Le dépliant publicitaire est-il menacé?
“Stop Pub”, ces autocollants qui fleurissent un peu partout dans les grandes villes, auront-ils raison du “folder” publicitaire? Celui-ci est manifestement sous pression. Des raisons écologiques mais aussi économiques justifient cette stratégie des distributeurs.
Le dépliant publicitaire est un incontournable pour de nombreux Belges qui souhaitent comparer les prix et trouver de l’inspiration pour leurs achats. Pas moins de 90% des Belges continuent d’utiliser fidèlement la version papier, selon l’enquête Door to Door Impact de la société Profacts, réalisée à la demande de BD Media, le distributeur de “folders” le plus important en Belgique. “C’est assez classique en période de crise et de forte inflation, les consommateurs sont sensibles aux prix”, analyse Christophe Sancy, éditeur de la revue spécialisée Gondola.
Arrêt à Bruxelles et à Anvers
Pourtant, les annonces de réduction de dépliants publicitaires se succèdent. Carrefour a communiqué l’arrêt de ses toutes-boîtes à Bruxelles et à Anvers. Delhaize va réduire de moitié l’envoi de ses folders en papier. “Au lieu de distribuer trois millions de dépliants promotionnels papier chaque semaine dans toute la Belgique, Delhaize n’en livrera bientôt plus que 1,6 million par semaine”, a déclaré l’entreprise. Aldi veut également favoriser le format numérique de son imprimé publicitaire sans pour autant supprimer la version papier. Dernière annonce? Lidl a confirmé l’arrêt de ses folders papier dans les grands centres urbains. Bruxelles, Gand et Anvers étaient déjà concernés par cette mesure mais d’autres villes devraient suivre.
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Si en Belgique la suppression des dépliants se déroule lentement, la tendance est bien présente dans les pays limitrophes. En France, par exemple, Cora a décidé de supprimer totalement la version papier de sa brochure. Un test d’un an conduit dans sept hypermarchés a montré que le groupe se portait tout aussi bien sans cet imprimé publicitaire. Cora affirme même pouvoir toucher davantage de nouveaux clients grâce à de nouveaux moyens de communication.
Une décision suivie par Leclerc qui va arrêter l’envoi de ses dépliants dès septembre, bien que ceux-ci resteront à disposition des clients à l’entrée des magasins. “La situation en France est différente, les territoires sont plus vastes et la densité commerciale n’est pas du tout la même, nuance Christophe Sancy. Les zones de chalandise sont tellement énormes qu’elles ne peuvent donc être couvertes entièrement.”
Nous avons constaté que l’arrêt des dépliants à Bruxelles et Anvers n’avait pas de conséquence sur les ventes en magasin.” Syrin Stambouli (Carrefour)
Du côté des Pays-Bas, Lidl ne distribuera plus non plus sa version papier à Utrecht. En Allemagne, Rewe avait également annoncé suivre la même décision avant de devoir faire marche arrière à la demande de ses franchisés. “Delhaize était dans la même situation il y a quelques années, se rappelle Christophe Sancy. Les indépendants sont souvent réticents à l’idée de désinvestir sur le folder, car il leur permet de communiquer localement.”
Les grandes villes ciblées
En Belgique, voilà maintenant cinq ans que Carrefour mène des tests afin d’évaluer l’impact de ses imprimés publicitaires. “C’est évidemment quelque chose que l’on mesure, on ne va pas arrêter du jour au lendemain quelque chose qui fonctionne, assure Siryn Stambouli, porte-parole de Carrefour. Nous avons constaté que l’arrêt des folders à Bruxelles et Anvers n’avait pas de conséquence sur les ventes en magasin.”
Pourquoi les grandes villes? La raison est simple: ce sont des zones où les clients surfent davantage en ligne et utilisent plus volontiers l’application. “C’est aussi là qu’on trouve le plus d’autocollants ‘Stop Pub’ sur les boîtes aux lettres, qui manifestent le refus des résidents de recevoir un prospectus papier, poursuit Christophe Sancy. L’outil devient donc de plus en plus cher et moins efficace.”
L’enseigne souligne que certains villages ou plus petites villes répondent aussi positivement à l’arrêt du folder même si cet impact est plus difficilement mesurable. A Bruxelles et Anvers, il représentait en tout 15% du volume total distribué par Carrefour.
Argument écologique
En théorie, la forte inflation et la recherche du prix le plus bas par le consommateur devraient plaider en faveur du maintien de l’imprimé publicitaire – dont le principal objectif est de mettre en avant les promotions. Pourtant, le désinvestissement progressif des distributeurs paraît manifeste. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’argument écologique. Celui-ci est largement mis en avant par les enseignes pour justifier leur décision. En réduisant de moitié l’envoi de ses folders, Delhaize économise 1.672 tonnes de papier par an, ce qui correspond à 5.517 arbres coupés, soit la taille d’une forêt moyenne. “Dans le même temps, 1.170 tonnes de CO2 ne sont plus émises, déclare Xavier Piesvaux, CEO de Delhaize. La numérisation de nos dossiers promotionnels hebdomadaires est donc une avancée importante en termes de durabilité. Cette décision a un impact majeur, notamment sur notre climat.” A noter qu’en Belgique, la plupart des dépliants étaient déjà imprimés sur du papier recyclable et issu de forêts durables.
