Guerre en Ukraine: “Il faut s’attendre à des prix de l’énergie très élevés de façon durable, voire définitive”

Des files devant les stations d'essence en Ukraine, ce 24 février. © AFP
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Adel El Gammal (ULB), spécialiste de la géopolitique de l’énergie, souligne que l’on ne pourrait pas remplacer du jour au lendemain les 40% de gaz russe acheminés vers l’Europe. Nous payons le manque d’investissements dans les alternatives.

Adel El Gammal est professeur à l’ULB, spécialiste de la géopolitique de l’énergie. Il évoque les conséquences de l’attaque russe contre l’Ukraine, qui seront “profondes et durables”.

Quel sera l’impact de cette guerre sur l’énergie au niveau mondial ?

Il faut commencer par dire que l’on dépasse largement la question d’une crise énergétique. Nous rentrons dans une crise mondiale et il est très difficile d’évaluer quelles en seront les conséquences. S’il s’agit bien d’une invasion russe de tout le territoire ukrainien, y compris avec la prise de Kiev, cela va changer la face du monde de la même manière que le 11 Septembre 2001. C’est l’événement géopolitique le plus important en Europe depuis la Seconde guerre mondiale.

L’impact dépassera simplement le cours du gaz, il concernera l’ensemble des marchés et des relations commerciales. Si l’offensive ne s’arrêtera pas rapidement, cela impliquera un important ralentissement de la croissance économique mondiale.

Sur le plan de l’énergie, plus particulièrement, cela va induire une incertitude majeure.

Cela va aggraver la crise que l’on connaît depuis plusieurs mois ?

Absolument et cela concernera l’ensemble des énergies. On parle beaucoup du gaz parce que l’Europe est dépendante du gaz russe à raison de 40% de son approvisionnement. Mais on a tendance à oublier aussi que la Russie génère 10% de la production mondiale de pétrole.

Le président russe Vladimir Poutine a certes déclaré qu’il ne comptait pas interrompre l’approvisionnement en gaz de l’Europe, mais on sait désormais que ses propos n’ont plus aucune fiabilité. D’autant que l’on se rapproche aujourd’hui du scénario le pire que l’on pouvait imaginer avant l’invasion, celui d’une crise globale ou d’un conflit généralisé.

40% de la consommation européenne provenant du gaz russe, c’est gigantesque, cela ne peut être remplacé du jour au lendemain par du gaz naturel liquéfié (LNG), d’autant que ce circuit fonctionne déjà à flux tendu. Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a dit à plusieurs reprises que l’Europe était sécurisée pour la suite de l’hiver, mais s’il y avait une rupture de cet approvisionnement, cela provoquerait un problème majeur dans la durée.

Est-ce désormais probable ?

Je pense que cela reste improbable. La Russie ne peut a priori pas se passer durablement de cette énorme source de revenus. L’énergie fossile (gaz et pétrole) représente environ un tiers de l’économie russe et l’Europe représente 70% de ses exportations. Il est impossible pour la Russie, en tout cas pour le gaz, de trouver du jour au lendemain d’autres acheteurs, faute d’infrastructures suffisantes. Il se peut donc que l’on se trouve face à des scénarios intermédiaires.

Le Russie n’a pas dénoncé à ce jour ses contrats à long terme, mais elle pourrait réduire son approvisionnement ponctuel. Cela a déjà été le cas, d’ailleurs, l’Agence internationale de l’énergie parle d’une chute de 25% par rapport à l’année dernière. Vladimir Poutine pourrait aussi brandir cette arme en réduisant pour une courte période l’approvisionnement, afin de mettre l’Europe sous pression. C’est ce qu’il avait déjà fait par le passé en coupant ponctuellement les vannes.

En ce qui concerne les prix, tous les indicateurs montrent que les prix d’hydrocarbures vont rester hauts, voire très hauts.

Ce sera l’effet le plus direct de la crise ?

Ce sera un effet de la crise, mais les fondamentaux de l’énergie sont également en cause. Au niveau mondial, nous payons les sous-investissement en matière d’infrastructures pour les hydrocarbures. C’est bon pour le climat, mais on n’a pas investi suffisamment, au même moment, en matière de renouvelable voire de nucléaire. Voilà pourquoi il faut s’attendre à des prix de l’énergie très élevés de façon durable, voire définitive.

La chute de la croissance engendrée par le conflit pourrait-elle apaiser la pression?

Cela pourrait jouer, en partie. Mais je ne pense pas que l’on reviendra un jour à des prix de l’énergie comme on en a connu précédemment.

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