“Les prix de l’énergie vont encore fortement augmenter, l’hiver s’annonce très problématique”
Le robinet de gaz russe se coupe progressivement vers l’Europe, encore fortement dépendante des importations russes. L’hiver prochain s’annonce difficile avec des prix de l’énergie qui risquent à nouveau de flamber. Comment au mieux préparer l’hiver dans ces conditions ? Bertrand Candelon, professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain, donne quelques pistes.
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L’hiver s’annonce compliqué au niveau énergétique…
BERTRAND CANDELON (UCLouvain): C’est maintenant qu’il faut préparer l’hiver. Quand la demande énergétique va repartir à la hausse, les prix vont à nouveau fortement augmenter. Il est toutefois très difficile aujourd’hui de donner une idée précise des prix qu’on aura l’hiver prochain. Dans le domaine de l’énergie, les prix sont extrêmement volatils à cause de cette forte demande.
Les Russes jouent avec ça, notamment en coupant progressivement le robinet de gaz vers l’Europe. Même en période normale, il y a parfois des saturations du réseau électrique mais dans la situation qui s’annonce, l’hiver prochain sera encore plus problématique. Le prix du gaz va encore s’envoler, ce sera même pire qu’en mars de cette année (NLDR: le 7 mars, le prix du gaz a atteint un sommet avec 345 euros le MWh (mégawattheure).
Le prix du gaz va encore s’envoler cet hiver, ce sera même pire qu’en mars de cette année.
En se coupant du gaz russe, l’Europe ne s’est-elle pas tiré une balle dans le pied ?
La situation n’est vraiment pas évidente. L’Europe a essayé de rester entre les deux pays en négociant avec les Russes et en soutenant l’Ukraine mais c’est très compliqué. On ne peut pas non plus rester de marbre face aux pertes humaines et aux destructions dans le Donbass. Pour moi, l’Europe n’a pas commis d’erreur, on ne pouvait tout simplement pas soutenir la Russie dans l’invasion de l’Ukraine.
Où en sont les stocks de gaz ? Risque-t-on des pénuries ?
Les pays européens sont actuellement en train de reconstituer leurs réserves de gaz. Elles restent autour des 50-55 % pour la Belgique alors qu’elles devraient être plus importantes. Il est difficile de dire s’il y aura des pénuries mais dans tous les cas, la situation va être tendue avec la concurrence des autres pays en Europe. Les pays du Nord sont en effet de gros consommateurs d’énergie. La Chine va aussi être demandeuse de davantage de pétrole provenant de Russie dès les confinements de coronavirus levés.
Quelles sont les autres alternatives d’approvisionnement en gaz en Europe ?
On a quelques alternatives. Il y a des importations de gaz liquéfié. L’Europe peut aussi se tourner vers d’autres fournisseurs comme les États-Unis, le Qatar, l’Arabie saoudite, mais les prix vont dans tous les cas fortement augmenter l’hiver prochain. L’installation de pompes à chaleur chez les particuliers et dans les entreprises pourrait aussi faire partie de la solution mais c’est du moyen terme, cela ne se fait pas en 3 jours.
Est-ce que ce sera suffisant ?
Non, il faut d’autres alternatives pour éviter les pénuries sur le court terme. Il faudra inciter les gens à moins consommer, à diversifier leurs sources d’approvisionnement… Il n’y a pas non plus 36 options et cela ne se fait pas en quelques mois. Dans les années ’70, on limitait la consommation. On va devoir faire la même chose dans les mois à venir. C’est une alternative parmi d’autres. La population doit se rendre compte de ces prix élevés de l’énergie, on ne peut pas aller à leur encontre. Il faut que les citoyens se rendent compte qu’ils doivent épargner l’énergie. Pourquoi ne pas instaurer un jour de télétravail obligatoire par semaine, baisser la température d’un degré à la maison, limiter la vitesse sur les autoroutes…? Les citoyens doivent prendre conscience qu’ils ne peuvent plus avoir les mêmes comportements qu’il y a deux ans.
Quelles sont les solutions à moyen terme ?
A moyen terme, il faut vraiment, cette fois, inciter l’indépendance énergétique, favoriser les énergies renouvelables. Il ne faut plus attendre 10 ans ! Si on avait fait cela plus tôt, on serait moins sous pression par rapport à l’embargo russe. Il faut vraiment prendre le taureau par les cornes et investir dans les énergies renouvelables, la production locale d’énergie par éolienne, la recherche,…. Ce sont des solutions de moyen terme dans le meilleur des cas mais cela ne nous aidera pas pour l’hiver qui arrive.
Le charbon est-il une option envisageable ?
Se tourner vers le charbon est la dernière chose à faire. Je suis contre, car cela va à l’encontre de nos ambitions en termes de C02. Il faut plutôt motiver une responsabilité sociale de moins consommer plutôt que d’utiliser du charbon et créer de la pollution.
Que pensez-vous de l’idée du PTB de plafonner les prix de l’énergie ?
Bloquer les prix de l’énergie, ce n’est pas une bonne idée. Si demain, le prix de l’essence est à 1,40 euro, Total va dire que s’il l’achète à 2 euros, il ne le vendra pas à 1,40 euro, car il va perdre de l’argent. L’Etat devra alors compenser la différence mais vu qu’il n’a plus d’argent, ce sera impossible. Si on fixe l’énergie à prix bas, tout le monde va aussi consommer à tout va. Le plafonnement est la pire idée qu’on peut avoir. L’Etat doit plutôt donner des chèques ciblés à la partie de la population qui en a le plus besoin.
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