Redémarrage de l’immobilier commercial belge
Les projets de nouveaux centres commerciaux restent dans les cartons. Priorité est donnée à la rénovation et à la durabilisation de l’offre existante.
“Les clients ont retrouvé le chemin de nos centres commerciaux et ne regardent pas à la dépense.” Nicolas Beaussillon, CEO de Wereldhave Belgium, se dit très satisfait du nombre de visiteurs et du chiffre d’affaires de ses shoppings, dont Belle-Ile à Liège, Ring Kortrijk et Shopping 1 à Genk.
Même constat du consultant immobilier Ceusters. “La mort du concept même de centre commercial a été moult fois annoncée, reconnaît Nathalie Verheyen, teamleader retail agency de Ceusters. Or les centres commerciaux de notre portefeuille démontrent le contraire.” Le nombre de visiteurs est de 4% supérieur comparé à septembre 2019, l’année avant le coronavirus. Ceusters a même noté une progression de 17% par rapport à septembre 2021. Autre point positif: le nombre de magasins inoccupés en Belgique a (légèrement) baissé pour la première fois depuis longtemps: le spécialiste retail Locatus enregistre un fléchissement de 11,9 à 11,6%.
Les chiffres de Locatus font apparaître une baisse du nombre de petits commerces de 88.000 en 2010 à environ 73.000 aujourd’hui.
Malgré toutes ces bonnes nouvelles, Nathalie Verheyen et Nicolas Beaussillon émettent quelques réserves. Ces chiffres encourageants concernent la période jusqu’à fin septembre de cette année. La question aujourd’hui est de savoir comment le secteur retail va passer l’hiver. “La prudence reste de mise, déclare John Collin, executive director du consultant immobilier CBRE. La crise énergétique impactera certainement le chiffre d’affaires des commerçants. Sans parler de l’indexation des salaires et des loyers, de l’explosion des factures énergétiques,…”
Gerard Zandbergen, CEO de Locatus, anticipe lui aussi un avenir plus sombre. “Le secteur de l’immobilier commercial va connaître des temps assez difficiles, je le crains, prédit-il. Les défis seront plus nombreux que les opportunités.” Quels seront précisément ces défis?
1. Limiter l’offre sur un marché mature
“Il y a une quinzaine d’années, nous recevions chaque semaine la requête d’un retailer européen pour l’aider à réaliser ses projets d’expansion en Belgique. Cette époque est bel et bien révolue”, constate John Collin. Entre-temps, la plupart des grands retailers ont développé leur réseau de points de vente dans notre pays. Comme le fait remarquer Nicolas Beaussillon, certaines chaînes sont encore à la recherche de nouveaux magasins mais la croissance est devenue “plus prudente”.
Par les temps qui courent, les retailers ont en effet d’autres priorités que la conquête du marché belge. “Les grands retailers passent leur réseau au crible, poursuit John Collin. Ils ferment les magasins non rentables et délocalisent les magasins trop petits ou trop grands.”
Sur un marché mature comme le nôtre, l’élargissement de l’offre de magasins est tout sauf une bonne idée. “Dans les centres-villes et les petits centres commerciaux, on assiste au phénomène inverse, observe Gerard Zandbergen. Les magasins inoccupés sont réaffectés et souvent transformés en habitations. C’est pourquoi le taux de vacance est en légère régression pour la première fois depuis longtemps.” Les chiffres de Locatus font apparaître une baisse du nombre de petits commerces de 88.000 en 2010 à environ 73.000 aujourd’hui.
“En réalité, il n’y a pour ainsi dire plus de place pour les grands projets retail dans notre pays, constate Nathalie Verheyen. Et l’obtention de permis est de plus en plus difficile.” Du moins pour les nouveaux grands centres commerciaux. En ce qui concerne Neo, le projet de centre commercial d’Unibail-Rodamco-Westfield au Heysel à Bruxelles, le délai de mise en conformité aux normes d’urbanisme a été reporté à 2026, rapporte le magazine Bruzz. Broeklin, le “quartier de magasins-ateliers” qui remplace le projet Uplace rejeté à Machelen, a obtenu le permis l’an dernier, ce qui n’a pas empêché la ville de Vilvorde d’interjeter appel auprès du Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil des litiges en matière de permis).
Malgré cela, le nombre total de mètres carrés d’espace commercial ne cesse de croître, note Gerard Zandbergen. Grâce au succès d’un segment bien particulier, à savoir les retail parks. “Tant que la construction et la location de ce type de magasins rapporteront, il sera impossible d’endiguer la tendance, lance Gerard Zandbergen. Le problème, c’est que tous les coûts sociaux, comme les problèmes de mobilité par exemple, ne sont pas pris en compte. L’obtention de permis n’est pas facile, certes, mais il y a encore pas mal de projets dans le pipeline. Et une fois le permis en poche, qui peut vous empêcher de concrétiser votre projet?”
John Collin pointe toutefois que dans le cas des nouveaux retail parks comme Malinas à Malines et Quartier Enée à Namur (ouverture annoncée pour avril 2023), deux projets de Mitiska REIM, il s’agit essentiellement d’un regroupement de magasins périphériques existants. “A Malinas, plus de la moitié de l’espace commercial est occupé par des locataires autrefois installés Rodekruisplein. Le clustering au sein d’un retail park intégré et accueillant est une bonne chose selon moi.”
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2. Revaloriser l’offre existante
Si le besoin de nouveaux centres commerciaux est quasi inexistant, le relifting de l’offre existante s’avère par contre indispensable, ce dont la plupart des propriétaires sont parfaitement conscients. AG Real Estate a lourdement investi dans la rénovation du Westland Shopping d’Anderlecht. Fin octobre, Redevco ouvre le Rich’l à Waterloo, version revue et corrigée d’un retail park des années 1970. Déjà relifté il y a quelques années, Wijnegem Shop Eat Enjoy (AEW et Axa) fait l’objet d’un projet de rénovation en profondeur et d’extension. Idem pour Belle-Ile à Liège.
