Stocklear: le déstockage 2.0

Simon Vancoppenolle, fondateur de Stocklear: "Aujourd'hui, les 'retailers' se décident à traiter la gestion des invendus pour deux raisons majeures: l'enjeu sociétal et l'enjeu économique." © Photos PG
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Alors que de nombreux distributeurs et marques se retrouvent avec des kilos d’invendus sur les bras, la place de marché professionnelle Stocklear leur permet de les vendre à des déstockeurs selon un système d’enchères, modernisant au passage la fonction de grossiste en déstockage. Comment cela fonctionne-t-il concrètement? Et quel est l’intérêt pour les deux parties?

C’est un défi auquel sont confrontés tous les détaillants: la gestion de leurs invendus. D’autant plus en période de crise, alors que les magasins jugés non essentiels ont dû fermer leurs portes à plusieurs reprises l’an dernier. L’enjeu est clairement d’actualité. De plus en plus de pays, dont la France, commencent en effet à voter des lois interdisant aux distributeurs de détruire leur surstock non alimentaire. On se souvient notamment de la polémique déclenchée en 2018 suite aux révélations selon lesquelles le géant américain Amazon avait détruit plus de 3 millions d’invendus en France pour libérer de la place dans ses entrepôts.

C’est dans ce contexte favorable que le Belge Simon Vancoppenolle entend posititionner sa jeune entreprise: Stocklear. Installée à Roubaix, au sein de l’incubateur de start-up EuraTechnologies, celle-ci se définit comme une place de marché B to B mettant en relation des distributeurs et des marques avec des magasins de déstockage pour que les premiers puissent écouler des invendus ou des articles retournés par les clients. “Nous digitalisons la transaction entre les deux parties”, explique le jeune entrepreneur, qui vient en réalité concurrencer le métier de grossiste en déstockage. “Nous le concurrençons d’une certaine manière, dit-il. Mais nous comptons aussi des grossistes en déstockage parmi les acheteurs présents sur notre place de marché. En temps normal, quand un grossiste est dans la short list des acteurs qui vont être consultés par un retailer, il a l’obligation d’accepter tous les lots qui arrivent sans que ceux-ci ne soient triés par catégories. Or, il n’est pas forcément intéressé par certaines catégories d’articles, pour lesquelles il va quand même devoir trouver des acheteurs.”

Nous subdivisons la marchandise par catégories et nous réduisons la taille des lots.”Simon Vancoppenolle

Stocklear propose une solution différente. “Compte tenu des volumes que nous traitons et de la solution que nous avons mise en place pour les retailers, nous subdivisons la marchandise par catégories et nous réduisons la taille des lots, explique notre interlocuteur. Cela permet au distributeur de vendre plus régulièrement, de ne pas attendre que son entrepôt soit rempli d’invendus avant de le vider ; et au déstockeur d’acheter très fréquemment dans sa catégorie, lui qui doit remplir ses rayons et proposer des nouveautés très régulièrement.”

5.000

Nombre d’acheteurs sur la “marketplace” de Stocklear.

Decathlon, DreamLand, Match France, etc.

A ce jour, la start-up accueille 35 vendeurs (distributeurs ou marques) sur sa plateforme. En Belgique, elle travaille notamment avec Decathlon et DreamLand, la chaîne de jouets du groupe Colruyt. Elle vient par ailleurs de nouer un partenariat avec les supermarchés Match, en France, dont elle gère désormais les invendus non alimentaires. “Les acheteurs professionnels peuvent dès à présent acheter des lots de déstockage provenant de l’enseigne à la palette, au demi-camion ou au camion”, précise Simon Vancoppenolle. Du côté de la chaîne du groupe Louis Delhaize, on se réjouit de cette collaboration. “C’est ce que j’appelle de la tech for good, qui allie à la fois enjeux sociétaux et exigences économiques d’une entreprise comme la nôtre”, explique Olivier Thibaut, responsable métiers multicanal chez Match France. Le distributeur voit dans ce partenariat plusieurs avantages concrets. “Les outils développés par Stocklear nous permettent de contrôler la distribution de nos invendus et donc de ne pas jeter, de compenser les dépréciations comptables que nous avions faites sur ces produits, de piloter cette activité et d’en faire une source de revenus”, ajoutee Stéphane Vautherot, contrôleur de gestion au sein de l’enseigne.

A ce jour, la start-up accueille 35 vendeurs (distributeurs ou marques) sur sa plateforme.
A ce jour, la start-up accueille 35 vendeurs (distributeurs ou marques) sur sa plateforme.

