Carte blanche

‘Merkel se sent abandonnée et envoie cinq messages au monde’

Dans la perspective de la campagne électorale, Angela Merkel se profile comme un roc fidèle et fiable au coeur de la tourmente, note Jean-Pierre Blumberg, avocat et professeur à l’Université d’Anvers.

La chancelière allemande Angela Merkel se sent abandonnée. Dans une tente à bière bavaroise, elle expliquait fin mai que l’époque où l’Allemagne pouvait entièrement se reposer sur ses alliés traditionnels est quasiment révolue et que l’Europe doit prendre son propre destin en main. Elle ajoutait encore une phrase: “Bien sûr, nous devons rester amis avec les États-Unis, le Royaume-Uni, en bons voisins, et là où cela est possible, y compris avec la Russie.” En un clin d’oeil, Twitter et les médias s’étaient enflammés. Cela pourrait signifier le début d’un glissement de terrain dans les relations transatlantiques et la fin du monde occidental d’après-guerre tel que nous le connaissons aujourd’hui. Bref, l’Occident pourrait soudainement devenir plus petit.

Cinq messages

Merkel envoie cinq messages au monde. Le premier est destiné au président américain. Elle souligne qu’il y a des limites à l’ancienne amitié entre les deux pays. Lors de l’entrée en fonction de Donald Trump, elle avait déjà affirmé son aspiration à consolider le lien de coopération transatlantique, pour autant que celle-ci soit basée sur les valeurs occidentales traditionnelles. Plus tard, elle ajoutait à cela qu’il “n’existe pas de garanties illimitées à la coopération étroite avec nous, les Européens”. Ce faisant, elle prenait subtilement ses distances avec les États-Unis. Mais cela ne signifie pas qu’elle viserait une rupture avec ce pays, car la politique internationale de la République fédérale trouve son fondement dans le principe de Westbindung (ou westintégration, qui consistait à intégrer l’Allemagne de l’Ouest dans le bloc de l’Ouest mené par les États-Unis, NDT). La République Fédérale Allemande – par opposition à la République de Weimar ou Allemagne de l’Est de 1871 – voulait être un État ancré dans l’Occident pour lequel les adhésions à l’OTAN et à l’UE sont des symboles. Merkel en est également persuadée.

D’où son deuxième message, dirigé vers la Russie. Elle souhaite également de bonnes relations avec ses voisins, y compris la Russie, mais uniquement “là où cela est possible”. La Russie ne doit pas espérer une sorte de nouvelle politique vers l’Est (Ostpolitik). En Allemagne, la minorité qui espère que leur pays devienne à nouveau centre-européen, entre les États-Unis et la Russie, déchantera, tout comme Poutine lui-même. L’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Ukraine ont rompu l’équilibre géopolitique. Et pour Merkel, avec son contexte est-allemand, c’est une faute impardonnable.

La chancelière allemande se sent abandonnée

Son troisième message, adressé au Royaume-Uni, est également étonnant. Depuis la création de l’Allemagne de l’Ouest en 1949, il était impensable qu’un chancelier allemand mette sur le même plan la Russie et le Royaume-Uni, soit des États avec lesquels l’Allemagne a la volonté d’entretenir de bonnes relations. Angela Merkel et la classe politique allemande sont terriblement déçues par le Brexit. La politique intérieure de la République fédérale est toujours partie des prémisses que l’UE n’est forte que si le Royaume-Uni en fait partie. Le gouvernement allemand espère toujours secrètement que les Britanniques retrouveront la raison. La rhétorique d’un Brexit dur et hostile des conservateurs britanniques ne peut pas compter sur une quelconque sympathie de la part des partis gouvernementaux allemands. L’ancien respect allemand pour le Royaume-Uni est au plus bas. Theresa May ou toute personne qui deviendrait Premier ministre ne devrait pas trop compter sur des négociations de sortie faciles.

Pilier dans la tourmente

Le message pour les États membres de l’UE est clair. Les Européens ne peuvent plus s’appuyer sur les États-Unis et ils doivent à nouveau prendre davantage leurs propres responsabilités. Trois conséquences en découlent. L’UE doit défendre la société occidentale libérale contre ses ennemis internes et externes. Elle doit veiller à ce que le droit international et les traités internationaux soient respectés. L’Union européenne doit être consolidée et renforcée notamment par une capacité de défense propre.

Pour terminer, Merkel a un message pour sa propre république et pour la France. Dans la perspective de la campagne électorale, elle désire se profiler comme un roc au milieu de la tempête. Trump, le Brexit, Poutine et Erdogan créent le chaos. Il revient maintenant à la vieille Europe de se rendre plus forte, avec elle comme leader incontestable. À cet égard, elle vole le sujet préféré, l’UE, de celui qui se présente contre elle, Martin Schulz. Elle prépare en outre son parti et l’électorat allemand aux grandes réformes qui seront nécessaires pour renforcer l’Europe. Maintenant qu’en France, avec Macron, le président au pouvoir a une vision identique, une opportunité énorme est née de construire une défense commune et de stabiliser l’union monétaire. Angela Merkel veut laisser un héritage. Une Europe forte conduite par le tandem franco-allemand avec un euro qui travaille pour tout le monde. C’est un défi énorme, mais elle a un jour formulé la devise adéquate: “Wir schaffen das ! (Nous pouvons le faire !)”

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