“L’échec est encore trop tabou” : une soirée sur le foirage, tellement nécessaire à l’entrepreneuriat

De gauche à droite : Bruno Venanzi, Pauline Michel, Melchior Wathelet et Marine Ledoyen. © Charly Pohu

Les success stories du monde entrepreneurial sont connues. Les échecs, pourtant nombreux, le sont moins. Or, ils ne sont pas une fatalité, au contraire. C’est ce que nous enseignent les participants à la première Fuckup Night en Wallonie.

Fuckup Nights, ou les nuits du foirage en français, est un événement dédié aux échecs des entrepreneurs. “Parce qu’on ne voit que trop les success stories, partout, et que l’échec est encore trop tabou”, explique l’hôte Justine Verzini. Mais l’échec peut arriver à plein de personnes et ces soirées veulent libérer la parole. La première édition wallonne s’est tenue ce jeudi soir à la Grand Poste à Liège, et Trends Tendances a pu assister aux témoignages de défaites cuisantes, de défaites injustes, de défaites victorieuses… et surtout aux leçons, très riches, qu’elles ont pu apprendre aux entrepreneurs et entrepreneuses. 

Marine Ledoyen

“Je me suis plantée et je n’en suis pas morte”, lance-t-elle d’emblée. Après un master en communication et un premier emploi qui a mené à un burn-out, Marine Ledoyen s’est lancée dans l’entrepreneuriat. Avec une associée, elle ouvre une épicerie en vrac à Liège, la première de Wallonie, annonce-t-elle fièrement. C’était en 2016. Un méga succès, retrace-t-elle : un crowdfunding complété en deux jours, une deuxième épicerie ouverte à Namur en 2018, une équipe qui grandit, des discussions pour l’ouverture d’une troisième… Puis, 2020, pandémie. L’entre-pot, magasin du centre-ville, perd deux tiers de sa clientèle. Mais comme les deux associées ont toujours “mené la barque avec prudence”, elles ont de quoi voir venir.

Mais ce ne sera malheureusement pas suffisant pour affronter les crises qui suivront : les travaux du tram à Liège, qui tiennent toujours la clientèle à l’écart, puis l’inflation. Petit à petit, les chiffres ne suivent plus. En juillet 2022, l’épicerie à Liège est mise en liquidation. Marine se souvient de ce moment comme d’une grande solitude, dans lequel elle n’a pas trouvé d’accompagnement (contrairement au lancement d’une boîte, où les solutions sont multiples). Pas de réponse donc à sa question de “comment est-ce que j’euthanasie mon bébé”. Même ressenti pour la faillite définitive et la fermeture du magasin à Namur, début 2023. “J’ai fait les comptes et sur la calculatrice j’ai vraiment vu écrit Game Over”.

L’échec est tout un cheminement, explique-t-elle. Elle l’a vécu comme un deuil, en différentes étapes : le déni, la colère d’une fermeture injuste, à cause d’éléments extérieurs, la peur, le “qu’est-ce que je vais faire après?”… “C’est très important de bien s’entourer, avec des personnes bienveillantes”, en tire-t-elle comme leçon. Leçon qui est aujourd’hui devenu son métier : au sein de Toutes des Graines du Changement, elle conseille des femmes sur l’aventure de l’entrepreneuriat, et veut forger les startuppeuses modèles de demain.

Melchior Wathelet 

Lui aussi a connu un parcours où le succès n’a fait que lui sourire. Il ne voulait jamais faire de politique, mais après ses études de droit, elle est venue le happer et il est devenu tête de liste du CDH (aujourd’hui : Les Engagés) pour la province de Liège. Avec le nom et le prénom de son père (ancien ministre-président wallon, entre autres), il n’a “pas fait beaucoup d’efforts” mais a connu une rapide ascension : député fédéral, un an plus tard plus jeune chef de groupe de l’histoire de la Chambre des représentants, puis plus jeune ministre, dans le gouvernement Leterme II. Il est également reconduit comme ministre lors de la prochaine législature, dans le gouvernement de Van Rompuy et d’Elio di Rupo. “Le succès c’est quelque chose de particulier”, se remémore-t-il. “Vous êtes comme porté, vous volez…”

Puis, peu avant les élections de 2014, arrive la première claque. Alors qu’il allait clôturer ce qui pour lui était un bilan parfait, le dossier du survol de l’aéroport de Zaventem, aussi appelé le plan Wathelet, tourne au vinaigre. “Il devait être la cerise sur le gâteau, mais c’est devenu une catastrophe”, retrace Wathelet. “Les opposants avaient un écho énorme. C’était l’enfer, tout le monde m’en parlait. On me traitait d’assassin dans la rue. Les repères s’en vont…” Mais la vraie claque ont été les traitrises internes. “Ce sont les pires, car ce sont des personnes qui sont censées vous soutenir.” En politique, les échecs sont encore plus durs, car tout le monde les voit, ajoute-t-il. C’était donc pour lui le moment d’arrêter.

