Pas de subsides pour la presse magazine, grande oubliée du plan d’aide aux médias de la FWB
La Fédération Wallonie-Bruxelles vient de lancer une campagne institutionnelle dans le cadre de son plan d’aide aux médias enclenché avec la crise sanitaire. Les chaînes de télé, les radios et la presse quotidienne reçoivent leur part du gâteau (1,3 million d’euros), mais pas la presse magazine laissée sur le carreau.
C’est une campagne souriante qui rend hommage aux influenceurs de notre existence. Pas les influenceurs bling-bling qui distillent leurs conseils plus ou moins sensés sur les réseaux sociaux, non, mais les influenceurs discrets – une puéricultrice, un entraîneur, une enseignante… – qui, comme le dit le slogan, “nous instruisent, nous inspirent et nous motivent” tout au long de notre vie.
Initiée par la ministre francophone des Médias Bénédicte Linard, cette campagne de la Fédération Wallonie-Bruxelles a été lancée lundi dernier dans la presse quotidienne, avec un relais en radio et en télévision sous la forme de spots spécifiques. Sa genèse remonte pourtant au printemps 2020, quand furent adoptées différentes mesures pour soutenir les médias lourdement touchés par la crise du Covid-19.
Il y a plus d’un an, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles décidait en effet d’un vaste plan d’aide aux médias victimes d’une chute soudaine de leurs revenus publicitaires avec, d’une part, un fonds d’urgence de 3 millions pour les soutenir au plus vite et, d’autre part, une campagne institutionnelle de 1,3 million destinée à être diffusée ultérieurement dans les différents médias francophones du pays.
D’une pierre, deux coups
Après un appel d’offres en bonne et due forme, un brainstorming intense et plusieurs mois de conception publicitaire, cette campagne institutionnelle a enfin vu le jour sous la plume créative de l’agence namuroise Hungry Minds. Lancée cette semaine, elle se décline sur plusieurs supports, avec un zoom non pas sur le travail des journalistes en Belgique francophone (cela aurait pu être une piste), mais bien sur d’autres professions tout aussi essentielles.
“L’idée était de profiter des 50 ans de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2021 pour mettre à l’honneur non pas l’institution en tant que telle, mais bien les hommes et les femmes qui l’animent au quotidien et qui ont un impact sur chaque vie, explique la ministre des Médias Bénédicte Linard, à l’origine de cette campagne. Avec cette opération, on fait d’une pierre deux coups: on rend hommage à tous ces métiers de la Fédération et on soutient aussi les médias qui en ont bien besoin.”
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Deux poids, deux mesures
Si l’intention est noble, elle fait toutefois grincer quelques dents. Car sur le budget de 1,3 million débloqué pour cette campagne en Fédération Wallonie-Bruxelles, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Seuls les titres de la presse quotidienne, les stations de radio et les chaînes de télévision ont en effet été retenus dans l’achat d’espaces publicitaires par le cabinet de la ministre écolo des Médias qui est le véritable annonceur de cette campagne. Les magazines – hebdomadaires, mensuels ou trimestriels – ont été purement et simplement rayés du plan média qui dépasse 1,25 million d’euros (le budget création et production de l’agence Hungry Minds étant inférieur à 50.000 euros).
N’aurait-il pas été plus judicieux et surtout fair-play d’aider tous les titres de la presse magazine lus par des Belges francophones?
Etonnamment, la nouvelle campagne institutionnelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles se retrouve donc sur les chaînes de la RTBF et du groupe RTL, dans les quotidiens Le Soir, La Libre, La DH, L’Echo, L’Avenir et Sudpresse, mais pas dans des titres d’information générale comme Le Vif, Soir Mag, Moustique ou Paris Match Belgique, ni d’autres magazines plus spécialisés, comme ceux de la presse féminine par exemple. Un choix d’autant plus étonnant que ces supports ont souffert, eux aussi, des conséquences néfastes du coronavirus avec une baisse de leurs ventes en kiosque et une chute spectaculaire de leurs revenus publicitaires.
