Allongement des congés scolaires, cotisation de solidarité: comment sauver l’économie menacée par un reconfinement

Eric Dor, professeur d’économie et directeur de la recherche à l’IESEG de Lille, nous livre ses propositions pour tenter de sauver l’économie, tout en ménageant les personnes touchées de plein fouet par la crise sanitaire, alors qu’un éventuel reconfinement général pointe le bout de son nez.

Vous proposez de prolonger les vacances d’automne, dans quel but ?

La situation sanitaire devient à nouveau très critique, de plus en plus de médecins alertent en disant qu’il faut réduire au maximum nos contacts et que la situation est “hors de contrôle”. Dans ce contexte, si on n’agit pas immédiatement, on file droit à un reconfinement total qu’il faut à tout prix éviter. Ce serait la catastrophe pour toute une série de secteurs, dont celui de l’horeca déjà durement impacté. C’est pourquoi je propose de prolonger les congés d’automne qui sont imminents. Les allonger d’une ou deux semaines permettrait de faire une pause, de réduire la promiscuité sociale, notamment dans les transports en commun, et de ralentir l’épidémie. On le voit, les foyers de contaminations se multiplient dans les écoles. Ce serait aussi l’occasion pour les directions de se réorganiser pour améliorer les conditions de sécurité sanitaire préconisées par les experts, fonctionner par groupes réduits d’élèves bien éloignés les uns des autres, sécuriser l’usage des salles des professeurs, garantir une aération permanente des locaux quel que soit le temps, comme en Allemagne.

Faut-il fermer les entreprises, et les magasins ?

Les entreprises sont loin d’être les principaux lieux d’origine des contaminations. Elles doivent continuer à tourner avec un maximum d’employés en télétravail. Les magasins doivent aussi rester ouverts selon des protocoles d’hygiène renforcés.

Pour vous, les mesures d’hygiène actuelles ne sont pas assez strictes ?

J’observe un certain relâchement. Les protocoles sanitaires ne sont pas toujours respectés à la lettre. Il faut par exemple davantage aérer les locaux pour faire circuler l’air vicié dans les bureaux, les magasins et les classes. On voit par exemple dans les supermarchés que les caddies ne sont plus désinfectés systématiquement, que les clients ne se désinfectent pas les mains avec le gel mis à disposition. Dans les magasins de textiles, il faudrait empêcher les clients de pouvoir toucher tous les vêtements, n’autoriser que peu de clients à la fois…

Bars et restaurants fermés à Bruxelles.
Bars et restaurants fermés à Bruxelles. © BELGA

Le but est de sauver la période de Noël, cruciale au niveau économique ?

Oui, l’idée est de sauver le mois de décembre, économiquement très important pour certains secteurs. Les commerces de détail hors alimentation ont déjà subi des pertes énormes, il est absolument nécessaire de leur permettre de travailler normalement en décembre, comme les restaurants. En période normale, le chiffre d’affaires de la restauration au quatrième trimestre est supérieur de 25% à celui du premier trimestre. Il serait donc dévastateur pour l’économie du pays de laisser la situation se dégrader au point que la Belgique soit obligée de décréter tardivement un nouveau confinement généralisé qui s’étendrait alors sur le mois de décembre.

En fermant les écoles, certains pourraient vous critiquer de privilégier l’économique sur l’humain

Je ne remets nullement en cause les séquelles psychologiques et les inégalités causées par les fermetures d’écoles. On a vu que le confinement de mars-avril avait eu des conséquences néfastes sur l’éducation, surtout en milieu moins favorisé. Les efforts pour maintenir les écoles ouvertes sont justifiés. Mais vu la dégradation de la situation, ne vaut-il pas mieux fermer les écoles 3 semaines, plutôt que trois mois un peu plus tard ? C’est un moindre mal. Les écoles peuvent continuer à assurer une prise en charge des enfants dont les parents sont dans l’impossibilité de télétravailler.

