Taxe d’embarquement: le gouvernement fédéral parviendra-t-il à pénaliser les vols courts ?

La compagnie régionale Cityjet, notamment, serait impactée par la mesure. © ISOPIX
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

La taxe imaginée par le gouvernement belge pour limiter les vols sauts de puce a du plomb dans l’aile. Mais le coût des tickets pourrait augmenter pour d’autres raisons, dont la hausse du prix du kérosène.

A peine annoncée, la taxe d’embarquement qui doit toucher les vols courts (les “sauts de puce”) semble mal… embarquée. Elle devait concerner les vols jusqu’à 500 km et rapporter 30 millions d’euros en 2022, pour inciter l’usager à préférer d’autres transports moins émetteurs de CO2. Mais le dispositif est difficile à mettre au point.

En Belgique, ce ne serait pas la première fois que ce genre de taxe est annoncée, puis abandonnée. En 2008, devant le tollé des Régions, le gouvernement Leterme avait renoncé à une taxe sur tous les tickets d’avion qui devait rapporter 132 millions d’euros. Et en 2013, le gouvernement wallon avait mis discrètement au frigo un projet d’une taxe de 3 euros, après que Ryanair eut promis de supprimer des vols au départ de Charleroi.

Cette fois sera la bonne?

“Il y a plus de chances que le projet aboutisse cette fois, estime toutefois Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal et de droit européen à l’UCLouvain. Le principe de taxes environnementales sur les avions est désormais mieux accepté.” Le gouvernement fédéral s’inspire sans doute du cas néerlandais. En pleine crise covid, nos voisins ont introduit une taxe de 7,85 euros pour chaque passager au départ, applicable depuis le 1er janvier 2021.

Hormis les Pays-Bas, seuls les grands pays comme la France, l’Allemagne ou la Grande- Bretagne appliquent des taxes similaires. Le secteur aérien, c’est connu, dispose d’un statut fiscal très favorable, calqué sur le maritime et coulé dans un traité international. Il n’y a donc, sur les vols internationaux, ni TVA sur les tickets ni accises sur le carburant, lequel représente un tiers du coût d’un vol. En compensation, les compagnies paient des droits d’émission de CO2, appelés ETS. “Soit un coût de 900 millions d’euros (pour 2019, Ndlr)”, indique l’organisation non gouvernementale Transport & Environment, qui compare ce chiffre avec l’exemption fiscale sur le kérosène dont jouit le secteur. Celle-ci représenterait, selon elle, 27 milliards d’euros par an!

Les prix seront significativement plus élevés l’été prochain que ce qu’ils ont été avant le covid.”

Eddie Wilson, CEO de Ryanair

“Rien n’empêche l’Union européenne de s’accorder sur des taxes mais il faut le décider, continue Edoardo Traversa. Ainsi, la Commission a lancé en juillet le projet d’introduire une taxe sur le kérosène pour les vols dans l’Union.” Un accord de ce genre est toufefois difficile à obtenir. “Pour des mesures portant sur la fiscalité, la décision doit être prise à l’unanimité.” Ce projet, soutenu par la Belgique, s’intègre dans une modification de la directive sur la taxation de l’énergie, dans le contexte du Green Deal, visant à réduire les émissions dans l’Union d’au moins 55% pour 2030.

Une marécage communautaire

Le projet belge de taxe d’embarquement pourrait de toute façon se noyer dans un marécage communautaire. Limité aux vols jusqu’à 500 km, il ne touchera guère que des vols au départ des aéroports en Flandre, principalement Brussels Airport qui comptabilise une dizaine de destinations dans ce périmètre, dont Londres, Paris, Amsterdam, Stuttgart, Birmingham, Strasbourg, Bâle et, de justesse, Zurich et Hambourg. Soit, avant la crise du covid, 450.000 passagers, hors transit.

