Monoprix mise sur une offre différenciante pour attirer le Belge

Monoprix envisage d’ouvrir dix magasins en Belgique dans les cinq à dix ans.
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

L’enseigne française Monoprix a ouvert son premier magasin en Belgique. Pied de nez à l’histoire, c’est à Waterloo que le premier magasin de l’enseigne française s’est implanté. Son ambition est d’ouvrir des dizaines de succursales sur le territoire belge, pourtant déjà saturé. Trends-Tendances décrypte cette nouvelle arrivée en quatre questions.

​C’est une arrivée remarquée dans le paysage belge commercial : l’enseigne française Monoprix vient d’implanter son premier magasin à Waterloo. La commune brabançonne a souvent servi de plateforme-test pour des enseignes françaises : Picard, par exemple, y avait ouvert son premier magasin en 2012 avant d’étendre son réseau.

Pourtant Waterloo n’était pas le premier choix d’Arnaud Schockaert, à la tête de la société familiale Transversale, le master franchisé de l’enseigne. “Nous avions d’abord pensé à nous installer dans le centre de Bruxelles, car Monoprix est plutôt un commerce de pro­ximité”, explique le responsa­ble. Seulement voilà, la marque française possède un étiquetage uniquement francophone, d’où le choix de la Wallonie.

1. Quel est le concept de Monoprix ?

Monoprix appartient au groupe français Casino. L’enseigne propose aussi bien des produits alimentaires que des vêtements et des articles de décoration. “Un peu comme si l’on accolait un Carrefour express à un Hema, avec la promesse d’une image de marque très valorisante”, résume Christophe Sancy, rédacteur en chef de Gondola. En France, on ne présente plus le concept de Monoprix et sa formule compacte Monop’.

“C’est une marque qui n’existe pas en Belgique et qui rassemble tout sous un même toit”, précise Arnaud Schockaert. A Waterloo, le magasin s’étend sur plus de 1.000 m2 de surface et présente quelque 10.000 références dans ses rayons : 6.000 alimentaires, 4.000 non alimentaires. Concrètement, 90% de la gamme seront identiques à l’offre française et 10% seront approvisionnés localement, notamment les bières ou les fleurs par exemple qui viendront d’Uccle. “C’est un modèle de distribution premium”, ajoute le master franchisé.

Au niveau de l’alimentation, Monoprix mise principalement sur ses marques de distributeur – dont le positionnement prix varie selon la segmentation – à savoir Monoprix, Monoprix Gourmet et Monoprix Bio. Objectif ? Se différencier de la concurrence et éviter de “refaire un Carrefour ou un Delhaize”, ce qui “n’aurait pas beaucoup de sens puisque nos concurrents ont beaucoup trop d’avance sur le marché”, justifie Arnaud Schockaert.

Contrairement au schéma classique de la France, l’assortiment de Monoprix Belgique sera constitué de 50% de marques de distributeur (MDD) contre 30% de l’autre côté de la frontière. Ce qui n’empêche pas le magasin de disposer des marques A incontournables comme Nutella ou Coca-Cola. “C’est un positionnement osé, mais intelligent, assure Christophe Sancy. La MDD Monoprix est réputée pour sa qualité, son prix bien positionné, et bien sûr sa charte graphique à la fois très minimaliste et pleine de modernité, il faudra voir cependant si le consommateur belge adhère, mais ça a le mérite d’être différenciant.”

Et de rappeler que les marques de distributeur sont – depuis la crise du pouvoir d’achat – de plus en plus sollicitées par les consommateurs. Les distributeurs classiques, tout comme les retailers, investissent davantage dans celles-ci et étoffent leurs assortiments.