Cela n’aurait aucun sens d’opposer le sauvetage de l’économie et la prise en compte des facteurs humains. Les conséquences néfastes du chômage et de la pauvreté sur le bien-être psychologique et la santé des individus ont été suffisamment établies. Il est certain que de nouvelles mesures contraignantes vont effectivement détériorer temporairement la qualité des relations humaines, mais c’est pour en éviter une dégradation encore bien supérieure et très longue en cas de perte de contrôle de la situation.

Pourquoi faut-il à tout prix maintenir l’activité économique ?

Maintenir l’activité économique permet de générer les recettes fiscales qui peuvent financer la sécurité sociale, et donc les retraites, les soins de santé et les allocations de chômage. Bien sûr la Belgique s’est massivement endettée cette année pour compenser la perte de recettes fiscales et l’augmentation des dépenses. La dette publique va atteindre au moins 117% du PIB et son financement a été rendu possible par les taux d’intérêt extrêmement bas ou négatifs que permet la politique monétaire exceptionnelle de la BCE, avec les achats massifs de dettes publiques auxquels elle procède. Mais ces conditions sont temporaires, et il faudra ensuite payer les intérêts de cette énorme dette et en assurer le roulement, à des taux supérieurs lorsque la politique monétaire sera normalisée. Il est donc illusoire d’espérer que le gouvernement puisse laisser filer la dette publique indéfiniment. S’endetter excessivement postpose simplement le problème, et les impôts devront augmenter ultérieurement.

Faut-il allonger le congé d'automne?
Faut-il allonger le congé d’automne? © belga

Vous évoquez aussi l’idée d’une “cotisation de solidarité”, en quoi consiste-t-elle ?

Je ne parle pas d’un nouvel impôt, mais plutôt d’une cotisation temporaire solidaire qui serait vue comme “un effort collectif en temps de guerre” demandé aux personnes dont les revenus ne sont pas impactés par la crise, les personnes qui ont la chance de garder leur travail et leur plein salaire et qui ont été “contraints” d’épargner. Pendant le confinement, l’épargne des Belges a en effet atteint des niveaux record. Cette cotisation solidaire pourrait financer les aides, comme le droit passerelle, le chômage partiel, et les subsides alloués aux secteurs les plus touchés par la crise, comme l’horeca ou l’événementiel. Elle permettrait aussi de refinancer les soins de santé. Les personnes qui travaillent pour la collectivité, comme le personnel soignant ou les employés de supermarché en seraient exemptés. Elle serait calculée en fonction des revenus et de la composition du ménage pour ne pas fragiliser les plus petits salaires.

Quelles autres actions seraient utiles pour éviter des faillites?

Les loyers commerciaux et ceux des restaurants devraient être gelés par l’Etat le temps de la crise. Il ne faut pas se limiter à attendre un geste spontané des bailleurs. Par contre il faut que le gouvernement soutienne ensuite ces propriétaires s’ils sont en difficulté financière. Il serait aussi utile de créer un fonds pour recapitaliser les entreprises très affectées par les pertes dues à la crise. Cela pourrait être un fonds du gouvernement financé entièrement par des emprunts publics. Mais cela pourrait être plutôt un fonds de participation financé par les épargnants privés, avec une garantie du gouvernement. C’est complexe, et les propriétaires des petites entreprises concernées doivent accepter alors d’en partager le contrôle, mais en période de crise il faut être innovant.

Dans votre vie d’économiste, avez-vous déjà vécu une telle situation ?

Il n’y a pas d’équivalent dans l’Histoire. On fait souvent référence à la grippe espagnole, mais on a peu d’informations sur l’impact économique de cette pandémie. C’est une période tout à fait inédite. Ce n’est pas une récession classique, loin de là. Ici, on a un facteur exogène – ce virus – qui pousse l’offre et la demande à la baisse, dans les restaurants, les magasins…Le pire, c’est qu’on ne sait pas combien de temps cela va durer. On est complètement démunis, on ne sait rien faire contre cet écroulement pour des raisons non économiques. Et les plans de relance au niveau européen et national ne servent pas à grand-chose tant que la pandémie perdure. Tout ce qu’on peut faire à ce stade, c’est de s’organiser au mieux pour fonctionner tant bien que mal en préservant l’économie.

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