Marc De Vos (Itinera & UGent): “Il faut célébrer le succès, surtout celui des nouvelles entreprises”

Marc De Vos, “Le lien intime entre capital et politique est le vrai souci. Il faut rester vigilant.” © PG
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le fondateur du think tank belge Itinera salue les réussites éclatantes et les créations de richesses qui profitent au monde. Les inégalités ne sont a priori pas un problème, dit-il. Le problème se situe en bas de l’échelle: il faut combattre l’inégalité des chances.

Aux yeux de Marc De Vos, consultant en stratégie, chercheur au laboratoire d’idée Itinera et professeur à l’Université de Gand, le classement des super-riches du magazine Forbes est surtout symbolique dans la mesure où il ne représente que 2.600 personnes sur l’ensemble de la planète. “C’est donc le tout petit sommet de la pyramide mondiale, nuance-t-il. Ceci dit, il y a un premier constat à faire, très encourageant: 70% des personnes recensées sont des entrepreneurs qui ont réussi…”

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TRENDS-TENDANCES. En d’autres termes, ils créent de la richesse?

MARC DE VOS. Oui, c’est une création de richesses dont le monde entier bénéficie ; ce n’est pas du simple héritage. Dans un contexte historique, ce pourcentage de 70% est remarquable. Ces succès éclatants sont les résultats de 30 ans de mondialisation graduelle. C’est une bonne chose parce que ces fortunes sont issues d’une prise de risque. Les géants américains de la tech ont créé des emplois mais aussi considérablement changé la vie des gens sur toute la planète.

Cela dit, si Elon Musk vendait toutes ses actions, il n’obtiendrait probablement pas les montants qu’on associe à sa fortune. Les milliardaires de la Silicon Valley ont aussi perdu pas mal d’argent ces derniers temps en raison de la situation économique. Ce n’est pas dramatique mais cela montre que cette richesse n’est pas garantie. Et on est aussi en droit de se demander si ce marché de la tech fonctionne de façon saine – avec de la concurrence, des prix acceptables, une taxation juste et un impact raisonnable sur l’environnement – ou si ce sont des monopoles. Dans le cas de certaines de ces entreprises, le risque de concentration est réel, même si c’est le prix de leur excellence à l’échelle mondiale.

L’inégalité entre régions est en général plus inquiétante que l’inégalité individuelle.

Bernard Arnault est premier dans ce classement Forbes. Est-ce l’arbre qui cache la forêt en Europe?

Qu’il soit premier ou deuxième ou dixième, cela n’a guère d’importance, c’est très volatil. Sa première place est surtout due au fait que les Big Tech américaines ont eu une année difficile: toute l’économie est dans la tourmente avec la mondialisation chancelante, l’inflation, la guerre en Ukraine. Mais il y a une nouvelle vague d’innovations technologiques qui arrive aux Etats-Unis et les cinq principales entreprises de la tech y ont investi l’année passée 200 milliards de dollars en recherche et développement: c’est absolument incroyable!

De façon générale, l’Europe est à la traîne par rapport aux entreprises superstars. La plupart des grandes sociétés européennes ne sont pas de la première génération. Pour répondre à Oxfam, qui critique ces inégalités entre super-riches et le reste de la population (lire pages suivantes), je dirais que nous aurions bien besoin chez nous de ces self made milliardaires! Aux Etats-Unis, quatre millions de gens travaillent dans la tech. Pour un emploi dans ce secteur, cinq autres sont créés. Si ce type de succès éclatant est un problème, j’aimerais bien l’avoir en Europe. Nous avons un peu honte de l’esprit entrepreneurial. Nous craignons la prise de risques, les écosystèmes sont sous-développés, le marché européen n’est pas assez intégré…

Le trop grand écart de richesses est-il un problème?

Cet écart n’est pas un problème en soi: je ne suis pas égalitariste. Il faut célébrer le succès, surtout des nouvelles entreprises. Ces aventures éclatantes dans l’histoire de l’économie reflètent le progrès formidable de la récente mondialisation. Jamais nous n’avions connu tel rééquilibrage des richesses entre pays. L’économie mondiale est devenue beaucoup plus ouverte et inclusive.

