Le couple De Raedt-Verheyden s’est enrichi grâce aux analyses de sang et aux tests covid

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Plusieurs familles flamandes se sont constitué d’importants portefeuilles d’investissement au fil des ans. Elles font ainsi prospérer et croître notre économie. Trends-Tendances présente chaque mois une de ces familles souvent méconnues. Les septuagénaires Gino De Raedt et Rika Verheyden sont devenus richissimes en cédant leurs laboratoires biomédicaux CMA et Medina. Ils réinjectent aujourd’hui massivement le produit de cette vente dans l’économie (agences d’intérim, entreprises spécialisées dans la lutte contre l’incendie, commerce de médicaments, etc.) Qui est cette famille très discrète derrière le holding d’investissement Straco?

Gino De Raedt et Rika Verheyden ont vendu à l’été 2020, en pleine pandémie, leurs huit laboratoires biomédicaux flamands au français Biogroup. ‘‘Vendu’’ n’est toutefois pas le terme exact puisqu’ils ont simultanément obtenu une participation minoritaire dans le groupe strasbourgeois. Participation dont l’importance n’est pas connue. D’après un document daté d’octobre 2020 qui émane du holding faîtier Biogroup Holding, elle pourrait frôler 17% ; le reste est détenu par la famille Eimer, qui dispose de 99,06% des droits de vote.

Analyses sanguines Les laboratoires CMA et Medina ont fait la fortune de Gino De Raedt et Rika Verheyden.
Les laboratoires CMA et Medina ont fait la fortune de Gino De Raedt et Rika Verheyden. © Getty Images

Le couple n’a jamais donné la moindre interview. A l’exception de quelques prises de vue dénichées sur Google de leur fille Ann De Raedt et de son mari Nicolas De Quinnemar, aucune photo n’est disponible non plus. Nicolas De Quinnemar dirige toujours les activités de laboratoire en Belgique. Il est également administrateur du holding d’investissement familial Straco, dont le CEO est Erik van den Eynden, ancien banquier et ex-CEO d’ING Belgique (2017-2020). Erik van den Eynden dirige Straco depuis le printemps 2021. Il se refuse à tout commentaire: “Nous voulons continuer à œuvrer à la croissance de Straco en toute discrétion. Nous ne voulons pas nous trouver sous le feu des projecteurs”, est la réponse reçue à notre demande d’interview.

Le scénario de mai 2011 se répète donc. A l’époque, le laboratoire d’analyses médicales Medisch Labo Medina avait été élu Ambassadrice Supergazelles pour la Flandre-Orientale (en effet, c’est lui qui avait enregistré la croissance la plus forte de toutes les entreprises de la province). Certes flatté, Nicolas De Quinnemar s’était fendu d’un laconique “Nous sommes très heureux de cette récompense. Mais nous craignons qu’une collaboration à un article puisse nous causer des problèmes”.

Pandémie et superprofits

La discrétion est toujours de mise. Nous n’avons pu recueillir sur ce couple qui a transformé ses laboratoires en machines à cash que des commentaires distillés au compte-gouttes. CMA-Medina, qui recense aujourd’hui huit labos en Flandre, est leader sur son marché. Frederika Verheyden, dite Rika, est diplômée en biologie clinique. Lors de la création de Straco en juin 1983, elle s’était présentée comme pharmacienne, et Gino De Raedt comme analyste systèmes, bon en informatique et en management. L’alliance de compétences en biologie clinique et de qualités d’organisateur s’est à l’évidence avérée payante.

CMA-Medina analyse les échantillons de sang que lui confient les médecins généralistes. Il effectue des recherches microbiologiques, toxicologiques et immunologiques et réalise les tests d’alcoolémie demandés par la justice. Pendant la pandémie, ses laboratoires ont tourné quasiment jour et nuit. Ses marges bénéficiaires ont pulvérisé des records. Il n’existe pas de bilan consolidé pour les huit sites flamands, dont Medisch Labo Medina, basé à Termonde, est le plus important. Cette SRL a achevé l’exercice 2021 sur un chiffre d’affaires de 137 millions d’euros et un bénéfice d’exploitation de 53 millions d’euros, et versé 38,5 millions d’euros de dividendes. Sise à Herentals, la SRL Centrum voor Medische Analyse a réalisé, en 2021 toujours, un chiffre d’affaires de 121 millions d’euros et un bénéfice d’exploitation de 46 millions d’euros. Elle a distribué pour 35 millions d’euros de dividende.

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Marc Moens, ancien président de l’Absym, le syndicat des médecins, ne mâche pas ses mots à leur égard. “Gino De Raedt et Rika Verheyden étaient considérés dans le monde médical comme des pollueurs de la biologie clinique, affirme-t-il. Ils ont réduit la spécialité à une simple marchandise. Ces faiseurs d’affaires ont causé un grand préjudice moral à la sphère médicale en Belgique.”

