La cogénération, prisée des propriétés

La cogénération combine la chaudière classique et une autre source d'énergie: biomasse, solaire, éolien, pompe à chaleur... © Getty Images

Tiers investisseur et certificats verts: telle est la combinaison gagnante pour économiser l’énergie sans débourser un euro. Ce gros coup de pouce de la Région bruxelloise fait en sorte que la facture soit payée par l’ensemble des consommateurs.

La plupart des pays et régions se sont fixé des objectifs en matière d’énergie durable, qu’ils promeuvent et subventionnent de diverses façons. Ainsi la Région bruxelloise soutient-elle la production d’électricité propre en octroyant des certificats verts, un système que la Flandre et la Wallonie ont largement supprimé en 2014. Si la capitale l’a maintenu, c’est que ses besoins sont plus criants, parce que son bâti est plus ancien et qu’elle ne peut pas compter sur l’éolien: il lui faut donc mettre le turbo sur le photovoltaïque et la cogénération. Notons que grâce à l’incinérateur de Neder-over-Heembeek, qui affiche une puissance installée de 51 MW, contre 41 MW pour la cogénération et 124 MW pour le photovoltaïque, la biomasse joue un rôle non négligeable à Bruxelles.

Le message aux copropriétaires est clair: vous ne déboursez rien, et ne vous occupez de rien pendant 10 ans.”

Fanny Hellebaut, administratrice déléguée de Watt Matters

Votre certificat…

Le principe du certificat vert (CV) bruxellois est simple: le propriétaire de l’installation qui produit de l’électricité propre reçoit un certificat par 217 kilos de CO2 économisés ; il revend ensuite ses CV aux fournisseurs d’électricité qui sont, eux, obligés d’en acheter une certaine quantité. Le mécanisme a incité des milliers de particuliers, de même que diverses entreprises et institutions, à installer des panneaux photovoltaïques sur le toit de leur immeuble. Il existe cependant une autre source d’électricité verte, ou du moins considérée comme telle: la cogénération, c’est-à-dire la production à la fois de chaleur et d’électricité par une “machine” (c’est ainsi que les professionnels l’appellent) plus sophistiquée qu’une chaudière classique. L’intérêt: un rendement supérieur de 20% au minimum. Certes, moins d’un dixième de la cogénération est alimenté par une énergie verte telle que la biomasse, puisque l’essentiel du parc fonctionne au gaz ; mais c’est l’économie de CO2 réalisée qui est prise en considération et qui donne droit aux précieux CV.

Contrairement à la Wallonie et à la Flandre, la Région de Bruxelles- Capitale ne peut guère compter sur l'éolien.
Contrairement à la Wallonie et à la Flandre, la Région de Bruxelles- Capitale ne peut guère compter sur l’éolien.© Getty Images/iStockphoto

Ceci étant, la machine doit être installée dans un immeuble d’une certaine importance, c’est-à-dire une copropriété, dans le secteur résidentiel. Or les copropriétaires n’ont pas toujours de quoi financer l’investissement, et ne souhaitent pas nécessairement emprunter. Par ailleurs, comme c’est l’occupant qui réalise les économies, les propriétaires bailleurs peuvent ne pas se sentir vraiment concernés. “Le tiers investisseur permet de réaliser à la fois l’investissement et les économies, tout ceci sans débourser un centime”, s’enthousiasme Laurent Hoessen, administrateur délégué du bureau immobilier éponyme et syndic, notamment de l’imposant immeuble Résidence Nord, à Bruxelles.

… m’intéresse

Comment présente-t-on la chose du côté du tiers investisseur? Illustration avec deux entreprises et deux situations. “Le cas classique: une copropriété est équipée d’une ancienne chaudière à mazout, explique Fanny Hellebaut, administratrice déléguée de Watt Matters, bureau d’études et tiers investisseur spécialisé dans ce domaine. Notre argument est que l’installation est rentable pour vous et pour nous, donc qu’il faut franchir le pas! Si les propriétaires acceptent, on ajoute à la chaudière une cogénération, qui entraîne une économie d’énergie et qui est subsidiée par les certificats verts. Le message aux bénéficiaires potentiels est clair: c’est nous qui finançons le projet, en nous remboursant sur les économies d’énergie et les certificats verts pendant les 10 années durant lesquelles nous le gérons. Vous ne déboursez rien et vous n’aurez à vous occuper de rien pendant 10 ans.”

Une fois certifiée, l’installation qui produit de l’électricité durable donne droit aux certificats verts pendant 10 ans.

“Prenons à présent l’exemple du remplacement d’anciennes chaudières au mazout par de nouvelles chaudières assorties d’une cogénération au gaz, enchaîne son associé, Ismaël Daoud. Les travaux, qui coûtent 250.000 euros, permettent d’économiser 50.000 euros par an, ce qui signifie un retour en cinq ans. Mais le tiers investisseur pourra se contenter d’un temps de retour de six ou sept ans ; autrement dit, il se réserve 40.000 euros par an, laissant à la copropriété un gain de 10.000 euros. Il s’occupe de tout et prend le risque financier de ne pas pouvoir rembourser son investissement avec les certificats verts en cas de diminution du prix, par exemple, comme ce fut le cas en Région wallonne.” Précisons que le tiers investisseur se finance généralement auprès des banques, surtout de Belfius.