Je ne suis donc pas de ces gens pour qui ces inégalités sont un scandale, même s’il ne faut pas être aveugle: quand il y a une concentration de richesses, il y a une concentration de pouvoir. Il faut toujours être vigilant et se demander si cela n’a pas d’effet sur le fonctionnement des démocraties. C’est une question légitime, mais je ne pense pas que l’on soit dans un système ploutocratique, où les gens richissimes domineraient la prise de décision. Certainement pas chez nous.

Aujourd’hui, on constate toutefois un autre danger. Si les tensions avec la Chine et la Russie se prolongent, ces grandes entreprises deviendront moins mondiales et leur richesse risque de diminuer. On constate en outre une intervention directe des Etats dans les économies. C’est une évolution proche de celle à laquelle on assiste en Chine: ce lien intime entre capital et politique est le vrai souci, pas la réussite individuelle. Il faut rester vigilant. Mais la meilleure vigilance, c’est la dynamique dans l’économie pour permettre l’innovation permanente, la création et la destruction d’entreprises.

Faut-il taxer les richesses comme le réclament certains? N’est-ce pas devenu un symbole?

C’est un symbole, mais c’est aussi un débat légitime. Le problème, c’est que la fiscalité n’est pas mondialisée. La seule chose que l’on ait réussi à faire, c’est une taxation minimale, mais ce n’est pas encore le régime souhaitable d’imposition des entreprises en fonction de leurs bénéfices. Soyons toutefois clairs: si ce débat est légitime, il a peu à voir avec le fait de savoir si Elon Musk mérite sa fortune, sauf à préconiser des tarifs mondiaux confiscatoires.

En Wallonie et à Bruxelles, le PTB a fait de la taxe sur les fortunes son fond de commerce …

La polarisation et le populisme sont là, c’est évident. Les inégalités ne sont pas vraiment un problème sur le plan sociétal si, en moyenne, tout le monde va dans le même sens. Malheureusement, la Wallonie connaît un décrochage structurel depuis plus de 50 ans par rapport à la Flandre. La solution n’est pas de créer davantage de barrières pour l’investissement ou l’entrepreneuriat ; ce devrait être le contraire, je crois. Il n’y a pas de lien entre le succès des superstars et le manque de succès dans certaines régions en difficulté. Pour les populistes, c’est trop facile d’affirmer cela.

Le problème se situe en bas de l’échelle. C’est celui de l’inégalité des chances, pas de l’inégalité des résultats en se comparant avec les plus personnes les plus riches de la planète. Dans le cas des régions en difficulté, il faut se focaliser sur les causes du déclin: parlons de la sociologie, de l’enseignement, des quartiers ou des ghettos dans les villes. L’inégalité entre régions est en général plus inquiétante que l’inégalité individuelle.

Ces superstars devraient être des rôles modèles et des sources d’inspiration?

Bien sûr qu’ils devraient nous inspirer. On a trop peu de success stories chez nous.

Cela va-t-il mieux en Flandre? L’économiste Geert Noels parle d’une “wallonisation de la Flandre”…

La Flandre est dans un meilleur état que la Wallonie. Il y a un esprit d’entreprendre au niveau familial. Mais la Région est dominée par les PME et on n’y trouve pas d’aventures entrepreneuriales de première génération de dimension mondiale. Ceux qui étaient potentiellement en état de le faire, comme Marc Coucke, ont vendu. La Flandre aime se comparer aux Pays-Bas, mais eux ont bol.com, Coolblue, le leader mondial des puces ASML… Il y a donc des pays d’Europe où cela reste possible. Mais c’est incomparable avec les Etats-Unis où cet esprit du risque est enraciné. Neuf start-up sur dix n’y arrivent pas. Il faut échouer parce que l’on apprend par l’échec. Ce n’est pas notre culture.

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