Le Clan Vanden Avenne: “Le syndrome de l’entrepreneur”

Patrick Vanden Avenne (ici en 2009) a racheté les parts du holding Vanden Avenne Vrieshuis à son frère Harold en 2016. Aujourd'hui, ce sonts ses fils qui dirigent l'entreprise. © BelgaIMAGE

Travailleurs acharnés, paternalistes foncièrement catholiques, commerçants dans l’âme… Voilà comment nos confrères flamands de Trends décrivaient le clan Vanden Avenne dans un article paru en 1995. Qu’en est-il aujourd’hui de cette famille d’entrepreneurs ouest-flandriens spécialisée dans l’alimentation pour le bétail?

Les enseignes Vanden Avenne sont omniprésentes en Flandre-Occidentale. Impossible de les ignorer. Surtout celles sur les silos en rose (porcin) des éleveurs de bétail, financées par Vanden Avenne à condition que l’éleveur s’approvisionne en aliments pour bétail chez eux.

Où en est-on aujourd’hui? Les descendants de la deuxième génération Gomard Vanden Avenne constituent la branche la plus connue de la famille d’entrepreneurs de Flandre-Occidentale. Walter Vanden Avenne (95 ans), ex-président du VEV (1984-1989), a été anobli en 1984. “A l’époque, l’organisation patronale flamande a dû batailler pour se détacher des fédérations patronales belges comme la FEB. L’affiliation était assimilée à un acte de flamingantisme économique et tous les entrepreneurs flamands n’y étaient pas disposés. Walter était un gentleman ouest-flandrien raffiné, toujours élégamment vêtu et coiffé de façon artistique, entré dans l’entreprise familiale d’aliments pour bétail plus par sens du devoir et de la famille que par véritable conviction. Il rêvait de devenir architecte de jardins.”

Le Clan Vanden Avenne:
Comme toute bonne famille ouest- flandrienne, nous avons reçu les valeurs chrétiennes en héritage.

M. Patrick et M. Harold

Ce n’est qu’à 90 ans, à l’été 2017, que Walter a démissionné de sa fonction d’administrateur délégué du groupe. En réalité, ses fils Patrick (68 ans) et Harold (64 ans) étaient déjà aux commandes depuis plusieurs décennies. Les deux frères ont tous deux épousé une fille du baron Lucien Vlerick, soeurs de Philippe Vlerick (67 ans), sous-président du conseil d’administration du groupe KBC et Trends Manager de l’Année 2006. Le paternalisme d’inspiration catholique a toujours été leur marque de fabrique. “Monsieur Patrick et Monsieur Harold connaissent chaque employé par son prénom. Ils ne sont pas avares en compliments et en tapes dans le dos”, indiquait un employé en 1995. Le vendredi saint, l’usine cessait de tourner un quart d’heure. Et une messe était célébrée avant la fête du personnel.

Le holding Vanden Avenne Vrieshuis est aujourd’hui dirigé par la cinquième génération: Thomas (39 ans) et Maurits (34 ans), fils de Patrick qui a racheté les parts de son frère Harold en 2016. “Comme toute bonne famille ouest-flandrienne, nous avons reçu les valeurs chrétiennes en héritage, précise une figure clé de la famille. Mais c’est terriblement vieux jeu. Ces valeurs n’ont plus vraiment cours dans la jeune génération. Pas plus que le paternalisme”. L’éventail des activités s’est considérablement élargi. Deux grandes usines d’aliments composés ont ouvert leurs portes à Ooigem et à Floreffe. Fort d’une production de 625.000 tonnes par an, le groupe devient ainsi un des principaux acteurs du marché. La production totale belge s’élève à 7,3 millions de tonnes, selon l’organisation sectorielle BFA. Mais le holding englobe également d’autres activités, comme les viandes de porc et de poulet, vendus souvent sous les marques de la grande distribution. Il compte aussi une usine de viande halal à Hasselt.

Nous sommes évidemment très fiers de nos ancêtres. Les nombreux récits d’entrepreneuriat sont une source d’inspiration.” – Nicolas Vanden Avenne

La société Vanden Avenne Vrieshuis a réalisé l’impressionnant chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros en 2020. Apparence trompeuse s’il en est car pas moins de 412 millions d’euros ont dû être déboursés pour l’achat de matières premières. Comme le rappelle la guerre en Ukraine, le prix des matières premières fluctue énormément. Jamais les marges bénéficiaires n’ont été aussi maigres. Entre 2017 et 2019, le holding a même encaissé une perte nette après remboursement des coûts de crédit. L’entreprise compense ses faiblesses en développant ses activités dans d’autres maillons de la chaîne alimentaire. Il n’empêche, les prix sont fixés au niveau européen, voire mondial. Et l’avenir se présente un peu moins rose (porcin? ) puisque l’accord sur les épandages d’azote du gouvernement flamand devrait entraîner une diminution du cheptel porcin flamand de l’ordre de 30% d’ici à 2030.

Prêtre ou négociant en céréales?