Concernant l’offre textile, l’ensemble de l’assortiment provient exclusivement de Monoprix. L’enseigne collabore avec des designers pour ses collections qui changent toutes les deux semaines. Un savoir-faire qui permet d’attirer les consommateurs. “C’est franchement original comme concept”, confirme Christophe Sancy qui rappelle que les acteurs de la distribution alimentaire classique se sont écartés de ce modèle. Contrairement aux autres rayons, le rayon beauté et parapharmacie propose uniquement des marques A comme Nuxe, introuvable dans des commerces de proximité classiques.

“Les trois A”, le master franchisé Monoprix

C’est en famille que travaille Arnaud Schockaert, le master franchisé belge de Monoprix. Celui-ci dirige avec ses deux sœurs, Audrey et Aurélie, l’entreprise familiale spécialisée dans le textile. “Nous sommes les trois A”, explique-t-il.

A l’origine, l’entreprise misait uniquement sur le textile de marque. “Plus de 15 marques différentes à travers le monde sur le territoire du Benelux”, précise-t-il. Après la crise sanitaire, Arnaud Schockaert souhaite se diversifier et se lance dans l’alimentaire, qui avait alors mieux résisté. Après avoir cherché quelques ensei­gnes, il se rend compte qu’il veut être plus qu’un simple opérateur. “On cherchait davantage à mettre en avant une marque, poursuit-il. C’est là que l’idée nous est venue de nous tourner vers un concept qui n’existait pas encore en Belgique.”

L’aventure a commencé il y a trois ans et la signature de la master franchise a eu lieu il y a un an.

2. Est-ce que ça peut fonctionner ?

“Nous avons évidemment fait réaliser les études de marché nécessaires, qui montrent que cela devrait fonctionner”, ajoute Arnaud Schockaert. En proposant un assortiment alimentaire et non alimentaire, l’enseigne entre en concurrence avec des acteurs comme Carrefour et Delhaize, mais également Zara ou Maisons du Monde. Une concurrence multiple qui n’effraie pas le nouveau responsable. “Malgré un positionnement premium, nos prix sont concurrentiels”, assure-t-il. Ce dernier ajoute également qu’il vendra ses produits au même prix que ceux pratiqués en France, “où la concurrence est encore plus forte qu’en Belgique”.


Monoprix joue davantage la carte du format que de l’acteur prix. “Logique”, estime Christophe Sancy qui rappelle les contraintes de rentabilité par rapport au personnel, au loyer élevé d’un emplacement urbain et du coût logistique. En se positionnant dans un segment premium, Monoprix risque-t-il de se heurter à la crise du pouvoir d’achat qui incite le consommateur à surveiller davantage les prix ? “Ce n’est pas la crise pour tout le monde”, rappelle le rédacteur en chef de Gondola qui met en avant l’achat plaisir de ce type de magasins. “Dans un magasin comme celui-là, le consommateur peut se faire plaisir sans culpabiliser.”

Dans 85% des cas, Monoprix est installé dans des villes de plus de 50.000 habitants. Waterloo n’a évidemment pas été choisie au hasard, en plus d’être proche de Bruxelles, la ville dispose d’un pouvoir d’achat important.

3. Est-ce surprenant ?

Oui et non. La question se pose dans la mesure où Monoprix appartient à Casino, un groupe français qui est aujourd’hui lourdement endetté (plus de 6 milliards d’euros). Le groupe a d’ailleurs cédé ses hypermarchés à ses concur­rents Auchan et Intermarché, pesant au minimum 4,65 milliards d’euros de chiffre d‘affaires, soit un petit tiers des 14,2 milliards (hors taxes) réalisés en 2022 en France. Le groupe en pleine restructuration empoche ainsi 1,35 milliard d’euros et souhaite se recentrer sur des formats de magasins plus petits et davantage axés sur la proximité. Avec la restructuration de Casino, le poids de Monoprix au sein du groupe grimpe à 50% du chiffre d’affaires total (10 milliards d’euros). Monoprix est en effet très prospère. L’enseigne affiche un chiffre d’affaires autour de 5 milliards d’euros et ambitionne d’atteindre 6,2 milliards d’euros d’ici 2028. “Dans la maison Casino, ce sont les hyper­marchés qui souffraient, alors que Monoprix reste au contraire une valeur sûre, sur laquelle le nouveau propriétaire compte bien investir”, poursuit Christophe Sancy.