Notons au passage que malgré la relative saturation du marché, la rénovation prévoit toujours quelques mètres carrés supplémentaires. L’extension s’avère nécessaire, en quelque sorte, pour justifier un gros investissement dans l’immobilier suranné. Mais, précise Nicolas Beaussillon, ce nouvel espace reçoit généralement une affectation différente. “Notre stratégie vise à transformer le shopping en centre full service, explique-t-il. Le centre commercial monofonctionnel appartient au passé. A Belle-Ile, les mètres carrés supplémentaires sont affectés aux loisirs, au sport et aux bureaux.”
La loi belge sur les baux commerciaux est dépassée et cela se sait dans toute l’Europe.” John Collin (CBRE)
“L’ajout de la dimension leisure, food and beverage est un must, confirme Nathalie Verheyen. Le centre commercial doit pouvoir concurrencer le centre-ville. Le plus gros concurrent de Wijnegem est le centre d’Anvers où il est possible de faire du lèche-vitrine, boire un verre, se restaurer, visiter un musée, aller au cinéma, etc. Le ‘nouveau’ centre commercial doit proposer la même offre, à un autre niveau.” Confirmation de Gerard Zandbergen qui ajoute que plus le centre commercial est grand, plus son attractivité augmente. “Cela vaut également pour l’immobilier intra-urbain, d’où les difficultés rencontrées par les petites villes commerciales.”
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3. Durabiliser
Le “nouveau” Westland Shopping a subi un upgrade à la fois cosmétique et technique. Une nouvelle installation géothermique assure la climatisation et le chauffage du bâtiment. Les efforts de durabilisation déployés dans le cadre de la rénovation devraient lui valoir le certificat d’excellence BREEAM. Mitiska REIM a ouvert à Ninove cet été Ninouter, un retail park neutre en CO2. Le toit du parc est recouvert de 2.500 panneaux solaires. Le Waasland Shopping de Saint-Nicolas a lui aussi investi massivement dans l’énergie solaire. Le nouveau carport de quelque 4.000 m2 est entièrement recouvert de panneaux solaires.
Tous ces exemples illustrent bien l’importance de la durabilité pour les propriétaires et les exploitants des centres commerciaux. “La durabilité est désormais la priorité n°1 dans chaque rénovation, chaque nouvel investissement, confie Nathalie Verheyen. Du fait notamment de la conscientisation accrue du public quant à la problématique climatique. Thème récurrent dans la communication marketing des centres commerciaux, les enjeux climatiques s’imposent désormais au niveau du bâti également.”
Loyers sous pression
D’après le CBRE, les loyers les plus élevés atteignent 1.700 euros/m2 par an rue Neuve (Bruxelles) et 1.650 euros/m2 par an au Meir (Anvers), soit nettement moins qu’en 2017 lorsque les loyers battaient le record de 2.000 euros.
Les loyers ont dégringolé, surtout dans les petites villes où le foncier commercial est pléthorique. “Souvent de 30%, précise Nathalie Verheyen. Ceci dit, les loyers n’ont fait que grimper ces derniers temps. On peut donc parler de correction. Pour le moment, les loyers sont revenus à un niveau raisonnable et une stabilisation est à prévoir.”
“Les différences sont parfois notables, d’une ville à l’autre, voire d’un quartier ou d’une rue à l’autre, explique John Collin. Le type de bâtiment fait parfois aussi toute la différence. Les surfaces de 150 à 300 m2 ont la cote et sont donc moins sous pression. La situation est plus difficile en ce qui concerne les surfaces inférieures et supérieures.”
4. Réfléchir avec les locataires
Le paysage commercial est en constante évolution. Les préférences des consommateurs changent vite, les tendances en matière de shopping se suivent et ne se ressemblent pas. Bien que moins virulente depuis la fin de la pandémie, la menace de l’e-commerce est un risque réel dont les magasins physiques doivent tenir compte en permanence.
Les incertitudes sont nombreuses, d’où la nécessité pour les retailers de faire preuve de flexibilité, selon Nathalie Verheyen. “Les retailers entendent limiter les risques et hésitent à s’engager sur le long terme. Ils privilégient les baux flexibles de courte durée, ce qui ne fait évidemment pas les affaires des propriétaires. La valeur de leur portefeuille dépend essentiellement de la durée des baux et des risques y afférents. Dans le contexte actuel – marché de locataires -, les propriétaires sont disposés à satisfaire leurs locataires. A accorder une période de location gratuite, à prendre en charge une partie des investissements nécessaires pour la rénovation et le réaménagement du magasin. Malheureusement, notre législation sur les baux commerciaux, stricte et protectrice, n’offre qu’une marge de manoeuvre très étroite aux acteurs concernés.”
“La loi belge sur les baux commerciaux est dépassée et cela se sait dans toute l’Europe, renchérit John Collin. La contribution financière du propriétaire à l’aménagement du magasin s’élève facilement à plusieurs centaines de milliers d’euros. Il veut donc savoir avec certitude dans quel délai il pourra amortir cet investissement. Or la loi autorise le locataire à renoncer à son bail au bout de trois ans. Ce droit est contraignant.”
Retailers et propriétaires devraient oublier l’opposition classique locataire/bailleur, estime John Collin. “Mon conseil aux propriétaires? Faites du retailer votre partenaire. Réfléchissez et trouvez des solutions ensemble. Après tout, vous partagez les mêmes intérêts: un locataire satisfait n’a aucune raison de quitter.”
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