Le groupe Vanden Avenne Commodities, actif notamment dans le commerce de produits agricoles tels que céréales, soja, colza et tournesol, enregistre, lui, de meilleurs résultats. Cette branche du holding s’inscrit dans la continuité de l’aventure familiale entamée par Zéno Vanden Avenne en 1889. L’arrière-grand-père a démarré un commerce florissant de produits agricoles à Ooigem, le long du canal de la Lys vers Roulers. 1962 a marqué la scission de la production d’aliments pour bétail et de l’activité commerciale. Cette dernière a été confiée aux descendants de Medard, aujourd’hui représentés par Xavier Van den Avenne (54 ans), administrateur délégué, et sa cousine Bernadette (66 ans). Ils possèdent chacun la moitié des actions du groupe. D’autres membres de la famille sont également actionnaires de toute une série d’activités par l’entremise de la S.A. Vandema. Les marges bénéficiaires de cette entreprise sont elles aussi très étroites. Son chiffre d’affaires de près de 1 milliard d’euros (moyennant une fois de plus des coûts élevés pour l’achat des matières premières) a permis de dégager un bénéfice de 24 millions d’euros lors de l’exercice comptable précédent mais le bénéfice net est sensiblement plus élevé de 50 millions d’euros grâce à des frais financiers moins élevés et des participations minoritaires qui ont eu pour effet de booster le bénéfice. Et notamment la participation de 29% dans Alco Bio Fuel, producteur de biocarburants au port de Gand, qui distribue de plantureux dividendes.

Xavier est lui aussi pétri de paternalisme d’inspiration catholique. Son oncle Toon était missionnaire en Afrique. “Mon père Ignace a failli devenir prêtre, confie l’administrateur délégué, un brin songeur. Une de mes tantes, nonne, a consacré toute sa vie au travail social aux Etats-Unis. Une autre tante travaillait au CPAS d’Izegem. Cela tient à notre idéalisme, notre volonté de faire quelque chose de bien pour la société. Il ne suffit pas de réussir en affaires. Il faut aussi prendre soin de ses collaborateurs.”

“L’entreprise familiale n’est pas un réseau de cousinage”

Nicolas Vanden Avenne
Nicolas Vanden Avenne© PG

La famille Vanden Avenne est l’exemple même d’un morcellement réussi. Chaque branche de la famille a développé sa propre activité. La scission a débuté dès la deuxième génération. Pour la famille, trois à quatre membres du clan actifs par entreprise sont un grand maximum. “Pas question de faire de l’entreprise familiale un réseau de cousinage”, commente Guillaume Vanden Avenne Aussi surprenant que cela puisse paraître, les sites internet des différentes entreprises mettent en exergue l’histoire familiale et rendent hommage au père fondateur Zéno. Il n’existe toutefois pas de structure centrale. Nicolas Vanden Avenne, représentant de la cinquième génération (lire aussi l’encadré “Que font les nouvelles générations?”) se voit parfois poser la question: à quelle branche appartenez- vous? “Je dois chaque fois faire des recherches, même si je connais mes nombreux cousins et cousines, cousins germains et cousines germaines”, dit-il. La famille compte d’innombrables descendants jusqu’à la septième génération.

Jozef Lievens, éminence grise des Entreprises familiales flamandes et administrateur délégué de l’Institut de l’Entreprise familiale, est mitigé sur la question. “Vanden Avenne pourrait passer pour un bel exemple de morcellement, estime-t-il. La collaboration à long terme ne réussit pas toujours. Des disputes au sein de la famille éclatent tôt ou tard. Se forment alors plusieurs cercles restreints de propriétaires et se pose la fameuse question philosophique. A Bruxelles et en Wallonie, certaines familles ont réussi à construire de grands empires: AB InBev, Boël, Solvay. En Flandre, il y a bien la famille Colruyt mais pour le reste, c’est avant tout une question d’ego et de court terme. Avec une seule personne appelée à devenir le leader incontesté. Le capital ne peut s’utiliser qu’une fois. Celui qui doit racheter la part d’autres actionnaires met un peu plus en péril le développement ultérieur de l’entreprise.”

Morcellement

Voilà pour les deux principaux groupes familiaux Vanden Avenne. D’autres membres du clan se sont rendus célèbres dans le monde de l’entrepreneuriat mais dans une dimension financière et économique souvent moindre. Impextraco est ainsi une grosse entreprise aux mains des descendants de Georges, troisième rejeton de la deuxième génération. Ses petits-fils Marc (61 ans) et Yves Vanden Avenne (58 ans) ont acheté l’entreprise de Heist-op-den-Berg en 1987 grâce au rachat par le chevalier Walter Vanden Avenne des parts de leur père Arsène dans les activités d’Ooigem. Yves a épousé Veronique Van Hool (56 ans), descendante du constructeur éponyme de Koningshooikt, dont les parts ont été rachetées en 1999. Impextraco fournit des micro-ingrédients tels que des vitamines, des sels minéraux et des acides aminés aux premixers et aux gros fabricants d’aliments pour bétail. L’entreprise et ses filiales en Chine, au Mexique et en Thaïlande ont réalisé un chiffre d’affaires de 129 millions d’euros lors du dernier exercice comptable. Avec un bénéfice d’exploitation de 7 millions d’euros, Impextraco peut se vanter d’une marge bénéficiaire d’exploitation plus élevée que celle des deux entreprises historiques de la famille Vanden Avenne. Une filiale au Brésil affiche des résultats encore meilleurs.

