La stratégie de Leonidas pour ne pas augmenter ses prix
La marque de chocolat fête cette année ses 110 ans. L’occasion de rencontrer son CEO qui a assuré que les prix n’augmenteraient pas malgré la hausse des matières premières et de l’énergie. L’entreprise compte devenir un incontournable en maintenant ses prix bas.
“Je suis un CEO mais surtout un père et un citoyen, explique Philippe de Selliers. Je ne lancerais jamais un produit que je n’estime pas bon pour mes enfants.” Grand fan de l’Afrique du Sud où il se ressource quelques fois pendant l’année, Philippe de Selliers est CEO de Leonidas depuis 2017. Il avoue manger plusieurs pralines tous les jours. “Une question d’équilibre”, précise-t-il. Son management? Il le décrit comme humain avant tout. “Faire du business pour faire du business, c’est une vision complètement dépassée.” Si la durabilité n’a pas toujours été sa préoccupation première, il assure que cela a changé grâce à ses enfants qui l’ont éduqué et sensibilisé. Trends- Tendances l’a rencontré à l’occasion des 110 ans de la marque de chocolat.
Manger du chocolat n’est pas une obligation, c’est du plaisir. Et payer plus cher enlève ce plaisir.”
– TRENDS-TENDANCES. Quelle est la recette qui explique le succès de Leonidas depuis 110 ans?
PHILIPPE DE SELLIERS. Leonidas combine des produits de qualité supérieure grâce à ses ingrédients frais et naturels, comme le chocolat belge, 100% pur beurre de cacao. Ces produits sont proposés à un prix le plus accessible possible. C’est aussi un réseau de magasins spécialisés qui offrent une expérience aux consommateurs.
– Vous avez assuré que le prix de vos chocolats n’augmenterait pas. Vous maintenez donc cette stratégie des prix les plus bas?
Oui, c’est une stratégie assez spécifique aujourd’hui puisque l’ensemble des entreprises – pas seulement les chocolatiers – ont augmenté leurs prix. Je peux comprendre cette augmentation puisque tous les coûts sont en hausse.
– Pourtant, les prix de l’énergie, des matières premières, des coûts de production ont augmenté…
Oui, mais nous voulons éviter d’alimenter cette spirale infernale des prix qui suivent l’inflation et maintenir nos prix bas autant que possible. En deux ans, on a augmenté nos prix de seulement 3%, ce qui est très faible. On considère que c’est notre mission parce que manger du chocolat n’est pas une obligation, c’est du plaisir. Et payer plus cher enlève ce plaisir.
– Comment absorbez-vous ces coûts?
Tout d’abord, nous sommes une entreprise familiale, ce qui est un avantage dans ce genre de situation puisqu’on peut accepter éventuellement de prendre ce risque. Nos actionnaires ne sont pas des inconnus, on peut donc facilement leur expliquer notre stratégie. Bien sûr, il y a une recherche d’optimisation des coûts mais nous espérons surtout que le consommateur nous le rendra. Si aujourd’hui, Leonidas offre un prix stable alors que les concurrents augmentent le leur, la qualité de nos produits nous rend incontournables par rapport à tous les autres.
– Par rapport aux concurrents, voulez-vous dire…
Pas seulement par rapport aux autres chocolatiers mais aussi par rapport à tous les autres produits de plaisir. Regardez, par exemple, le prix des fleurs et des bougies: ces produits ont très fortement augmenté alors qu’aujourd’hui, vous pouvez offrir 100g de pralines Leonidas pour 3,10 euros, ce qui est quand même très accessible. Avec cette stratégie, Leonidas se positionne aussi comme un cadeau incontournable et peut attirer des nouveaux consommateurs.
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– L’objectif est donc d’augmenter le volume?
En tout cas, si la stratégie fonctionne, l’augmentation du volume va compenser la perte de marge par kilo vendu.
– Cela signifie que vous acceptez de rogner sur les bénéfices?
Oui, si les volumes ne compensent pas la totalité des pertes de marge. Nous sommes conscients de ce risque.
– C’est un risque que vous pouvez vous permettre si l’on en croit la publication de vos résultats: Leonidas a réalisé le meilleur chiffre d’affaires de son histoire pour l’année 2022…
Effectivement, nous avons dépassé nos prévisions et avons engrangé 22% de revenus supplémentaires (à 97 millions d’euros). Cela a été possible grâce, notamment, à un réseau de franchisés (95% des points de vente Leonidas) qui a retrouvé toute sa vigueur. Nous avons continué à investir du temps, de l’énergie et des moyens, notamment dans les aéroports, pour rebondir après la crise sanitaire.
40 pays
Pénétration du groupe Leonidas dans le monde, via 1.300 points de vente.
– Quelles sont les perspectives pour l’exercice en cours?
Nous espérons une nouvelle croissance à deux chiffres de nos revenus et un maintien de l’Ebitda, à 17 millions d’euros. Cela passera par une extension du parc de nos magasins. C’est amusant parce qu’on fait des business plans à long terme alors qu’en fait, nous sommes très dépendants de facteurs extérieurs comme la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine.
– Vous comptez 1.300 magasins dans 40 pays dans le monde. Lorsque vous parlez de l’extension de votre parc de magasins, vous ciblez encore la Belgique?