Le gouvernement a confié à un groupe de travail la tâche de formuler un projet où les vols soumis à cette taxe d’embarquement pourraient aller jusqu’à 650 km ou même davantage. “L’objectif est d’arriver à une recette de 30 millions d’euros” rappelle Miet Deckers, porte-parole du ministre des Finances, sous-entendant que la distance maximale de 500 km ne permettrait pas d’arriver à cet objectif. Elle indique que le projet devrait exclure les passagers en transit. Il toucherait donc surtout des passagers business sur des vols sans correspondance, par exemple Bruxelles-Zurich.

Le ministre wallon en charge des Aéroports, Jean-Luc Crucke, surveille attentivement le projet: il n’a guère envie de voir cette taxe toucher les passagers de l’aéroport de Charleroi. Ce dernier, rudement affecté par la pandémie, doit subir une restructuration financière. Un plan de recapitalisation doit encore être approuvé par la Commission européenne. Les compagnies aériennes ne sont pas plus ravies, mais restent discrètes. Brussels Airlines préfère ne pas sortir du bois tant que le projet n’est pas finalisé.

La pression du kérosène plus cher

Que la taxe survive ou non, les tickets risquent de toute manière d’être plus chers dans les mois à venir. Le prix du kérosène augmente. Les compagnies ont l’habitude de répercuter ces augmentations sur leurs tarifs. TUI réévalue tous les mois ce coût et augmente (ou diminue), le cas échéant, le prix du billet, même après son émission (vols secs ou voyages à forfait). Mais elle propose une option à 18 euros (aller-retour) pour éviter ces soubresauts. Brussels Airlines n’a pas décidé d’appliquer une surcharge car elle est pour le moment protégée par un mécanisme de couverture (hedging). Hélas, avec la crise, beaucoup de compagnies ont réduit ou abandonné ce type de couverture.

En outre, certains aéroports souhaitent eux aussi augmenter leurs tarifs car ils ont été lourdement affectés par les effets de la pandémie. C’est le cas de l’aéroport de Charleroi, dont la redevance passager est particulièrement bon marché (2,49 euros par passager maximum, contre 29,7 euros à Brussels Airport). Zaventem, lui, n’annonce pas de hausse. “Nous avons un projet de modulation de redevances en fonction de l’impact environnemental des avions, bruit et émissions, précise Nathalie Pierrard, porte-parole de Brussels Airport. Cela devait être discuté avec les compagnies en 2023, mais le but n’est pas d’augmenter globalement les redevances.”

Chaque aéroport connaît une situation différente. Début octobre, une passe d’armes par communiqués interposés a opposé l’Iata, l’association mondiale des compagnies aériennes, avec ACI Europe, l’association des aéroports européens. La première accuse les secondes de chercher à augmenter fortement leurs redevances pour compenser la crise du covid, parlant d’une charge supplémentaire de 2,3 milliards de dollars. L’Iata cite les aéroports de Heathrow à Londres et d’Amsterdam Schiphol, qui souhaiteraient augmenter respectivement leurs redevances de 90% en 2022 et de 40% sur trois ans.

D’autres facteurs en jeu

ACI Europe a réagi en soutenant que les aéroports, qui ont d’importantes charges fixes, avaient été moins soutenus par les Etats que les compagnies aériennes durant la pandémie. “Les aéroports européens font face à un investment crunch, beaucoup ne pourront simplement pas se redresser financièrement sans augmenter leurs charges facturées, dit le communiqué. Geler ou réduire les redevances des aéroports ne dissuadera pas les compagnies aériennes d’exercer leur pricing power sur les consommateurs et d’augmenter les prix.”

Mais d’autres facteurs encore pourraient pousser les tarifs. “Je pense que les prix vont augmenter en octobre, puis à Noël, a déclaré le CEO de Ryanair en septembre. Et ils seront significativement plus élevés l’été prochain que ce qu’ils ont été avant le covid parce qu’il y a 20% de capacité en moins sur le marché des courts-courriers en Europe.”

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