Il ne suffit pas de réussir. Nous voulons faire quelque chose de bien pour la société.” – Xavier Van den Avenne

Le morcellement est plus marqué au niveau de la quatrième branche centrale, autour de René Vanden Avenne. Le descendant de la deuxième génération n’a pas tardé à faire sécession pour se focaliser sur le lin. Quand l’industrie linière a montré les premiers signes d’une mort lente mais certaine dans les années 1960, ses descendants se sont lancés dans la fabrication de panneaux d’aggloméré. Spanogroup, un des leaders du marché européen, a été vendu en 2013 à Ackermans & van Haaren, le groupe ouest-flandrien de matériaux de construction. Le bénéfice de la vente a été partagé entre les différents rejetons de la famille. Un des plus gros actionnaires était le couple Jan Ide (63 ans) et son épouse Katrien Vanden Avenne (63 ans), petite-fille de René.

Que font les nouvelles générations ?

Représentant de la cinquième génération, Nicolas Vanden Avenne (42 ans) mène lui aussi une carrière d’entrepreneur. A 23 ans, il crée sa propre entreprise, la SPRL Ocular, à Wingene. Il dirige de main de maître son entreprise modeste mais bénéficiaire depuis bientôt 20 ans. “Ocular conçoit, développe et produit pour le compte d’entreprises la technologie inhérente aux espaces publics, tels que les salles de délassement. Nous avons créé un centre d’innovation et d’expérience dans le quartier de La Défense à Paris pour Worldline, fournisseur de terminaux et de services de payement. Nous avons créé un centre d’expérience axé sur la cyberdéfense pour l’opérateur téléphonique Orange.” Ocular a aussi lancé son propre produit, Xperify. “Il s’agit d’une plateforme pour les clients commerciaux. Une forme interactive de présentations de produit par exemple, pour les clients des entreprises.”

Nicolas descend de la branche René. Son père Bernard a longtemps travaillé chez Spanogroup, le fabricant de panneaux agglomérés. “Notre famille a l’esprit d’entreprise dans le sang. J’ai su dès mon plus jeune âge que je n’y échapperais pas. Nous sommes évidemment très fiers de nos ancêtres. Ma famille est passée du lin aux panneaux agglomérés. Cette flexibilité et les nombreux récits d’entreprenariat sont une source d’inspiration et créent des liens entre nous.”

HAROLD Et JOANNE Vanden Avenne (en 2009):
HAROLD Et JOANNE Vanden Avenne (en 2009): “Nous voulons garder les histoires de famille dans le cercle privé.”© J. VERMEERSCH

Laura et Valérie, les filles de Marc et Yves Vanden Avenne d’Impextraco, dirigent l’entreprise SA Azingro, dans le même zoning industriel. L’entreprise, modeste mais bénéficiaire, fabrique des ingrédients pour produits alimentaires et de santé, notamment des compléments alimentaires, des aliments pour bébé, pour sportifs et pour animaux domestiques. Leur neveu Guillaume (28 ans) a fondé la SPRL Topo4D en 2019. Le bureau de géomètres recourt à des drones notamment pour effectuer les mesurages. Guillaume a par ailleurs investi dans la Résidence Ter Walle à Bruges, qui exploite des serviceflats. “Tous les membres de cette famille souffrent effectivement du syndrome de l’entrepreneur”, explique ce représentant de la cinquième génération.

Joanne Vanden Avenne (35 ans) est, elle aussi, tombée dans la marmite de l’entrepreneuriat. Avec sa Concept Vanden Avenne, cette représentante de la cinquième génération est active dans la mode. Le succès financier n’est pas encore au rendez-vous car jusqu’en 2020, seuls les exercices comptables de 2018 et 2019 se sont avérés bénéficiaires. En 2009, dans une interview accordée à Trends, Joanne disait vouloir se focaliser sur le prêt-à-porter féminin du segment supérieur. Elle n’a pas souhaité participer à ce portrait de famille. “Nous préférons garder nos histoires de famille dans le cercle privé”, nous a-t-elle expliqué dans un courriel.

Vanden Avenne ou Van den Avenne?

Le nom de famille de Zéno, le père fondateur, s’écrivait Van den Avenne, en trois parties, jusqu’en 1930, comme l’attestent d’anciennes factures. L’orthographe a été modifiée plus tard (impossible de savoir quand exactement) par un fonctionnaire communal négligent… Mais le nom de Xavier Van den Avenne s’écrit toujours en trois parties, “quand bien même mon entreprise s’appelle Vanden Avenne du fait d’une erreur commise à la maison communale”, affirme l’administrateur délégué. La faute à un fonctionnaire, une fois de plus…

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