Trois décisions économiques européennes dont nous n’avons pas fini d’entendre parler
Des décisions économiques importantes ont été prises au niveau européen cette semaine. Des décisions qui risquent de provoquer de nombreux remous. Seul l’avenir dira si l’Union européenne parviendra à rester ferme et à ne pas perdre la face. La preuve par trois.
Le nouvel épisode avec la Hongrie
L’UE est toujours enlisée dans son bras de fer avec la Hongrie depuis que Budapest, menacé de perdre 13 milliards d’euros de fonds européens, bloque plusieurs dossiers cruciaux. Parmi ceux-ci, il y a celui de l’aide financière à l’Ukraine et le projet d’impôt minimum sur les bénéfices des multinationales conclu au sein de l’OCDE. La Hongrie s’oppose aussi à de nouvelles sanctions contre la Russie, avec qui elle maintient des liens, et reste le seul pays de l’OTAN avec la Turquie à ne pas avoir ratifié l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance atlantique.
Fin novembre, la Commission a recommandé aux États membres de suspendre 7,5 milliards de fonds de cohésion qui devaient être versés à la Hongrie dans le cadre du budget 2021-2027. Et si elle a validé le plan de relance hongrois post-Covid, doté de 5,8 milliards d’euros, elle en a conditionné le paiement à la mise en oeuvre de réformes pour améliorer la lutte anticorruption et l’indépendance de la justice. La procédure dite de “conditionnalité” destinée à protéger le budget européen des atteintes à l’État de droit, une première pour l’UE, a été lancée contre la Hongrie en avril en raison “d’irrégularités systématiques dans les passations de marchés publics” ainsi que de “défaillances” en matière de poursuites judiciaires et de lutte contre la corruption.
Sous pression, Budapest a déjà adopté 17 mesures pour répondre aux inquiétudes de Bruxelles, dont la mise en place d’une “autorité indépendante” destinée à mieux contrôler l’utilisation des fonds de l’UE, soupçonnés d’enrichir des proches de Viktor Orban. Malgré les efforts consentis pour engager les réformes réclamées, Bruxelles a jugé l’effort encore insuffisant. Les États membres ont jusqu’au 19 décembre pour se prononcer sur la suspension des 7,5 milliards d’euros de fonds de cohésion. Le paiement des 5,8 milliards du plan de relance sera également conditionné à la mise en oeuvre des réformes promises. Et sur ce dossier aussi, le temps presse. Si le plan n’obtenait pas le feu vert avant la fin de l’année, 70% des fonds seraient perdus.
Plusieurs diplomates estiment que la résolution du problème hongrois pourrait remonter jusqu’au plus haut niveau, c’est-à-dire au sommet des chefs d’État et de gouvernement prévu les 15 et 16 décembre. D’ici là, de nouveaux rebondissements ne sont pas exclus.
L’UE, le plan climat américain et les “distorsions” de concurrence
Le second exemple est la réaction cinglante de la présidente de la Commission européenne à l’approbation par le président américain Joe Biden d’un investissement climatique de 370 milliards de dollars dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA).
Un peu plus tôt cette semaine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a estimé que l’UE doit prendre des mesures de “rééquilibrage” pour aplanir les “distorsions” de concurrence causées par les subventions américaines massives du grand plan climat de Joe Biden. L’IRA adopté cet été par Washington prévoit 370 milliards de dollars d’investissements en faveur de la lutte contre le changement climatique, destinés à financer la construction d’usines, d’éoliennes et de panneaux solaires, ou encore des primes pour l’achat de véhicules électriques à condition qu’ils sortent d’une usine nord-américaine.
Mais pour l’Europe ces aides exceptionnelles sont contraires aux règles du commerce international, susceptibles de saper la compétitivité des entreprises européennes déjà pénalisées par la flambée des prix énergétiques. Pour von der Leyen, l’UE “doit simplifier et adapter” ses règles très strictes régissant les aides publiques accordées par ses États membres, afin d’offrir aux gouvernements “une souplesse accrue” et de proposer aux entreprises “un cadre plus prévisible et compréhensible”.
Ursula von der Leyen plaide aussi pour “une réponse commune” avec des financements renforcés au niveau de l’UE. Mais pas seulement puisque “la nouvelle politique industrielle affirmée de nos concurrents exige une réponse structurelle” à moyen terme, a relevé Ursula von der Leyen, qui plaide depuis septembre pour la création d’un “Fonds de souveraineté” européen.
“Une guerre commerciale coûteuse n’est pas dans notre intérêt, ni dans l’intérêt des Américains, et cela nuirait également à l’innovation mondiale”, a-t-elle averti, mais “nous devons ajuster nos propres règles pour faciliter les investissements publics dans la transition (environnementale) et nous devons réévaluer le besoin de financements européens” communs, a-t-elle encore indiqué dans un discours au Collège de l’Europe à Bruges.
On notera que, malgré une rencontre début de semaine des délégations des deux premières économies mondiales, les discussions relatives au grand plan américain pour le climat et l’emploi (IRA) ont cependant peu avancée. Les marges de manoeuvre américaines sont en effet réduites sur ce texte, entre perte de la majorité démocrate à la Chambre des représentants début janvier, conséquence des élections de mi-mandat, et l’aspect hautement symbolique du plan pour Joe Biden. Ici aussi l’affaire est donc à suivre.
Le plafond à 60 dollars le baril pour le brut russe
Vendredi dernier, l’UE, le G7 et l’Australie ont décidé de plafonner le prix du brut russe à 60 dollars le baril. L’objectif affiché de cette nouvelle sanction occidentale est d’assécher une partie des revenus colossaux que Moscou tire de la vente de ses hydrocarbures et ainsi diminuer sa capacité à financer son intervention militaire en Ukraine. Le mécanisme adopté prévoit que seul le pétrole russe vendu à un prix égal ou inférieur à 60 dollars le baril pourra continuer à être livré. Au-delà, il sera interdit pour les entreprises basées dans les pays de l’UE, du G7 et en Australie de fournir les services permettant le transport maritime (négoce, fret, assurance, armateurs, etc…
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De fait, les pays du G7 fournissent les prestations d’assurance pour 90% des cargaisons mondiales et l’UE est un acteur majeur du fret maritime – d’où leur capacité à répercuter ce plafonnement sur le pétrole livré à la majorité des clients de la Russie à travers le monde, un pouvoir de dissuasion crédible. Moscou a de son côté signalé qu’elle n’accepterait pas le plafonnement des prix et qu’elle fermerait le robinet aux pays qui s’engagent à respecter ce plafond.
La Russie, à travers son vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a affirmé n’avoir “aucun doute” pour trouver dans les prochains mois de nouveaux pays qui achèteront son pétrole. La décision d’introduire ce plafond va “fragmenter” l’économie mondiale “dans de nombreux domaines”, a-t-il estimé.
Pour le vice-Premier ministre russe en charge de l’Energie, Alexandre Novak, le prix plafond instauré par les Occidentaux “n’est pas une tragédie” pour la Russie malgré des “chaînes d’approvisionnement à changer” et “une situation incertaine”. “Les entreprises commerciales trouveront des mécanismes entre elles pour vendre les produits concernés”, a-t-il assuré.
Comme pour les deux premiers points, l’avenir dira à quel point cette mesure sera efficace et plombera effectivement la Russie.
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