“Un choix politique”
Responsable du volet créatif, l’agence Hungry Minds a été également aux commandes de l’achat des espaces publicitaires pour cette campagne. Toutefois, dans le cadre de cette action, c’est bien le cabinet de la ministre francophone des Médias qui a précisément défini les lignes directrices dans le choix des supports. “Si nous avions eu pleinement le contrôle, on serait parti sur un plan média global défini sur base du GRP (un indicateur de pression publicitaire qui permet d’optimiser une campagne, Ndlr), mais on nous a clairement fait savoir que la campagne se limiterait, pour le print, à la presse quotidienne et qu’il n’y aurait rien dans la presse magazine, confie Emmanuel Briard, CEO de l’agence Hungry Minds. C’est un choix politique qu’il ne m’appartient pas de commenter. La décision revient au cabinet de la ministre des Médias.”
Politique. Le mot est déroutant pour évoquer une campagne qui se présente pourtant, à la base, comme un geste de solidarité à l’égard de tous les médias. Contactée par nos soins, Bénédicte Linard n’y voit toutefois aucun malaise et insiste pour rappeler, en priorité, la dimension globale du plan d’aide aux médias, à savoir le fonds d’urgence de 3 millions et la campagne institutionnelle de 1,3 million. “Il s’agit de deux dispositifs qui sont complémentaires, insiste la ministre écolo des Médias, et, dans le cadre du fonds d’urgence, la presse hebdomadaire a déjà reçu une aide.”
Exactement comme la presse quotidienne qui bénéfice pourtant des retombées financières de cette nouvelle campagne institutionnelle, serait-on tenté d’ajouter.
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Les grands perdants
Difficile à cautionner, l’argument de la ministre écolo semble d’autant plus bancal que certains magazines francophones, dont le siège social se trouve en Flandre, ne pouvaient tout simplement pas prétendre au plan d’aide du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Dans ce contexte singulier, n’aurait-il pas été dès lors plus judicieux et surtout fair-play d’aider tous les titres de la presse magazine lus par des Belges francophones et qui emploient, au passage, des Wallons et des Bruxellois dans leurs rédactions, même si leurs éditeurs ont établi leur siège en Flandre? Ce geste solidaire aurait été davantage en phase avec l’esprit de la campagne, d’autant plus que les rares titres francophones qui ont été aidés par le fonds d’urgence – hors les groupes Rossel et IPM qui, avec Les Editons de l’Avenir, ont englouti à eux seuls 1,5 million pour l’ensemble de leurs titres – sont les magazines Médor, Wilfried et Imagine demain le monde: trois titres qui ont reçu, ensemble, 51.000 euros…
Bref, dans le dispositif qui, selon la ministre Bénédicte Linard, doit être perçu dans sa “globalité”, force est de constater que les principaux hebdomadaires du paysage francophone sont les grands perdants du plan d’aide aux médias enclenché l’année dernière (4,3 millions au total).
Une manne providentielle
Pour les éditeurs concernés, la pilule est dure à avaler, surtout lorsqu’on leur rappelle “l’épisode RTL”: il y a un an, RTL Belgique (dont le siège est pourtant établi au Luxembourg) avait demandé et obtenu le feu vert de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour une aide de 30 millions d’euros en pleine crise sanitaire (moyennant le respect de certaines conditions dont le déménagement du siège en Belgique), avant d’y renoncer pour garder finalement toute son indépendance.
Abandonnée, cette manne providentielle – ou du moins une petite partie – aurait pu servir à gonfler le plan médias de la nouvelle campagne institutionnelle, histoire d’aider vraiment tous les titres de presse de la Belgique francophone, affectés par le Covid-19. Mais il n’est peut-être pas trop tard pour réparer l’injustice…
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