Et c’est là qu’est venue la deuxième claque. Il cherchait un nouveau travail. Tout le monde le recevait et disait : “C’est génial, un profil comme le tien, avec ton réseau, ton carnet d’adresse, ton CV… Mais, tu comprends, on ne peut pas engager un ancien politique.” Un véritable délit de sale gueule, se souvient-il. Jusqu’à tomber sur un entrepreneur allemand, Ulrich Penzkofer de NRB, qui lui confie les rênes d’Xperthis (aujourd’hui devenu Zorgi). Mais cette deuxième claque lui aura été une leçon importante : “Il faut faire attention aux préjugés. Le sexe, la couleur de peau, la religion… mais aussi par rapport à ceux qui ont fuckupé. Or, l’échec est une excellente formation, il ne faut pas renoncer aux personnes qui ont eu une carrière plus rock’n’roll. C’est la valeur que j’essaie d’inculquer”, et ce au sein de Edge Consulting aujourd’hui, qui fait de la consultance opérationnelle pour aider les entreprises à forger leur stratégie.

Pauline Michel

Le succès semble être la condition sine qua non de l’échec. C’était aussi le cas pour Pauline Michel. Après ses études de journalisme (terminées en 2017), elle a lancé un média qui mélait journalisme et l’inspiration des influenceuses. Ainsi naquit In’fluence Magazine. “J’ai un parcours différent des autres intervenants. J’avais d’abord une idée, puis je suis devenue entrepreneuse”, compare-t-elle. Tout s’est alors mis en place très rapidement : le média, le magazine papier, les numéros sortent, il s’exporte même en France, l’équipe grandit…

Mais au final, Pauline n’était pas prédestinée à l’entrepreneuriat. Il y a eu des signes qu’un échec approchait, mais elle les a ignorés. Habituée aux éloges sur son projet, elle a reçu une douche froide chez un comptable. Il lui rappelle le contexte difficile pour la presse papier, où même les grands groupes peuvent avoir du mal. Mais son business coach lui dit ne pas écouter. Les financiers sont toujours trop prudents, il faut foncer. Et lorsque, plus tard, se pose soudainement la question de comment faire si l’on veut s’arrêter, c’est la même réponse : on ne s’arrête pas, on fonce. 

“Puis mon bras droit et un investisseur ont quitté le projet. Ce n’est pas un problème en soi, mais il faut avoir l’énergie pour en trouver d’autres. C’est ce qui me manquait… Moi j’étais la créative, la journaliste, pas celle qui sait gérer les finances et les équipes, qui sait trouver des partenaires et des annonceurs.” Mentalement en bout de course, elle est tombée en burn-out et a arrêté le média. Juste avant la pandémie. Une pause bienvenue, mais aussi une complication administrative : la mise en liquidation a duré trois ans, un véritable boulet au pied. “En deux ans, j’ai vécu ce qu’on vit en quinze ans, toujours à du 100 à l’heure. Mais l’échec est tout aussi brutal. Il nous désarçonne. On n’a pas les armes pour. On l’occulte, même”, résume-t-elle. Et pour précisément lutter contre cette occultation et pour armer les entrepreneurs, elle a lancé le podcast Echec réussi, où des entrepreneurs viennent s’exprimer sur leurs ratages, à côté de son travail dans le marketing.

Bruno Venanzi

L’échec peut aussi mener au succès, sait très bien l’ancien homme fort de Lampiris. En 2012, il y a une crise de l’énergie. Le gouvernement de l’époque, où siège Melchior Wathelet (regard vers le deuxième intervenant, rires dans la salle), veut bloquer les prix de l’énergie. Malgré à un engagement donné à Venanzi, qu’il n’allait pas bloquer les prix, il passe à l’acte deux jours plus tard. Pour la petite entreprise qu’est Lampiris, c’est la mort assurée. Mais Electrabel et Luminus continuent d’augmenter les prix, via un mécanisme de comparaison mensuelle. Venanzi et son associé balancent le morceau à la presse. Le scandale part comme un feu de paille. Puis lui vient l’idée de profiter de l’occasion et de baisser les prix. Pour les 30.000 nouveaux clients nécessaires pour que cette baisse soit rentable, Lampiris en récupère 100.000. Echec… et mat.

Le deuxième échec de Bruno Venanzi a cependant été moins réjouissant. C’est l’histoire du Standard de Liège, “son” Standard. “J’ai sauté dessus trop vite”, sait-il aujourd’hui. Malgré deux Coupes de Belgique et un titre de vice-champion, l’aventure s’est soldée par un échec. Tous les bénéfices ont été réinvestis pour acheter des bons joueurs et pour être champion, mais le pari n’a pas marché, donne-t-il comme exemple. Sur le terrain, les résultats ont commencé à ne plus suivre et les supporters, la presse et autres parties prenantes ont commencé à fronder. Venanzi a donc lâché les rênes du club de foot – un deuil difficile s’en est ensuivi. 

Avec le recul, il sait qu’il a cependant appris une leçon importante. Au Standard, il s’était entouré de proches et de courtisans, au Standard. Personne n’osait lui dire non pour quoi que ce soit. Mais les avis contradictoires, l’esprit critique et indépendant sont ô combien importants. Des principes qu’il garde à cœur et qu’il applique toujours, avec sa société de consultance Next5 aujourd’hui notamment.

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