Les débats de la Trends Summer University: le modèle de l’abonnement est-il la panacée?

Les experts Arne Vandendriessche (Signpost Group), Guillaume Boutin (Proximus), Cyril Vart (Fabernovel) et Luc Teerlinck (ex-Decathlon). © DANN
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Proposer un service, un bien physique ou son usage sur abonnement. La tentation est grande pour beaucoup d’entreprises qui cherchent des revenus récurrents et une gestion prédictive de leur business. Mais tout n’est pas si simple, comme en témoignent nos orateurs de la Trends Summer University qui ont débattu de la question début septembre à Knokke.

Les start-up du digital et du logiciel, boostées par les possibilités offertes par le cloud, ont popularisé ces derniers temps le business de l’abonnement, longtemps réservé à la presse, aux télécoms et aux acteurs de l’énergie. Aujourd’hui, le consommateur cherche la facilité et la trouve, en partie, dans l’abonnement à des produits qui lui sont livrés à domicile à intervalles réguliers, dans des formules lui permettant l’usage de certains biens (trottinettes, voitures, etc.) ou de services dématérialisés, comme le streaming pour la musique et les films. Ce que certains appellent la “netflixisation de l’économie” semble gagner du terrain.

Par exemple, Arne Vandendriessche, le CEO du Signpost Group, partenaire TIC de l’enseignement en Flandre, propose des ordinateurs pour les élèves sous forme d’un abonnement. Et il confirme que les parents sont de plus en plus réticents à acheter. “L’évolution est significative, a-t-il insisté sur la scène de la Trends Summer University (TSU). Aujourd’hui, 32% des parents choisissent de louer plutôt que d’acheter. Il y a cinq ans, ils n’étaient que 5%…”

Sécurisant

Il faut dire que les consommateurs sont de plus en plus habitués à ce modèle. Et beaucoup d’entreprises y voient la poule aux œufs d’or. Cyril Vart, vice-président chez Fabernovel, qui a introduit le débat sur le sujet à Knokke, confirme que pas mal d’entreprises sont alléchées par ce modèle qui permet de créer une vraie récurrence des revenus. “Ce modèle peut aussi être sécurisant, souligne-t-il. Quand on dispose de 10.000 abonnés, par exemple, c’est assez facile de deviner quel chiffre d’affaires sera réalisé chaque mois, voire chaque année si l’on maîtrise son churn. Le modèle de l’abonnement offre une hyper prédictibilité.”

Ce que Guillaume Boutin, CEO de Proximus confirme évidemment, lui dont l’entreprise réalise aujourd’hui 90% de son chiffre grâce à l’abonnement. Mais là n’est pas le seul avantage de la formule. “Ce modèle constitue par ailleurs un bon départ d’up-sell et de cross-sell, enchaîne Cyril Vart. Sans compter que cela peut aussi être un bon outil de fidélisation.”

Le cercle vertueux de Decathlon

Chez Decathlon, le géant français des articles de sport, le concept d’un abonnement fait aussi l’objet de nombreux espoirs. Le groupe a déployé depuis quelque temps un projet baptisé We Play Circular. “L’abonnement n’y est pas une fin en soi mais un moyen, a commenté Luc Teerlinck, co-leader We Play Circular Decathlon jusqu’il y a peu (il a depuis quitté l’entreprise, Ndlr). Ce modèle a été choisi parce qu’on a considéré qu’il permettait d’entrer dans une approche très vertueuse pour tout le monde: les consommateurs, la planète et l’entreprise.”

Concrètement, en échange d’un forfait mensuel, le consommateur peut disposer de produits conçus par Decathlon. S’il s’agit encore d’une phase d’exploration au sein de la firme, d’origine française, l’un de ses principaux initiateurs se montre hyper-convaincu. “Il n’y a que des points positifs pour moi, a-t-il déclaré. Avec les produits qui ont la plus grande longévité (comprenez: bien plus solides, Ndlr), on peut proposer une durée de location plus longue aux clients. Une grande longévité permet donc d’augmenter la rentabilité tout en réduisant le coût pour le client. Pour moi, c’était une révélation. D’un point de vue économique, le revenu devient au final quasiment de la marge brute, avec un niveau de rentabilité qui peut aller de 40 à 70%. Pour le client, cela lui coûte entre trois à dix fois moins cher que d’acheter des produits. Et au niveau de l’impact environnemental, on divise les émissions de CO2 par 30%!” Une affirmation qui avait de quoi laisser songeurs une bonne partie des CEO belges présents à la Trends Summer University…

Tout n’est pas rose

Reste, bien sûr, que tout n’est pas que fabuleux quand on décide de se lancer dans le modèle de l’abonnement. “Une problématique pour les financiers de l’entreprise, prévient Cyril Vart, c’est qu’on est généralement amenés à échanger de la régularité contre de la performance. Quand on a un nombre important d’abonnés qui payent chaque mois un abonnement, on ne fait jamais deux fois plus de chiffre d’affaires le mois suivant.

L’abonnement impose qu’on se pose une question importante: celle de la fatigue de l’abonnement.” Guillaume Boutin (Proximus)

Sans compter que tout n’est pas toujours correctement prévisible. “Dans la gestion quotidienne, on se retrouve parfois avec des surprises, souligne l’expert de Fabernovel. Peu d’entreprises qui adoptent ce modèle pensent au coût des retours. Or, si on ne l’a pas prévu, cela coûte plus cher à traiter qu’une simple expédition, ce qui peut évidemment provoquer des soucis de profitabilité.” Et de souligner qu’aujourd’hui, si Amazon se montre si rapidement enclin à vous rembourser un produit ou à vous en renvoyer un en cas de problème, ce n’est pas pour vous faire plaisir, “mais simplement parce que cela coûte moins cher”, ricane Cyril Vart.

De manière plus fondamentale, Guillaume Boutin nous met aussi en garde contre un autre effet potentiellement dangereux. “L’abonnement impose qu’on se pose une question importante: celle de la fatigue de l’abonnement, prévient-il. Aujourd’hui, chez Proximus, on agrège des abonnements, par exemple en intégrant Netflix dans notre offre. Mais l’abondance, voire l’hyper-abondance, ne fonctionne pas forcément pour les générations plus jeunes qui veulent consommer juste et au juste prix. Le all you can eat correspond à une forme de ‘commoditisation’ (processus par lequel un produit ou un servicedifférencié par autre chose que le prix perd cette différenciation, Ndlr). La question, c’est alors de savoir comment on revient dans un modèle où l’on a à nouveau envie de consommer, comment on revient dans l’impulsion et la valeur de marque. Il faut sans doute se désintoxiquer de l’abonnement qui est un modèle de facilité et qui fait qu’on s’endort sur la valeur de la marque.”

Cette crainte, Cyril Vart l’a aussi soulignée. “Il est vrai qu’un problème peut surgir du modèle car on crée, certes, une consommation régulière mais cela fait aussi naître une pression si l’entreprise ne prévoit pas de surprise ni de renouvellement. Pour le consommateur, c’est parfois génial les premières années… et moins génial ensuite. Celui-ci devient hyper-sensible au produit, à l’animation du produit et à la capacité de la marque de se renouveler. A un moment, si le consommateur se lasse ou utilise moins son abonnement, il se posera la question de sa pertinence et de son prix.” D’où l’importance de ne pas soigner que les nouveaux (ou futurs) clients mais de chouchouter aussi les abonnés fidèles... Et de maintenir un produit de qualité irréprochable et à haute valeur ajoutée. La base!

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