“Les retailers ont jusqu’à présent peu investi dans la gestion de leurs invendus, remarque le fondateur de Stocklear. Aujourd’hui, ils se décident à traiter cette problématique pour deux raisons majeures: il y a à la fois l’enjeu sociétal et l’enjeu économique. De plus en plus de retailers créent des business units dédiées à la seconde vie des produits. Ils doivent du coup pouvoir s’appuyer sur des données fiables et avoir de la visibilité sur l’activité. Historiquement, cela se faisait par le biais de grossistes en déstockage. Le responsable d’entrepôt en charge des fins de stock envoyait un fichier Excel à une dizaine de solders et c’est celui qui répondait le premier qui obtenait le lot à un prix dérisoire.” Certains secteurs sont toutefois mieux organisés que d’autres. C’est le cas du prêt-à-porter, avec des sites comme Veepee, Showroomprivé, etc. Une partie des invendus des enseignes de mode part en effet dans ces canaux de distribution. Certaines chaînes disposent aussi de canaux de distribution outlet, qui peuvent très bien être physiques ou en ligne, et le solde des invendus est enfin traité par des grossistes.

Convaincre les acheteurs “vieille école”

Du côté des enseignes de déstockage, Stocklear accueille environ 5.000 acteurs sur sa marketplace. Essentiellement de plus petits joueurs disposant de 1 à 100 magasins. Les grandes enseignes, elles, préfèrant la plupart du temps limiter les intermédiaires. On pense notamment à Action. “Pour l’instant, ce n’est pas notre coeur de cible d’acheteurs, assure Simon Vancoppenolle. Mais le groupe observe très attentivement ce que nous faisons car nous digitalisons l’approvisionnement des déstockeurs. Le métier d’acheteur est un très vieux métier et nous révolutionnons la manière dont les déstockeurs pourraient acheter leurs invendus. Cela les interpelle. Maintenant, ces grands comptes du déstockage vont généralement acheter des quantités astronomiques en direct auprès des marques. Ils ne sont pas très fans des intermédiaires.”

A ce jour, la start-up accueille 35 vendeurs (distributeurs ou marques) sur sa plateforme.
A ce jour, la start-up accueille 35 vendeurs (distributeurs ou marques) sur sa plateforme.

“Quand on digitalise un secteur, surtout en B to B, on digitalise les habitudes des personnes qui sont en place, affirme Simon Vancoppenolle. La génération actuelle d’acheteurs a toujours fonctionné de manière un peu old school. Une partie de notre métier consiste donc à changer leur manière d’appréhender leur fonction d’achat, ce qui est beaucoup plus rapide à effectuer avec de petites structures, surtout pendant cette crise. Les petits déstockeurs continuent en effet à devoir s’approvisionner, mais le Covid rend les opérations plus compliquées. Les interlocuteurs sont moins disponibles, les accès aux entrepôts plus compliqués. Ces plus petites structures recherchent donc abso- lument de la marchandise et le fait que nous digitalisions la tran- saction leur est profitable. Avec la crise, le pouvoir d’achat devient en outre un sujet encore plus important pour les consommateurs, et ces enseignes de déstockage ont le vent en poupe. Elles doivent remplir leurs linéaires.”

Un système d’enchères

Concrètement, la place de marché Stocklear fonctionne sur la base d’un système d’enchères, la start-up se rémunérant grâce à une commission prélevée sur chaque transaction. “Les lots sont proposés aux enchères par les retailers pendant une période limitée dans le temps, explique le responsable. Les acheteurs enchérissent et dès que la tran- saction est terminée, nous prenons un pourcentage.” Cette mécanique de l’enchère serait “ultra-vertueuse”, dixit notre interlocuteur. “C’est pour cela que notre solution séduit le marché, dit il. Cette manière de procéder retire toute forme de négociation, alors que le déstockage est historiquement un milieu dans lequel la négociation est très courante. Sur notre plateforme, l’acheteur propose son offre et celle-ci est engageante. Je discutais récemment avec le patron des achats d’un très grand retailer français qui me disait: ‘On ne gagne déjà plus d’argent sur les produits en déstockage. Si nous devons commencer à négocier et à rajouter du temps humain, cela n’a aucun sens économique’. Le fait de laisser le marché donner son prix est beaucoup plus vertueux pour tout le monde. Cela fait gagner beaucoup de temps, la transaction se fait beaucoup plus vite, et tout le monde est aligné.”

Stocklear: le déstockage 2.0

Sur sa marketplace, Stocklear segmente les offres. Plutôt que de vendre 100.000 paires de chaussures d’un coup, l’algorithme recommande au vendeur de créer, par exemple, 10 offres de 10.000 paires. “Cela permet à la fois à plus d’acheteurs de se positionner, et au vendeur de récupérer le meilleur prix possible sur son stock en même temps qu’il récupère rapidement de la trésorerie et de la place en entrepôt”, explique Simon Vancoppenolle.

Aujourd’hui, les défis pour Stocklear restent toutefois nombreux. Du côté des marques et des détaillants, le plus grand challenge consiste à changer les mentalités au niveau de la gestion des invendus. “Notre solution est innovante, et comme toute solution innovante, il y a de la résistance au changement. D’où l’intérêt des services ‘innovations’ des grands retailers qui sont vraiment un appui pour nous. Ils nous permettent d’accélérer notre processus de vente auprès des distributeurs. Il faut que ces derniers soient conscients que la problématique des invendus est on ne peut plus actuelle, qu’il est possible de digitaliser ce business et qu’ils peuvent en obtenir plus de valeur que ce qu’ils en obtiennent aujourd’hui.”

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