Hausse du papier et taxe communale
Outre les considérations écologiques des distributeurs, on pointe aussi l’aspect économique. “C’est un média coûteux”, avance Christophe Sancy qui évoque les frais de distribution mais également les taxes communales. “Certaines communes sont connues pour avoir des taxes de distribution d’imprimés publicitaires très élevées, rappelle-t-il. Les commerçants font donc souvent l’impasse dans ces villes.”
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Il existe cependant une manière de contourner ou de réduire ces taxes: en diminuant le grammage du folder ou en l’envoyant de façon nominative, par exemple. Exemple: les dépliants de Colruyt, adressés individuellement. “Ceux-ci assurent un réel win-win-win, à la fois pour nos clients, nos fournisseurs et pour nous-mêmes, explique Nathalie Roisin, porte-parole de Colruyt. Nos fournisseurs reçoivent en effet un retour plus important sur les actions promotionnelles. Quant à nous, outre des économies en matière de papier et de frais postaux, nous soignons notre relation avec nos clients en leur offrant un service optimal.”
Nous examinons régulièrement les formats de notre ‘folder’ ; chaque centimètre de papier compte.” Isabel Henderick (Aldi)
Reste qu’à ces frais fixes s’ajoute la volatilité du prix du papier, qui a triplé depuis le premier semestre de 2022. “Les tests ont débuté bien avant ces hausses, ce n’est donc pas la raison pour laquelle Carrefour a décidé de réduire la distribution de ses folders”, assure Siryn Stambouli. Mais ce sont effectivement des frais en moins, reconnaît la porte-parole.
Grammage diminué
Chez Aldi, qui distribue 4,1 millions de dépliants par semaine, l’heure est aussi aux économies. Le hard discounter cherche des moyens pour réduire ses coûts sans pour autant supprimer la version papier. “Nous examinons régulièrement les formats de notre folder ; chaque centimètre de papier compte, précise Isabel Henderick, managing director marketing et communication chez Aldi Belgique. Nous avons également réduit le grammage afin de minimiser l’impact de la hausse des prix.”
Si la grande distribution réduit l’envoi de ses folders, ce sont cependant le secteur non food et l’électroménager qui sont les principaux responsables de la baisse de volume des dépliants, explique BD Media, l’entreprise qui assure 75% de la distribution de ces supports en Belgique. “On a connu une assez grande chute des volumes”, reconnaît Raf Lambrix, le CEO. Le nombre d’exemplaires que l’entreprise traite est loin d’être insignifiant: 2 milliards de dépliants annuels. Mais il était encore à près de 5 milliards il y a cinq ans. Le secteur non food est un des secteurs qui a le plus profité de la croissance de l’e-commerce. Les consommateurs sont donc plus enclins à comparer les prix directement sur les plateformes plutôt que sur un dépliant papier.
Cette tendance, bien sûr, n’a pas échappé à la grande distribution qui investit également davantage dans la communication numérique, en complément de la version papier. Les enseignes utilisent désormais leurs applications et plateformes numériques comme canal de communication personnalisé. “Le digital offre des possibilités qui n’existent pas en version papier, souligne Siryn Stambouli, citant notamment ces cas de promotions ciblées en fonction des achats. Recevoir des promotions pour des couches n’intéressepas tous les consommateurs.”
Gros potentiel
Afin de rendre son folder en ligne plus accessible et créer de nouvelles habitudes, Aldi a, lui, intégré un QR code sur les emballages de ses bouteilles de lait, par lequel on accède directement à la version numérique du dépliant. “Le papier ne sera pas supprimé mais nous encourageons nos clients à lire davantage notre version en ligne, explique Isabel Henderick. Pour le moment, sa portée n’est pas encore à la hauteur de celle du dépliant papier. Le potentiel est cependant grand: notre folder digital est parcouru pendant trois à quatre minutes, ce qui est nettement plus long que la version papier.”
Je ne pense pas que l’on aille vers la suppression du dépliant. Ne plus être présent dans un canal de communication, c’est faire un cadeau à la concurrence.” Christophe Sancy (Gondola)
Mais la communication en ligne est bien différente de celle d’un folder, où la première et la dernière pages permettent de mettre un produit particulièrement en avant, ce qu’autorise moins une plateforme numérique. “Certains ont essayé de faire migrer la logique du folder sur une application en ligne, ce qui est excessif”, ajoute Christophe Sancy qui cite en exemple à suivre la stratégie de Lidl. Dans son application, le distributeur a choisi de communiquer uniquement sur quatre produits.
Juste équilibre
La décision de supprimer ou réduire la diffusion d’un folder n’est donc pas à prendre à la légère. Celui-ci représente certes un coût croissant mais tout l’art réside dans le juste équilibre à trouver entre service rendu aux clients, aux fournisseurs, et maîtrise de ces coûts croissants. “Malgré toutes ces annonces, je ne pense pas que l’on aille vers la suppression du folder en Belgique, conclut Christophe Sancy. Ne plus être présent dans un canal de communication, c’est faire un cadeau à la concurrence.”
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