Un biologiste clinicien, lui aussi actif dans le monde associatif et législatif, trouve la description “un peu forte”. “Il est vrai que le couple considérait le secteur sous un angle commercial. Mais il a fait de bonnes acquisitions, à l’origine d’une activité florissante. J’ai toujours bien travaillé avec Rika ; elle connaissait ses dossiers.” Un familier salue la qualité du récit entrepreneurial dans un secteur – les soins de santé – souvent encore dépourvu de logique économique.

Maigres dividendes

La reprise des labos par Biogroup a fait s’envoler le bilan de Straco mais 17 millions d’euros de dividendes à peine ont été octroyés sur le bénéfice de la vente. C’est surtout par ses investissements élevés dans d’autres entreprises que le couple De Raedt-Verheyden se distingue. Et quand Straco investit, ce n’est pas pour revendre le lendemain. La devise affichée sur son site internet est d’ailleurs “for the long run only” (pour le long terme uniquement). La liste des entreprises dans lesquelles Straco détient une participation majoritaire, ou une participation minoritaire importante, est longue. Le holding peut injecter jusqu’à 200 millions d’euros dans une seule société. Il n’investit par ailleurs qu’en Europe.

Si le couple de septuagénaires ne s’octroie que de modestes dividendes, il ne vit pas mal pour autant: golf, chasse et voitures de luxe sont ses passions. Gino De Raedt est, avec Philippe Van de Vyvere (Sea-Invest), administrateur de l’ASBL Zoute Automobile Club. Il roule notamment en Maserati. Les deux hommes partageraient aussi une passion commune pour la chasse.

Les principaux investissements du couple

• Agaris regroupe un certain nombre d’activités agricoles. Myco-Invest (culture de champignons) et Peatinvest produisent du terreau. Agaris a des filiales à Sint-Kruis-Winkel (près de Gand), à Andenne, en France, en Lettonie, en Lituanie, en Ukraine, en Pologne et en Russie.

• Biogroup: ce groupe français spécialisé dans la biologie médicale opère principalement en France, en Belgique, au Luxembourg, au Portugal et en Espagne. Ses 11.000 collaborateurs effectuent des analyses pour plus de 100.000 patients par jour. En Belgique, il est surtout connu pour ses laboratoires d’analyses de sang et de détection du Covid-19, CMA et Medina.

• Cooper est un spécialiste français des médicaments sans ordonnance. Il est dirigé par Yvan Vindevogel, originaire de Flandre-Occidentale, cofondateur d’Omega Pharma. Straco y est actionnaire au côté, notamment, de la famille Vindevogel, par l’intermédiaire d’un holding luxembourgeois. L’actionnaire principal est le fonds d’investissement CVC.

• Cedo, au Royaume-Uni, est le leader européen du marché des sacs poubelles. Ses sept usines dans le monde emploient 2.000 personnes. Straco possède les trois quarts de cette entreprise sise près de Birmingham, qui réalise un chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros.

• Compagnie du Zoute : Straco détient par l’intermédiaire d’une joint-venture conclue avec Philippe van de Vyvere une participation de près de 18% dans la société immobilière basée à Knokke, qui exerce également des activités sur les côtes française et néerlandaise. La participation de la S.A. G & P Venture (Gino et Philippe) dans la Compagnie Het Zoute est actée pour 24 millions d’euros dans les livres.

• Forum Jobs : la famille dispose, par le biais du holding Forpar S.A., d’une participation de plus de 42% dans cette société d’intérim qui compte 54 agences en Flandre et en Wallonie. Ses 220 collaborateurs mettent chaque jour 4.500 intérimaires au travail, pour un chiffre d’affaires de 135 millions d’euros en 2022.

• Incendin, située à Willebroek, est spécialisée dans la protection passive et active contre l’incendie. Elle fabrique, par exemple, des poudres et des solutions liquides destinées à rendre les panneaux de bois ignifuges ou à en ralentir la combustion. Incendin est entrée dans le giron de Straco en avril de l’année dernière. Ses 72 employés ont réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 92 millions d’euros.

• LPC Groep : sise à Etten-Leur, aux Pays-Bas, cette agence d’intérim recrute des profils internationaux dans les domaines de la restauration, de la logistique et de la technique, entre autres. Elle fait travailler chaque jour plus de 10.000 intérimaires. LPC (pour Labour Power Company) compte réaliser cette année un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros ; elle emploie 350 personnes.

• Odebrecht: on doit à ce promoteur immobilier basé à Melle plusieurs maisons et bureaux de prestige en Flandre et dans la région bruxelloise. Ainsi que des villas luxueuses sur l’île grecque de Zante (Zakynthos).

• Welten: Straco a racheté cette agence de recrutement néerlandaise spécialisée dans les postes financiers à la fin de l’an passé. Welten, dont le siège se trouve à Den Bosch, est leader du marché dans le secteur bancaire, entre autres.

• Immobilier. Straco détient divers biens dans des emplacements de premier ordre, comme le Meir à Anvers et la Veldstraat, à Gand. A Bruxelles, le holding a investi dans le prestigieux immeuble qui abrite la bijouterie Tiffany, dans le quartier Louise. Le bâtiment de sept étages appartient à la S.A. Immo Waterloo 66 ; sa valeur comptable est de cinq millions d’euros.

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