Non, nous avons déjà 400 magasins en Belgique et donc un réseau assez dense. On veut que les magasins soient viables. Il ne faut donc pas les multiplier à outrance. Il y a d’ailleurs très peu de chocolatiers qui offrent ce service de vente uniquement dans les magasins spécialisés. En Belgique, on a cadenassé le marché mais le potentiel reste énorme… Vous savez combien de pralines mange un Belge en moyenne? Une toutes les trois semaines, ce qui est incroyablement peu! Notre objectif est d’arriver à une praline par jour. Notre business peut donc encore être multiplié, mais sans forcément ouvrir de nouveaux magasins.
– Vous ciblez donc d’autres marchés?
Les marchés limitrophes comme la France, les Pays-Bas et le Luxembourg sont nos marchés prioritaires parce que nos marques sont très connues. En France, l’objectif est d’ouvrir 500 magasins afin d’avoir une couverture nationale. Pour le moment, nous en avons 300, ce qui est très peu.
L’Allemagne est un énorme marché aussi mais il y a une très grande concurrence. La Roumanie est un marché incroyable en Europe, c’est le plus important après la Belgique, la France et les Pays-Bas. Il y a un vrai potentiel dans les pays de l’Est.
– Et hors Europe?
Je dirais qu’il y a trois pays où nous avons un potentiel de développement: le Japon, où l’on a 35 magasins, les Etats-Unis et le Canada.
– La situation est délicate aux Pays-Bas. L’entreprise familiale Min, qui est le plus grand distributeur de Leonidas, a fait faillite. Où en est-on?
La société Min avait 20 magasins. Nous avons la volonté de reprendre une partie d’entre eux mais on ne sait pas si on réussira. Ce sont des magasins situés dans des endroits clés. L’objectif est de les gérer comme des succursales de Leonidas. Il y a notamment celui de la galerie commerçante de l’aéroport de Schiphol qui est très important.
– Vous avez renforcé votre présence dans les aéroports et dans les lieux touristiques. Ce sont des lieux qui ont particulièrement souffert de la crise sanitaire. Cela a-t-il remis en cause votre stratégie?
Pas du tout. Nous avons un gros business travel retail. Bien sûr, il y a un impact dans les lieux de passage: les gens se déplacent moins souvent à cause du télétravail et le tourisme n’a pas encore complètement repris. Les Asiatiques et les Américains, qui apprécient énormément le chocolat belge, ne sont pas encore revenus. Pour nous, les aéroports sont un business très important. Nous avons continué à nous y développer. Nous sommes présents dans 30 aéroports supplémentaires, dont Londres Heathrow et Francfort, les plus grands d’Europe. Mais aussi Madrid.
– Que représentent-ils en termes de volume?
Les aéroports représentent 5 à 6% du volume total mais on pourrait atteindre la barre des 10% quand le tourisme hors Europe reviendra. C’est pour nous une excellente vitrine et cela nous permet de surfer sur l’attrait des touristes pour le chocolat belge.
– Vous avez dû également développer l’e-commerce. Est-ce compliqué de vendre du chocolat en ligne?
La plus grande difficulté pour nous c’est la qualité de la livraison. Il y a plusieurs choses auxquelles il faut faire attention. D’abord, nos produits doivent être maintenus à une certaine température. Il faut aussi que le produit livré soit présentable. Cela implique d’avoir des emballages compacts pour que les chocolats ne bougent pas. On essaye d’offrir un maximum de choix mais il faut que ça reste opérationnellement possible. Et le prix de la livraison doit également rester accessible.
– Que représente l’e-commerce?
Environ 2%.
– En termes de durabilité, que fait votre entreprise?
Nous sommes passés à 100% de chocolat durable il y a un an. Le mot durable est un mauvais mot parce qu’on n’est jamais assez durable. Cela implique d’augmenter les revenus des producteurs, de s’assurer qu’il n’y ait pas de déforestation, pas de travail des enfants, etc. On réduit également les kilomètres entre nos fournisseurs et l’usine.
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– La construction d’une nouvelle usine est d’ailleurs prévue…
Oui, elle va nous permettre de réduire considérablement notre empreinte carbone. Pour ce faire, nous allons utiliser des énergies renouvelables comme la géothermie. L’usine sera également équipée de panneaux solaires et vise la certification BREEAM Excel-lent. Cette dernière souligne la démarche environnementale de l’ensemble du projet. Elle prend en compte la santé et le bien-être des travailleurs, la gestion de l’énergie et de l’eau, le transport, la mobilité, les matériaux utilisés et la gestion des déchets.
– Vous quittez Bruxelles pour Nivelles. C’était compliqué de rester à Bruxelles?
C’était très difficile, voire impossible. Nous avons besoin d’un grand terrain et Bruxelles ne dispose pas de beaucoup de choix. Je dois dire que le gouvernement bruxellois a essayé de trouver des solutions, mais le prix des terrains y est bien plus élevé qu’en Wallonie.
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En termes de logistique également, la localisation de Nivelles est plus intéressante…
Effectivement. A Bruxelles,même si l’on s’entend bien avec les voisins, ceux-ci seront sûrement contents de ne plus avoir les camions qui passent continuellement dans leur rue.
– Vous investissez également dans le pôle R&D. Comment peut-on encore innover dans le chocolat?
Il faut constamment s’adapter aux tendances alimentaires. La plus grande difficulté, c’est la transition entre le laboratoire et la ligne de production. La nouvelle usine permettra de tester plus facilement nos produits grâce à des mini-lignes de production afin de voir ce qui est réalisable.
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