Les chocs de la méthode Ryanair
Ryanair rebondit plus vite que la plupart des compagnies aériennes européennes, et l’aéroport de Charleroi en bénéficie. Celui de Bruxelles beaucoup moins. Le CEO Michael O’Leary est venu s’en expliquer.
Comme à son habitude, Michael O’Leary, CEO du groupe Ryanair, a profité d’une réunion à Bruxelles, le 17 janvier, pour rencontrer les journalistes, toujours nombreux à venir l’écouter et lui poser des questions, dans une partie de ping-pong verbal qui ne dure jamais plus de 30 minutes. Le tout dans un hôtel situé dans le quartier Louise. Cette fois, il venait annoncer cinq nouvelles destinations au départ de Charleroi pour la saison d’été, qui débute fin mars dans l’aérien. Et faire quelques mises au point.
Nous ne pouvons pas grandir dans un aéroport qui facture 11% d’augmentation.” Michael O’Leary, CEO de Ryanair
“Un nouvel avion sera basé à Charleroi, le parc passera là-bas de 15 à 16 appareils”, a-t-il précisé. L’appétit pour les voyages n’a pas faibli. La base de Bruxelles, fermée en octobre, ne sera pas rouverte, car “les charges aéroportuaires augmentent à Zaventem de 11%, nous ne pouvons pas grandir dans un aéroport qui facture 11% d’augmentation”. Le CEO souligne que Ryanair continuera à desservir Bruxelles sur 12 destinations cet été, dont Berlin, Rome ou Madrid, au départ d’autres bases. “Nous envisageons une croissance de 3% à 4% sur le marché belge”, résume-t-il, grâce à la croissance de Charleroi, qui est l’une des premières bases du groupe, avec 109 routes.
Presque 5 millions de réservations par semaine
Ainsi tourne Ryanair. La compagnie a toujours profité des crises pour voir des concurrents s’affaiblir ou disparaître, obtenir les meilleures conditions de ses fournisseurs, de Boeing aux aéroports, mettant sur le côté ceux qui refusent de négocier. Boeing a ainsi perdu une nouvelle commande faute d’avoir baissé suffisamment ses tarifs. Ryanair joue toujours le rapport de force. Elle est la compagnie européenne qui récupère le plus vite de la pandémie, elle est aussi la plus grande du continent, notamment en capitalisation boursière (voir tableau ci-dessous). Elle est en position de force et enregistre quasiment 5 millions de réservations par semaine.
La brouille avec Brussels Airport profite à son concurrent de Charleroi, dont Ryanair est le premier client, et représente plus de 80% de son trafic (Ryanair estime sa part à 31% sur l’ensemble du marché belge). L’aéroport wallon a presque retrouvé le trafic de 2019. “Nous avons dépassé les 8 millions de passagers en 2022, soit le niveau de 2019, à quelques milliers de passagers près, se réjouit Philippe Verdonck, CEO de Brussels South Charleroi Airport. Et nous sommes revenus aux bénéfices.”
La même année, Brussels Airport n’est arrivé qu’à 72% du trafic de 2019, à 18,93 millions de passagers, notamment à cause d’un retour plus lent du long-courrier. Michael O’Leary espérait une remise, pas une hausse. “C’est ce que font la plupart des aéroports qui veulent croître, a-t-il soutenu. Zaventem est l’un des trois aéroports européens les plus chers avec lesquels nous travaillons.”
13 % de passagers de plus qu’avant le covid
Le poids du groupe Ryanair (qui inclut Air Malta, Lauda Air et Buzz) se manifeste par un vif retour des bénéfices et une capitalisation boursière dominante. Sur le premier semestre de son dernier exercice, de mars à novembre 2022, il a réalisé 1,15 milliard d’euros de bénéfice net et prévoit d’afficher sur l’exercice complet, clôturé fin mars, 1,325 milliard d’euros, et 168 millions de passagers, soit 13% de plus qu’avant le covid.
Le groupe Lufthansa, auquel appartient Brussels Airlines, rebondit très bien également, mais n’a pas récupéré tout le trafic business et long-courrier. Sa valeur boursière est loin derrière Ryanair (11 milliards vs 16,57 milliards d’euros). “Des compagnies comme Lufthansa réduisent l’offre en Allemagne et en Belgique, notamment, pour limiter la concurrence, les fréquences, en affirmant que c’est une mesure environnementale, mais le but est d’obtenir des prix plus élevés”, persifle le CEO de Ryanair, qui estime pouvoir moissonner d’autres marchés moins cadenassés.
Ryanair peut se permettre de bouder les aéroports qui lui paraissent trop chers, car le groupe n’a pas de base centrale comme Air France à Paris, Lufthansa à Francfort et Munich. Elle compte 90 bases, fonctionne comme autant de compagnies différentes, avec des avions dans chaque base (16 à Charleroi, 5 à Marseille, etc.). Ryanair ajuste en permanence la flotte et les lignes, ouvre et ferme des bases en fonction des marchés potentiels, des conditions locales, pour maximiser revenus et profits.
Les avantages de cette stratégie? Exemple avec la crise financière en 2008: quand l’Irlande, pays du siège de Ryanair, a sombré, la compagnie n’en a pas subi les conséquences, puisque dépendant peu de l’économie locale.
