La pub fait son mea culpa

© pg
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Leur industrie a contribué à créer “le problème”. Ils veulent aujourd’hui être la solution. A la tête de l’agence créative Air, Eric Hollander et Stéphane Buisseret viennent de décrocher le précieux label B Corp. Ils s’engagent à faire de la publicité l’outil d’un monde meilleur.

Elle a la couleur d’une agence de pub, le goût d’une agence de pub, mais ce n’est plus vraiment une agence de pub. Au sens “classique” du terme, bien entendu. Depuis quelques semaines, l‘agence créative Air est en effet certifiée B Corp, du nom de ce prestigieux label octroyé aux entreprises qui répondent à des exigences sociétales et environnementales strictes ainsi qu’à des normes de gouvernance et de transparence envers les consommateurs. Dans le monde, près de 5.000 sociétés commerciales disposent de cette certification très convoitée, dont à peine une quarantaine d’entreprises en Belgique. Parmi elles, trois agences de pub: la bruxelloise Air, la louvaniste Bonka Circus et une anversoise dont le nom sera bientôt révélé.

Cette quête de la certification B Corp s’inscrit dans un mouvement général qui démontre que les lignes bougent.

Une hérésie au royaume du politiquement correct? Si l’on s’en tenait à l’aphorisme de l’acteur américain Will Rogers, mort en 1935, la réponse serait à coup sûr positive: “La publicité est l’art de convaincre les gens de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas pour quelque chose dont ils n’ont pas besoin”. Certes, le trait est forcé mais cette caricature souligne une évidence depuis des décennies: l’industrie de la pub a toujours été l’une des plus énergivores de la planète puisque la publicité, par définition, encourage la consommation, voire la surconsommation de biens et de services, avec un impact certain sur notre environnement.

L’effet Greta

Les lignes sont toutefois en train de bouger. Avec la conscientisation du réchauffement de la planète et la multiplication des marches pour le climat, les marques et les agences de pub tentent désormais de corriger le tir. L’effet Greta Thunberg s’est invité dans les pitchs depuis quelques années déjà et les campagnes publicitaires se teintent volontiers de vert, quitte à exacerber la méfiance des “nouveaux consommateurs” tourmentés par l’avenir de la Terre.

Même si le greenwashing est bel et bien palpable dans certains plans de communication, il ne fait aujourd’hui aucun doute que la plupart des marques et des agences de pub font de la RSE (la responsabilité sociétale des entreprises) leur nouveau mantra. Avec, cependant, le dilemme suivant qui frise la schizophrénie chez certains publicitaires: comment poursuivre sereinement sa mission commerciale première – qui est d’aider les marques à vendre toujours plus – alors qu’il faut être attentif aux enjeux climatiques et aux désirs de ces “nouveaux consommateurs” qui visent la décroissance?

“Nous ne sommes plus dans la logique du consommer plus mais dans la logique du consommer mieux, répond d’emblée Eric Hollander, fondateur et creative chairman de l’agence Air qui a récemment obtenu sa certification B Corp. Il est vrai que les publicitaires ont fait et font encore partie du problème, mais ils doivent aujourd’hui s’engager pour faire partie de la solution. Les marques jouent un rôle dans la vie des gens et notre savoir-faire doit justement contribuer à modifier les comportements d’achat des consommateurs. Il y a de gros efforts d’éducation et d’information à faire pour les aider.”

Un long cheminement

Air n’a pas fait un virage à 180 degrés. Depuis une vingtaine d’années, l’agence de pub compte aussi des associations comme Cap48 ou Amnesty International parmi ses clients et elle s’est donc forgé une réputation sociétale à côté de sa force de frappe commerciale. Mais cet engagement parallèle n’était plus suffisant aux yeux du président fondateur Eric Hollander et de son comparse Stéphane Buisseret, CEO de l’agence. En pleine pandémie, Air a donc revu ses fondements et s’est aventurée sur la voie d’une certification B Corp pour aller plus loin dans sa double mission sociale et durable.

“L’obtention de cette certification est un long processus qui a pris près de deux ans, raconte le CEO Stéphane Buisseret. Il faut répondre aux critères les plus exigeants en matière de durabilité, de gouvernance et d’enjeux de société. Nous avons entamé ce trajet parce que nous nous reconnaissons pleinement dans la vision de B Corp qui a pour slogan Make business a force for good (Faites du business une force au service du bien, Ndlr). Le profit n’est pas interdit pour autant qu’il contribue à un monde meilleur. Le B de B Corp signifie d’ailleurs Benefit, dans le sens où les bénéfices vont à la planète et à ses habitants. Il y a presque une forme de spiritualité: nous devons avoir un impact positif sur le monde.”

Eric Hollander et Stéphane Buisseret
Eric Hollander et Stéphane Buisseret© pg

Exigeante, la requête pour obtenir cette certification B Corp n’est effectivement pas une promenade de santé. Les démarches se font en ligne via un questionnaire d’évaluation de 200 points où chaque réponse est épluchée via des documents (bilan d’entreprise, statuts, factures, etc.) que le candidat est tenu de télécharger. Il faut au moins 80 points pour être éligible, avant que l’audit ne soit ensuite enclenché. “Ils vérifient tout, absolument tout, précise Stéphane Buisseret. Viennent ensuite trois séances d’entretien via Teams qui sont assez dures et où se succèdent les questions qui fâchent!”

