnement.

Comment une multinationale s’adapte-t-elle au consommateur afin de rester parmi ses marques préférées?

N.P.S. On se définit comme une “multilocale”, cela signifie que nous sommes une multinationale avec un ancrage local dans chaque pays où nous sommes présents. Il n’y a rien de plus local que la nourriture, il faut donc adapter nos marques dans les habitudes de consommation, et cela passe par le goût. En Belgique par exemple, nous avons lancé un Danio au spéculoos alors qu’aux Etats-Unis, ils sont à la citrouille.

Les prix sont parfois moins élevés dans les pays voisins de la Belgique. Comment l’expliquez-vous?

N.P.S. En Belgique, il faut prendre en compte l’indexation des salaires, qui n’existe pas en France ou aux Pays-Bas, par exemple. Les prix de l’énergie sont également plus bas en France. A cela s’ajoutent des taxes qui concernent les entreprises, les emballages et les méthodes de production. Cette lasagne de taxes – que j’appelle un mille-feuille – a des conséquences sur le prix au niveau du consommateur. Il faut surveiller l’écart entre les prix pour éviter les achats transfrontaliers qui ne sont bons ni pour les entreprises ni pour le gouvernement.

Est-il vraiment réaliste de vouloir assurer une rentabilité économique tout en garantissant la durabilité et un impact social positif?

N.P.S. Nous mettons sur le même pied le profit, la durabilité, la santé et les employés et visons à maintenir cet équilibre. Est-ce que c’est facile? Non bien sûr, mais nous avons des engagements à respecter. Sans performance économique, il est impossible de créer une marque forte vers laquelle les consommateurs vont se tourner. Notre stratégie consiste à proposer des produits bons pour la santé, sans compromis sur l’environnement et la durabilité, afin d’avoir un changement à grande échelle. Etre durable permet aussi d’être économiquement rentable, nous le voyons avec l’énergie.

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