Climat social détestable
Ce beau tableau est toutefois terni par un climat social détestable en Belgique. Deux grèves du personnel de cabine ont affecté des vols au départ de Charleroi durant les fêtes, d’autres sont prévues.
“Il pourrait y avoir deux grèves par mois tant que Ryanair ne régularise pas la situation”, explique Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE. Le syndicat reproche à la compagnie de se montrer négligente dans le calcul des décomptes. “Une fiche de salaire sur trois est incorrecte, et c’est toujours en défaveur des travailleurs. La loi n’est pas respectée. Personne en Belgique ne s’occupe des ressources humaines de la compagnie alors qu’elle y compte 500 salariés.”
Qu’ils nous fassent un procès !”
La sortie de Michael O’Leary au sujet des accusations syndicales (“qu’ils nous fassent un procès”) a fait tiquer Alain Vanalderweireldt, président de la Belgian Cockpit Association. “C’est une approche très irlandaise, anglo-saxonne, d’imaginer qu’en cas de problème, cela doit se régler au tribunal, dit-il. Ce n’est pas la pratique habituelle en Belgique où le dialogue social, la concertation, sont privilégiés.” Les organisations sociales et les tribunaux ne sont visiblement pas dimensionnés pour gérer tous les conflits de cette manière, d’où des retards et des hésitations.
A la conférence de presse du 17 janvier, Micheal O’Leary a rétorqué: “S’ils (les syndicats, NDLR) pensent que nous enfreignons la loi, qu’ils nous fassent un procès”. Felipe Van Keirsbilck reconnaît qu’après réclamation, Ryanair finit généralement par payer ce qu’il doit. “En attendant, nous faisons, comme syndicat, le travail de Ryanair en analysant les feuilles de paye incorrectes, en faisant des réclamations à Dublin, au siège. La compagnie devrait avoir deux ou trois personnes en Belgique pour gérer cela.”
Jusqu’ici, les pilotes sont restés à l’écart du conflit mais là aussi des tensions se font jour. “Elles portent sur la fin des 20% de réduction salariale consentie au plus fort du covid”, dit Alain Vanalderweireldt, président de la Belgian Cockpit Association, qui réunit les pilotes. Les pilotes auraient aussi du mal à obtenir l’application intégrale des indexations dans ce rétablissement des rémunérations.
Optimiste et prudent
Ryanair semble peu concerné par ces frictions qui ternissent son image, perturbent les passagers affectés par les grèves, mais ne freinent pas les réservations. “Nous prévoyons un total de 185 millions de passagers en 2024”, assure Michael O’Leary (l’exercice 2024 va de mars 2023 à février 2024). A Charleroi, la compagnie irlandaise espère voir passer 7,6 millions de passagers sur la même période.
Le CEO est à la fois optimiste et prudent. Ces dernières années ont montré que les vents contraires peuvent se lever sans crier gare. “Il y a toujours un risque de voir arriver de nouveaux variants du covid, que des escalades surviennent en Ukraine. Mais jusqu’ici, la forte inflation n’a pas influencé les voyageurs, ils préfèrent voyager moins cher”, poursuit Michael O’Leary, qui n’exclut pas des augmentations de l’ordre de 5 à 10%. Bloomberg Intelligence confirme: “Le risque qui se matérialise en Europe devrait toucher davantage les compagnies aériennes traditionnelles car les consommateurs se tournent vers des alternatives de compagnies aériennes à bas prix telles que Ryanair”.
Le CEO irlandais aligne les facteurs qui profitent à Ryanair: des nouveaux avions qui consomment moins: des Boeing 736 Max baptisés par Michael O’Leary “gamechangers” en cours de livraison, un coût du kérosène sous contrôle grâce au hedging (jusqu’en avril), une offre moindre sur le marché, des voyageurs américains qui affluent en Europe, grâce au dollar fort. Et des remises obtenues ici et là dans les aéroports ou de fournisseurs.
Ryanair refuse les hausses de prix quand il le peut, mais a toutefois accepté de payer un peu plus à l’aéroport de Charleroi. C’est sa contribution à un plan de restructuration pour rentabiliser cet aéroport structurellement pas ou peu profitable avant le covid. Les passagers participent aussi à leur manière, notamment avec les toilettes désormais payantes.
Charleroi reçoit plus
“Nous payons marginalement plus à Charleroi, mais la redevance est de loin meilleur marché qu’à Zaventem”, avance Micheal O’Leary. En effet, le tarif officiel de l’aéroport de Charleroi est de 2,63 euros par passager, avec une réduction de 50% à partir de 200.000 passagers, contre 24,91 euros à Brussels Airport à partir d’avril prochain, plus 8,42 euros pour la sécurité. Les frais de sécurité à Charleroi sont pris en charge par un subside de la Région wallonne qui concerne toutes les compagnies. Le tarif convenu, “marginalement plus élevé” entre l’aéroport de Charleroi et Ryanair, n’a pas été rendu public. Le grand souci de Ryanair, après les incertitudes du covid et du conflit en Ukraine, c’est de disposer de suffisamment d’avions pour absorber la croissance qui arrive, surtout que Boeing a du mal à livrer les fameux “gamechangers.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici