Nomadisme numérique: un choix de vie
Une bonne connexion wifi et un PC portable, c’est tout ce qu’il fallait ces derniers temps pour travailler vu l’obligation de télétravailler. Certains ont décidé de ne pas rester à la maison et de s’exiler dans des lieux exotiques. Pour d’autres, le nomadisme numérique est un vrai choix: le choix de vivre où ils veulent plutôt que d’être liés à un lieu de travail. Plongée dans un phénomène en pleine expansion.
La pandémie n’a pas fait que doper l’immobilier de la province de Luxembourg et ses vertes contrées au calme. Elle a aussi donné des envies d’ailleurs à tous ces télétravailleurs forcés de rester chez eux. Parfois, il s’agissait juste de retourner dans sa famille à l’étranger. Parfois, ce n’était que profiter, plus longuement que d’habitude, de la douceur de vivre du sud de l’Europe. Parfois, l’employeur était parfaitement au courant. Parfois pas. Ces télétravailleurs ont rejoint en masse ceux qu’on appelle les nomades numériques. La plupart, pense-t-on, sont de jeunes indépendants, actifs dans des secteurs liés au numérique. Mais ce cliché n’a désormais plus lieu d’être. Parmi les 41 millions de nomades numériques recensés, on trouve désormais de tout: des employés, des familles entières, des indépendants, des jeunes, des vieux, des chefs d’entreprise, etc. A l’heure où la pandémie a mis à mal le tourisme, l’explosion du nomadisme numérique met aussi du baume au coeur de certaines destinations.
La plupart du temps, je cherche un logement Airbnb pas trop loin d’un espace de coworking qui m’a l’air sympa.
Fanny Marcoux, nomade numérique depuis 2019
Bali et la Thaïlande
Le nomadisme numérique existe depuis l’avènement d’internet. Cela fait des années que Bali ou l’île de Koh Phangan, en Thaïlande, accueillent des colonies de gens qui ont décidé de travailler dans un lieu paradisiaque. A l’origine, Koh Phangan est une île connue pour ses fêtes sans fin. Petit à petit, son accueil hôtelier s’est modifié pour accommoder des touristes d’un autre genre: ils restaient plus longtemps, demeuraient attablés dans les cafés pendant des heures avec leur ordi, etc. Comme à Bali, une véritable communauté s’est installée dans ce paradis. Seulement voilà, un visa touriste n’y est pas suffisant. Et nombreux sont ceux qui ont eu des ennuis. Si Bali y pense mais évolue lentement, la Thaïlande, durement touchée par l’absence de touristes, vient de décider de créer un véritable visa pour nomades numériques qui leur permettra de rester quatre ans. Il vient compléter le Smart Visa lancé en 2018. Ce dernier est tellement compliqué à obtenir que seulement 600 personnes y ont eu droit. Affublé des lettres T, S, I, E ou O, il est réservé aux talents désireux de travailler en Thaïlande, aux patrons de start-up, aux investisseurs, aux CEO ou cadres supérieurs ainsi qu’aux conjoints et enfants qui les accompagnent. En outre, il ne concerne que quelques industries comme le numérique, la pharma, l’automobile, le médical, la biotechnologie et le tourisme. Le nouveau visa entend élargir le champ et simplifier les exigences.
Lire aussi: Les hôtels, nos nouveaux bureaux?
Des sites dédiés
La Thaïlande ne fait en réalité que suivre un mouvement de fond amorcé il y a quelques années et qui s’est accéléré avec la pandémie. Les Bermudes ont ainsi lancé un programme appelé Work from Bermuda qui permet d’y rester un an à condition de prouver qu’on travaille à distance pour une entreprise étrangère. Hawaï, Aruba, l’île Maurice, le Costa Rica ont le même genre de programmes ouverts à tout le monde. D’autres pays sont plus restrictifs. La Barbade exige un niveau de vie équivalent à un salaire net de 42.000 euros par an. Dubaï vous octroie un titre de séjour exceptionnel d’un an si vos émoluments mensuels nets démarrent à 4.215 euros nets. Abou Dhabi a quasiment les mêmes exigences.
Cette ouverture de frontières tient aussi au fait qu’avec l’avènement du télétravail obligatoire et la confirmation que nombre de métiers pouvaient aisément s’exercer à distance, le profil des nomades numériques s’est élevé dans l’échelle sociale. Preuve que ce profil s’est affiné, il existe désormais des pure players qui ont fait du séjour pour nomade numérique leur business. Le plus connu d’entre eux est américain et s’appelle Remote Year. Le site propose des programmes sur mesure qui garantissent au nomade un lieu pour vivre (hôtel, appartement ou colocation), un bureau dans un espace de coworking, des activités locales organisées, etc. A titre d’exemple, un programme de 12 mois (un mois par ville) vous emmène pendant un an sur quatre continents (Amérique latine, Europe, Afrique du Sud et Asie) pour 32.000 dollars, déplacements compris.
Lire aussi:Quel avenir pour les bureaux obsolètes?
En Europe aussi
Un nomade numérique ne doit pas forcément aller loin pour trouver son bonheur. En Europe, nombre de destinations ensoleillées sont devenues des paradis pour travailleurs à distance. Ainsi, sises dans les Canaries, Las Palmas et Santa Cruz (Tenerife) sont considérées par Nomad List, un autre site dédié au mode de vie, comme faisant partie des 10 meilleures destinations mondiales. On y épingle la météo très favorable, la sécurité, le coût de la vie peu élevé, des soins de santé et une nature de toute beauté. Au début février, le gouvernement local, bien décidé à surfer sur le succès grandissant de ce type de tourisme, a lancé un plan d’action pour attirer 30.000 nomades numériques en cinq ans. Un investissement d’un demi-million d’euros et des mesures précises destinées spécifiquement à attirer les télétravailleurs européens dont les Belges, les Néerlandais et les Français.
