Mobilité: le marché des chargeurs électriques publics encore balbutiant

6.551 points d'accès publics ont été installés en Belgique. © R. Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les voitures électriques sont devenues très agréables à conduire, mais leur recharge sur la voie publique reste encore hasardeuse. Il existe des milliers de bornes mais elles calent parfois, comme nous avons pu le tester. Ce nouveau marché doit encore être rodé.

L’arrivée de la Volkswagen ID.3 était une trop belle occasion pour tester les recharges sur les routes, qui représentent un nouveau marché et une nouvelle activité. Ce modèle est le premier d’une longue série développée par le groupe allemand, sur une plateforme conçue dès l’origine pour la motorisation électrique.

La voiture nous a été prêtée par l’importateur de la marque en Belgique, D’Ieteren Auto, avec un badge valable pour la recharge sur à peu près toutes les bornes publiques. Ce badge, qui comporte une puce RFID pour activer les bornes, est fourni par EDI, une filiale de D’Ieteren qui installe des systèmes de recharge à domicile ou en entreprise. Il assure un accès aux réseaux de bornes d’accès public, pour toutes les marques de voitures.

En une petite dizaine d’années, des milliers de bornes ont été installées sur la voie publique, dans des parkings de commerces et des stations-services. Selon le dernier pointage de l’ACEA, l’Association européenne des constructeurs de voitures, la Belgique compte 6.551 bornes d’accès public, pour un parc de 23.000 voitures à batterie (données Febiac juin 2020).

Les Particularités

Tarif: le grand écart. Une charge sur le parking de l’entreprise peut revenir à 10 centimes par kWh (5,5 euros pour le “plein” d’une VW ID. 3, soit 300 km), 36 centimes pour Charge.brussels (5kWh minimum), à 79 centimes sur une borne rapide Ionity et 20 à 25 centimes à domicile. Tesla facture 28 centimes. C’est parfois gratuit sur les parkings de magasins.

Le paiement. Les bornes acceptent rarement les cartes de paiement, mais bien des cartes/badges fournies par les réseaux ou des mobility service providers qui sont multiréseaux et internationaux (NewMotion, Chargemap ou Plugsurfing (qui fournit EDI).

Pas encore la fiabilité des pompes à carburant

Disons d’emblée que les résultats de nos essais sont mitigés. Sur 11 tentatives sur des bornes de réseaux très différents, cinq se sont soldées par un refus de recharge. Des bornes à charge rapide Ionity, qui appartiennent à plusieurs constructeurs, comme VW ou BMW, font partie des tentatives infructueuses (à Bierset et Wetteren). Il faudrait, bien sûr, un test plus étendu, sur des centaines d’essais, pour tirer une conclusion statistique précise mais il apparaît que la borne d’accès public n’offre pas encore la fiabilité des pompes à carburant.

Notons qu’il y a souvent d’autres bornes pas loin d’un point de charge récalcitrant. Lors de notre essai infructueux sur l’autoroute de la mer, à Wetteren, il y avait une série de bornes à quelques kilomètres de là (Blue Corner). Les applications fournies avec les cartes de recharge permettent de les trouver.

Le CEO d’EDI, Nicolas Paris, reconnaît que les réseaux de charge ont aujourd’hui, en Belgique, encore des ratés. “C’est encore un marché très récent chez nous. Aux Pays-Bas, où les bornes et les voitures électriques sont plus nombreuses, le marché est plus mature”, explique-t-il. Les bornes, plus nombreuses (50.824 bornes, 25% du parc européen) y sont plus fiables. Ces ratés constituent certes un problème, mais pas trop grave, ajoute le CEO, “car l’utilisateur d’une voiture électrique charge à 90% chez lui ou au bureau ; quand il charge ailleurs, il se rend dans des endroits qu’il connaît”. Les réseaux sont très différents des enseignes de carburants. Ils s’appellent Allego, Blue Corner, Ionity, Luminus, Pitpoint Clean Fuels, ThePlugInCompany, Tesla, etc. Leurs bornes sont installées sur la voie publique et sur les parkings de magasins ou centres commerciaux.

Un marché peu mature, qui avoue encore quelques maladies de jeunesse.
Un marché peu mature, qui avoue encore quelques maladies de jeunesse.