L’enseigne dispose de 138 points de vente dans 17 pays étrangers, mais la Belgique n’est que le troisième pays européen (hors marché domestique) à accueillir l’enseigne, avec la Suisse et le Luxembourg. En fait, ce n’est pas la première fois que Casino tente l’aventure en Belgique. En 2012, le groupe français avait lancé deux magasins Franprix à Ixelles – commune bruxelloise qui compte énormément d’expatriés français – dont l’un dans une station de métro. Les deux magasins ont depuis fermé leurs portes. “Objectivement, personne n’avait rien compris à l’époque. L’enseigne n’apportait rien de fondamentalement différent si ce n’est quelques concepts comme les bouteilles de vin à remplir”, se rappelle le rédacteur en chef de Gondola qui croit davantage en la force de la marque Monoprix.

“Il faudra voir si le consom­mateur belge adhère, mais ça a le mérite d’être différenciant.” – Christophe Sancy (Gondola)

Monoprix achète ses produits dans la centrale d’achat d’Arras, là où l’approvisionnement de Franprix reposait sur un partenariat avec Lambrechts. Pour Arnaud Schockaert, ce n’est pas contraignant dans la mesure où ces derniers desservent facilement la Belgique. “Cela prend un peu plus d’une heure pour faire la route, il y a des endroits en France bien moins accessibles.”

4. Y a-t-il encore de la place sur le marché ?

C’est certainement le plus gros point d’interrogation concernant cette nouvelle arrivée sur le sol belge. La Belgique est le pays européen avec la plus grande densité commerciale. En Flandre, par exemple, Jumbo revoit ses ambitions à la baisse et renonce à son objectif de 100 points de vente. Cependant, il doit faire face à la machine Albert Heijn à laquelle Monoprix ne se frotte pas.

Les ambitions de Monoprix sont également plus modestes : l’enseigne souhaite ouvrir dix magasins dans les cinq à dix ans : cinq Monoprix et cinq Monop’ (le format plus compact). Le prochain ouvrira dans la gare de Mons – grâce à un appel d’offres lancé par la SNCB – d’ici quelques mois. “Ils n’ont pas pour ambition de devenir leader du marché des magasins de proximité, tempère Christophe Sancy. Leur ambition est de saisir les opportunités commerciales dans des zones qui correspondent en termes de pouvoir d‘achat et de style de vie.”


Reste la question de la Flandre, où Monoprix souhaite s’implanter après la Wallonie et Bruxelles, dans une perspective à moyen terme. “C‘est-à-dire trois ou quatre ans pour nous”, confirme Arnaud Schockaert qui doit analyser le problème de double étiquetage. Une pratique qui n’est pas inconnue du groupe français puisque celui-ci travaille déjà en anglais pour les pays du Moyen-Orient. Cependant très peu d’enseignes françaises ont réussi à s’implanter en Flandre. Les surgelés Picard, par exemple, n’ont jamais réussi à passer la frontière linguistique et plus récemment Intermarché vient de céder deux de ses magasins à Colruyt. “On arrive à des phénomènes culturels dans le retail, analyse Christophe Sancy. La Flandre est un marché différent de la Wallonie où les marques bénéficient de l’aura d’enseigne préférée des Français.”

Quant à une potentielle satu­ration commerciale belge, Christophe Sancy estime que la disparition de chaînes de magasins tient plus à des problèmes commerciaux, de compétitivité ou d’investissement qu’à l’abondance de magasins. “L’évolution du chiffre d’affaires de magasins indépendants tord un peu le cou à cette idée de saturation : les investissements dans le magasin et l’assortiment permettent de regagner de la clientèle.”

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