Cette ouverture de frontières tient aussi au fait que le profil des nomades numériques s’est élevé dans l’échelle sociale.
Le Portugal entend bien aussi profiter de cet engouement. Le gouvernement de l’île de Madère a lancé en février un programme unique mis sur pied en collaboration avec Gonçalo Hall, un évangéliste mondialement connu du mouvement nomadiste. Il a inauguré à Ponto Sol un village nomade au bord de l’eau qui offre un espace de travail gratuit (avec wifi) pour toute personne qui reste au moins un mois pour travailler à distance. L’offre comporte aussi des activités gratuites en soirée ainsi qu’une équipe de support dédiée. Gonçalo Hall entend dupliquer ce modèle ailleurs sur l’île mais aussi dans d’autres régions du Portugal.
A l’Est aussi
La Croatie a aussi lancé le 1er janvier dernier un permis de séjour spécial destiné aux nomades numériques non européens. Il permet de rester un an (il n’est renouvelable qu’après une carence de six mois) et de ne pas payer d’impôts pour autant qu’on soit un indépendant ou un salarié du secteur des technologies de la communication (revenu minimum de 2.230 euros mensuels nets) non lié à des clients croates. La Géorgie dispose d’un programme similaire. Mais c’est l’Estonie qui, à l’Est, remporte la palme. Pays ultra-connecté, elle a depuis longtemps compris l’intérêt d’attirer des étrangers talentueux sur son territoire. Notamment via un programme d’e-résidence destiné à ceux qui veulent y créer une entreprise. Depuis l’an dernier, elle a ajouté un visa spécial nomade numérique qui permet de rester un an (3.500 euros nets exigés). A Tallin, la capitale, elle a d’ailleurs créé des infrastructures spécialement dédiées, notamment d’anciens bâtiments soviétiques rénovés. L’Estonie, Fanny Marcoux, marketeuse digitale diplômée d’HEC Liège et de l’université de Maastricht, l’a visitée pendant trois mois l’an dernier. Elle s’occupe du marketing d’autres indépendants et d’espaces de coworking et ne travaille plus qu’en ligne.
“J’ai découvert ce mode de vie lors d’une conférence du Café Numérique à Liège. Il a fallu du temps pour que je me lance mais depuis l’automne 2019, j’ai été nomade pendant 13 mois. Je suis allée au Japon, en Estonie, en Suède et je suis actuellement en France. La plupart du temps, je cherche un logement Airbnb pas trop loin d’un espace de coworking qui m’a l’air sympa. J’y vais une à deux fois par semaine pour me constituer un réseau et rencontrer des gens. Le nomadisme numérique me permet aussi de retrouver des connaissances que je pensais ne jamais revoir vu la distance et le travail. Vu la pandémie, l’Espagne et le Portugal seront sans doute mes prochaines destinations. J’ai aussi envie de retourner au Japon mais dans une autre région, et de découvrir le Brésil, le Canada, le Panama, le Mexique…”
Fanny Marcoux fait aussi partie d’un groupe Facebook appelé Digital Nomad Girls. Celui-ci donne des conseils aux femmes qui ont choisi ce mode de vie. Ce genre de groupe pullule sur la toile. Il en existe aussi qui parlent d’un nomadisme particulier: la vie en van (#vanslife). Des nomades, souvent à deux, qui parcourent le monde en mobile home ou dans un van transformé. C’est à la fois leur maison et leur bureau…
L’Allemagne pour commencer
Pendant cinq ans, pour le compte d’Haliburton, une société américaine leader dans les services pétroliers, Sébastien Colen a parcouru l’Asie, les Etats-Unis et l’Afrique. En 2016, il a tout arrêté, bien décidé à faire de Col&MacArthur, la marque horlogère qu’il avait fondée avec Ian Wood-MacArthur, un succès commercial.
C’est en 2018 que tout s’enchaîne pour sa société, quand elle offre une montre commémorant l’Armistice à Emmanuel Macron et Angela Merkel lors de leur venue à Compiègne. Depuis, Col&MacArthur a validé son concept de montres commémoratives avec de beaux succès comme les modèles consacrant les 50 ans du premier pas sur la Lune ou le bicentenaire de la mort de Napoléon. La société basée à Bassenge vend uniquement en ligne. Sébastien Colen, son CEO, l’a organisée de telle manière à pouvoir voyager.
“Je n’ai qu’une personne au siège pour gérer les commandes et les envois. Tous les autres collaborateurs sont des indépendants payés selon un contrat de maintenance. Y compris l’horloger liégeois qui assemble les montres en fonction des commandes au départ de pièces produites en Suisse. Moi, je gère le tout depuis l’étranger. C’est un modèle que j’ai testé à partir de l’été dernier. Il fonctionne puisque les ventes demeurent élevées et que les clients sont satisfaits de leur expérience d’achat.”
En juillet, Sébastien Colen est ainsi parti rejoindre sa copine à Heidelberg, en Allemagne, et il ne compte pas revenir de sitôt. “Ce n’est pas elle qui m’a poussé à imaginer le modèle de mon entreprise. J’ai toujours voulu voyager. Heidelberg n’est qu’un début. Nous partons à Berlin en juin et avons d’autres projets, comme le Mexique. Son employeur l’autorise à travailler à distance. Nous serons donc deux nomades numériques. Voyager va me permettre de me nourrir de nouvelles cultures, de rencontrer des gens et, sans doute, d’avoir d’autres idées de montres.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici