Critères ESG : “Si l’intention n’est pas sincère, gare à l’effet boomerang”

La directive européenne sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) doit être transposée dans le droit belge au plus tard pour la mi-2024.

Quels sont les enjeux pour les sociétés qui devront se conformer à ces critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ? Le point avec Marek Hudon, professeur à l’ULB et co-initiateur de la Sustainable Finance (SuFi) Masterclass.

Quels sont les enjeux pour les entreprises en Europe qui devront se conformer à la directive CSRD dès 2024

L’enjeu est de passer d’une stratégie minimaliste, dite de compliance, soit répondre aux règles et aux demandes sans en faire beaucoup plus, à une stratégie maximaliste qui s’inscrit dans la tendance lourde du big data. Toutes ces données supplémentaires collectées dans les entreprises devront être connectées afin de mieux comprendre leurs activités, leur impact et les relier à des évolutions de marché. Cela représente un coût mais aussi une opportunité de mieux comprendre son entreprise et monitorer son impact.

On perçoit un certain déséquilibre dans l’importance donnée aux différents critères…

Au niveau européen, le parent pauvre, c’est clairement le critère social. La taxonomie environnementale européenne est, quant à elle, bien avancée. Mais, vu l’absence de taxonomie sociale, c’est comme si l’on s’était arrêté à mi-chemin. C’est un problème qui doit être résolu dans les années à venir. Quand il n’y a pas de clarté sur une dimension, ce n’est positif ni pour l’entreprise ni pour le consommateur qui se demande si l’action d’une entreprise est sincère.

De nombreux acteurs visent le niveau 9 de la taxonomie environnementale, le plus élevé, afin d’attirer notamment davantage de financements, mais aussi d’en obtenir de moins chers. Il y a de nombreux avantages à respecter cette taxonomie. Elle aura un grand rôle à jouer dans le futur. Et une dynamique similaire pourrait émerger sur la dimension sociale. Appréhender et mesurer le social n’est évidemment pas chose aisée, mais de nombreux indicateurs existent, par exemple sur les droits humains, les droits sociaux. Tout en restant prudent, si on se concentre trop sur certains indicateurs en particulier, d’autres dimensions sociales ou environnementales seront mises de côté. Pour le critère environnemental, on ne doit pas se focaliser uniquement sur le climatique, pour le social, pas uniquement sur les droits humains, par exemple. Et il est par ailleurs nécessaire de lier, intégrer l’environnemental au social. Un sacré chantier encore en friche !

Comment ne pas virer au greenwashing et rester authentique dans le respect de ces critères en tant qu’entreprise ?

Ce qui est important pour une entreprise, c’est de montrer une cohérence à travers une raison d’être et une gouvernance qui intègre et encadre ces finalités dans l’ensemble de ses actions. Et cela, pour ne pas avoir l’impression qu’elle respecte une simple obligation. Sur le court terme, on coche peut-être une case, mais sur le long terme, des critiques pourraient émerger. Si l’intention n’est pas sincère, gare à l’effet boomerang. Ces mécanismes de gouvernance internes peuvent, de cette manière, assurer la sincérité d’une société dans les actions qu’elle prend. Les indicateurs qui permettent de suivre ces données sont donc essentiels. Des études montrent que pas mal d’employés doutent de l‘action sociétale de leur entreprise. Selon des statistiques françaises, autour de 40% ressentent une certaine dissonance entre leurs valeurs et le quotidien dans leur entreprise. C’est un argument important vu les difficultés de recrutement actuelles sur le marché du travail.

Peut-on concilier performance économique et impact social et environnemental ?

D’un point de vue scientifique, la littérature dit qu’il n’y a pas de corrélation claire, ni positive, ni négative sur cette question. Cela permet d’attirer de nouveaux investisseurs qui sont séduits par les valeurs et le positionnement d’engagement sociétal d’une société. Dans certains secteurs, le fait d’être plus actif environnementalement est aussi positif. Des économies en termes de ressources peuvent en effet être réalisées. Ces entreprises ont également moins de dépendance vis-à-vis des matières premières. Ces éléments sont intéressants dans le contexte économique actuel. Mais, ce n’est pas toujours le cas. Il ne faut pas négliger que certains engagements sociétaux forts peuvent aussi avoir un coût. Ils nécessitent des investissements peut-être moins rentables que d’autres. Dans un monde où ces informations vont circuler de plus en plus, ces investissements durables à forte valeur ajoutée pourront être valorisés.

Expliquez-nous la différence dans la manière de gérer les critères ESG selon que les entreprises soient américaines ou européennes ? 

Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, le manque d’impact de l’analyse ESG est critiqué par certains acteurs tant parmi les pionniers que les plus chevronnés. La crainte qu’ils ne soient davantage une obligation qu’une réelle volonté de transformation d’une organisation se fait ressentir. D’un côté, il y a donc une tendance générale à être plus exigeant avec les analyses ESG, à être plus attentif sur leur impact et leur caractère transformatif. Mais, d’un autre côté, dans certains milieux aux Etats-Unis surtout, il y a une critique de ces critères de durabilité. Il y a comme une remise en question d’une certaine vision du risque fiduciaire. La crainte vient du fait que l’entreprise ne devrait s’occuper que de ses intérêts financiers, économiques et de profitabilité. Certaines personnes, notamment les plus conservateurs, estiment qu’en travaillant sur l’ESG, l’entreprise se concentre sur autre chose que la maximisation des profits, qu’elle se détourne de ses objectifs de rentabilité. Les critiques émanent de nombreux acteurs différents, ce qui en fait une question très polarisée.

ESG, stop ou encore ?

Un webinaire organisé dans le cadre du lancement de la deuxième édition de la SuFi Masterclass (ICHEC, ULB, UNAMUR), reviendra ce jeudi 23 mars (18h) sur ce débat, sur le thème « ESG : Stop or continue? ». Intervenants : Sophié Béreau (UNAMUR), Etienne de Callataÿ (Orcadia), Christel Dumas (ICHEC), Marek Hudon (ULB) et Thierry Philipponat (Finance Watch)

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