Rénover aussi la chaudière

“Nous pourrions rétrocéder ces 10.000 euros annuels à la copropriété, mais nous proposons souvent de consacrer cette somme, qui représente 100.000 euros sur 10 ans, à la rénovation des chaudières, précise Fanny Hellebaut. C’est finalement très bien de ‘sur-subsidier’ la cogénération et, en rénovant l’installation, d’arriver à l’objectif énergétique souhaité par la Région. Il n’est de toute manière pas pertinent d’installer une cogénération très performante à côté d’une chaudière qui, elle, ne l’est pas.” C’est ainsi que les choses se sont passées à la Résidence Nord, où la cogénération est entrée en production le mois dernier. Laurent Hoessen se félicite de la formule: “Pour les copropriétés, le tiers investisseur est vraiment génial et aujourd’hui, je saute sur cette solution! J’ai plusieurs autres projets encore en préparation”.

Dans quelle situation se trouve le tiers investisseur? Une fois certifiée, l’installation qui produit de l’électricité durable donne droit aux certificats verts 10 années de suite. Tel est donc l’horizon financier de l’investisseur, qui reste propriétaire du système pendant cette période. Et telle est aussi, en principe, la durée du contrat signé avec les propriétaires de l’immeuble. Que vaut un CV? C’est un produit de marché, dont le cours, qui fluctue en fonction de l’offre et de la demande, se situe généralement aux alentours de 90 euros. Brugel, l’organisme qui régule le marché à Bruxelles, garantit au producteur un prix de 65 euros au minimum.

La cogénération, prisée des propriétés

Six millions d’euros pour 2.632 appartements

Autre cas: le méga-projet initié en 2016 par le Foyer Anderlechtois est d’une nature un peu différente. Il s’agissait ici de moderniser les installations de 45 immeubles abritant 2.632 appartements, un investissement global de l’ordre de six millions d’euros. C’est Luminus Solutions, filiale indirecte de l’énergéticien français EDF, qui a décroché le marché. “Il s’agit bien de tiers investissement, précise Raoul Nihart, son CEO, puisque nous assurons la totalité du financement” ; nonobstant certaines particularités, comme le fait que Luminus travaille en partie sur fonds propres, ou que le Foyer paie une redevance annuelle.

La raison en est simple: alors que c’est l’installation de cogénération, et plus marginalement, ici, les panneaux solaires, qui sont financés par les certificats verts, ils ne représentent qu’un tiers environ de l’investissement total, dont l’essentiel concerne une modernisation en profondeur et le remplacement complet de 15 chaufferies. Le Foyer bénéficie en revanche de l’intégralité des économies d’énergie escomptées, seul le surplus éventuel étant partagé.

Le tiers investisseur est un véritable contrat de performance énergétique.”

Raoul Nihart, CEO de Luminus Solutions

“Un nombre assez important de cogénérations installées par le passé fonctionnent assez mal, car elles ont été vendues à des copropriétés qui n’ont pas les compétences pour les exploiter correctement, déplore Raoul Nihart. Il faut se rendre compte que c’est complexe. Nous les examinons au minimum une fois par semaine et elles sont surveillées à distance 24 heures sur 24. Il s’agit bien d’un contrat de performance énergétique. D’ailleurs, si les objectifs ne sont pas atteints, nous devons compenser financièrement.” Il existe aussi une contrainte réglementaire, embraie Fanny Hellebaut: “Pour recevoir le nombre de certificats verts prévu, nous devons prouver que l’équipement reste parfaitement à la hauteur, en envoyant chaque mois à Brugel un relevé de la consommation et de la production. Nous sommes donc clairement incités à faire en sorte que l’installation fonctionne parfaitement pendant 10 ans!”

Electricité: stop ou encore?

Plus efficace qu’une installation traditionnelle, l’unité de cogénération est utilisée en priorité, mais la chaudière permet de faire face aux pics de consommation de l’immeuble. Sauf besoins considérables, dus à la présence de nombreux ascenseurs ou d’une piscine par exemple, la “cogé”, comme on l’appelle dans le jargon, produit souvent beaucoup plus d’électricité que ce que requiert l’alimentation des espaces communs. Or le surplus ne peut pas être fourni aux résidents directement: il doit être injecté dans le réseau. Il est ensuite facturé à ces résidents… quatre fois le prix auquel le tiers investisseur l’a vendu, puisqu’il comprend notamment les frais de réseau.

Face à cela, trois stratégies sont possibles. La première consiste à limiter la production d’électricité. Inconvénient: brider la cogénération implique de recourir davantage à la chaudière classique, moins performante. L’opération est en outre moins rentable, puisque le nombre de certificats verts accordés est lié à la production d’électricité. La seconde, plus courante, est celle de la compensation: après tout, le tiers investisseur encaisse le prix d’une électricité produite avec du gaz payé par la copropriété. Le contrat peut tenir compte de cette “anomalie” apparente, en offrant par exemple à la copropriété une partie du produit de la vente des certificats. Troisième voie: valoriser cette électricité excédentaire en améliorant le confort de la copropriété, en installant par exemple des bornes de rechargement des véhicules électriques ou encore, des pompes à chaleur. Le mieux serait évidemment de pouvoir alimenter directement les résidents. Le cadre légal devrait prochainement évoluer dans cette direction.

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