La situation de ce marché est un peu confuse car certains acteurs fabriquent et posent des bornes pour les entreprises et les particuliers, tout en gérant également des bornes d’accès public. Les pétroliers en rachètent certains, comme Pitpoint Clean Fuels, qui appartient à Total et qui a été choisi par la Région bruxelloise pour équiper les voies publiques sous la marque Charge.brussels. Octa+, de son côté, a revendu ses pompes à carburant et pris le contrôle du réseau Blue Corner qui installe aussi des systèmes de recharge à domicile ou en entreprise.

Des constructeurs investissent également dans ce marché pour rassurer leur clientèle, comme l’a fait Tesla, avec succès, dont les bornes sont réservées à ses clients. En réponse, plusieurs constructeurs comme BMW, VW Group, Daimler et Ford, ont investi dans Ionity, un réseau de bornes très rapides en cours de déploiement en Europe. Ce marché est encore en formation et cherche sa rentabilité. L’acteur Blue Corner, dont nous avons essayé une recharge avec succès, affichait toujours des pertes en 2019.

Une autonomie heureusement suffisante

Les maladies de jeunesse des bornes publiques ne doivent pas effacer les progrès considérables des constructeurs automobiles. Les derniers modèles, comme la VW ID.3, offrent un agrément de conduite, un silence, des performances intéressantes et un espace intérieur très séduisant, même si les tarifs restent encore élevés (environ 40.000 euros pour le modèle essayé).

L’autonomie des nouveaux modèles électriques rend l’usage des bornes publiques plus épisodique, sauf pour de très longs trajets. La VW ID.3, équipée d’une batterie de 58 kWh (la capacité des batteries s’exprime en kWh, qui est aussi l’unité de facturation des bornes. Les kW indiquent une puissance, ndlr), dépassait les 300 km. De quoi aller partout en Belgique et revenir à la borne de la maison ou du bureau, sauf peut-être au fin fond du Luxembourg. L’achat d’un véhicule électrique suppose la possibilité d’installer une borne à domicile ou de charger au bureau. Selon Nicolas Paris, il y a toujours moyen d’installer chez soi une borne de 3,7 kW (soit 37 kWh sur 10 h, environ 200 km pour la VW ID. 3 essayée) pour peu que vous habitiez dans une maison.

Un marché peu mature, qui avoue encore quelques maladies de jeunesse.
Un marché peu mature, qui avoue encore quelques maladies de jeunesse.

Vitesse de recharge variable

Un autre aspect à maîtriser est la vitesse de recharge. Elle varie d’une borne à l’autre. A Bruxelles, les bornes Charge.brussels installées sur la voie publique livrent 11 kW et assurent ainsi, selon nos essais, environ 60 km d’autonomie par heure de charge (cinq bonnes heures pour un plein complet). Les bornes rapides Total/Allego testées dans une station à Ruisbroek (autoroute) permettaient jusqu’à 11 km d’autonomie par minute de charge, mais la vitesse varie au fil du processus… La borne promettait une recharge complète de la batterie en 65 minutes.

La vitesse dépendra aussi du nombre de véhicules connectés au même point de charge. Une borne de 11 kW avec deux branchements va partager en deux sa capacité. Nous n’avons jamais fait face à ce souci car aucune des zones de recharge que nous avons essayées n’était occupée par d’autres véhicules. Une des bornes testées était particulièrement lente, celle de ThePluginCompany sur le parking d’un Decathlon à Evere (37 km/h) mais elle était gratuite, librement accessible sans badge.

Le marché des bornes d’accès public doit donc encore s’améliorer. Et grandir. “Dans un premier temps, il faut un réseau de bornes bien visible qui va rassurer le consommateur et l’encourager à faire le premier pas vers la voiture électrique, sinon il s’abstiendra”, estime Joost Kaesemans, porte-parole de Febiac, la fédération des importateurs, qui souhaite que les pouvoirs publics encouragent ces réseaux. Le projet du gouvernement De Croo de réserver le cadre fiscal des voitures de société à des modèles “neutres en carbone” à partir de 2026 pourrait indirectement accélérer le développement de réseaux de bornes.

Un parc de 23.000 voitures

Pour rentabiliser des bornes, il faut des voitures électriques. Mais ces dernières sont encore peu nombreuses. Le parc représente 23.000 véhicules (données du mois de juin 2020) sur un total de 5,8 millions, mais il grandit malgré le Covid. Sur les 10 premiers mois de 2020, la Febiac annonce 10.773 autos électriques (contre 7.307 pour la même période en 2019). En tête: 1.716 Tesla Model 3, 1.045 Audi SUV e-Tron (assemblées à Forest), 985 Renault Zoe, 662 Porsche Taycan, 512 Hyundai Kona et 535 Mini.

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