Neutraliseur de campagne

Enclenché en janvier 2021, le processus de certification B Corp s’est conclu 18 mois plus tard pour Air avec un avis positif remis en septembre dernier. “C’est un long cheminement, mais c’est une reconnaissance qui est très énergisante, sourit Eric Hollander. Cela apporte énormément d’énergie dans l’équipe, chez les partenaires et parmi les clients car cette certification prouve que nous participons activement à l’avènement d’un changement culturel global. Il ne s’agit plus de se préoccuper seulement du produit, du service ou de la rentabilité mais d’oeuvrer pour le bien commun et d’accélérer le mouvement vers une économie durable, équitable et régénératrice.”

Dans les arguments qui ont certainement pesé en faveur de la certification, il y a tout le travail enclenché par l’agence durant cette période d’évaluation. Après être devenue neutre en carbone en 2020, Air a en effet chargé la société indépendante CO2logic (spécialisée dans l’analyse, la réduction et la compensation des émissions carbone) de l’aider à développer un algorithme pour rendre ses campagnes de pub beaucoup plus vertes. Baptisé Campaign Neutralizer, cet outil permet de calculer l’empreinte carbone des shootings et des tournages de films publicitaires mais surtout d’apporter une compensation écologique à ce processus de production en soutenant financièrement des associations actives dans des projets durables.

Le label B Corp accordé à une entreprise est réévalué tous les trois ans.
Le label B Corp accordé à une entreprise est réévalué tous les trois ans.© pg

Grâce à cet algorithme, Air peut quantifier l’impact carbone des campagnes souhaitées par le client et les corriger si besoin, en privilégiant davantage les destinations proches, les moyens de transports moins polluants ou encore le type de catering prévu sur un tournage. Avec des résultats concrets: pour la marque de mode française Jules, l’agence belge a ainsi pu réduire les émissions CO2 des nouvelles campagnes publicitaires de 90% par rapport à celles émises en 2019.

Le monde de la pub a toujours été hyper-compétitif et hyper-individualiste, reconnaît Eric Hollander, mais à un moment donné, il faut changer de paradigme. Notre Campaign Neutralizer sera donc bientôt en open source pour que chaque agence puisse en profiter. Quand on devient B Corp, on signe une déclaration d’interdépendance dans laquelle on s’engage à partager les meilleures pratiques pour accélérer le changement.”

De nouvelles opportunités

Convoité, le label B Corp n’est pour autant acquis ad vitam æternam. Tous les trois ans, les entreprises certifiées sont réévaluées et si elles n’ont pas gagné des points après ce délai, elles perdent tout simplement le précieux sésame. Car cette certification ouvre bel et bien des portes. Le duo à la tête de l’agence Air confirme que cela renforce leur légitimité en matière de durabilité – “On est moins suspecté de greenwashing” (sic) – et que cette récompense lui apporte même de nouvelles opportunités de business. Une start-up américaine active dans le secteur de la pharmacie et désireuse de s’installer en Europe est ainsi entrée en contact avec Air après avoir pris connaissance de sa récente certification.

Les clients actuels de l’agence sont eux aussi ravis. “Je suis même fière d’eux, ajoute Nathalie Erdmanis, director of sustainability chez AG Insurance. C’est une très belle reconnaissance car cette certification est très compliquée à obtenir. Air se met aussi une exigence supplémentaire qui est à féliciter dans le contexte de crise car le label B Corp coupe l’agence de certains annonceurs, comme les groupes pétroliers par exemple. En revanche, pour nous, c’est la garantie d’être davantage challengés dans nos futures campagnes et je m’en réjouis.”

Une lame de fond

Révélatrice de l’évolution des moeurs dans le monde de la publicité, cette quête de la certification B Corp s’inscrit dans un mouvement général qui démontre que les lignes bougent. D’autres agences belges se sont en effet déjà engagées sur la voie du développement durable comme l’agence média Space qui a obtenu, cette année, la certification neutre en CO2 ou encore l’agence MKKM, spécialisée dans les campagnes sur les réseaux sociaux, et qui se présente comme “la première agence digitale 100% compensée carbone”. Certaines structures tentent aussi de secouer le cocotier comme, par exemple, la jeune entreprise Give Actions qui offre un label de “publicité positive” aux annonceurs qui font un geste pour la planète, mais la certification B Corp semble toutefois être devenue le graal dans le secteur.

Déjà animé par son propre programme Havas Positive Impact qui vise à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2025, le groupe de communication Havas s’est mis aussi sur les rails de la certification B Corp. Ses agences de New York, Londres, Amsterdam et Paris ont déjà décroché chacune le précieux label et c’est aujourd’hui l’antenne bruxelloise qui est en plein processus de certification. “Nous travaillons concrètement sur ce dossier et nous espérons une certification pour l’agence de Bruxelles à la fin de 2023”, confirme Christian de La Villehuchet, CEO de Havas Belgique et global integration chief officer du groupe Havas au niveau mondial. “Une agence de publicité certifiée B Corp n’a rien d’un oxymore, conclut le grand patron, parce que j’ai la conviction absolue que nous sommes le métier qui, beaucoup plus que les autres, peut changer le monde et le rendre meilleur. Chez Havas, nous avons du moins la vraie volonté d’être des pionniers de la communication responsable et du changement positif.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content