Seconde main: les grandes marques sautent sur l’occasion

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Portées par la crise, les plateformes de seconde main affichent des taux de fréquentation record. Un succès dont les marques entendent bien tirer parti alors qu’en même temps, elles veulent remettre la main sur leurs clients d’occasion pour leur faire acheter… du neuf! Les initiatives se multiplient, chacun tentant de rentabiliser cette nouvelle activité.

C’est un business en plein boom. D’après une étude menée par l’agence iVOX pour le compte de 2ememain.be, Troc.com et Cash Converters, plus de quatre Belges sur dix (43,7%) ont revendu en 2019 des objets dont ils ne se servaient plus. Ils étaient 37,9% un an plus tôt. Au total, les Belges auraient ainsi gagné en moyenne 134,8 euros. Et chez plus d’un vendeur sur dix, le bénéfice dépasse même la barre des 300 euros. Parmi les articles les plus revendus, on retrouve les vêtements, les meubles, les livres, l’électronique et les jouets.

La tendance ne semble pas près de s’estomper. Bien au contraire. La crise que nous traversons agit comme un accélérateur. “Il y a clairement une prise de conscience due au Covid, confirme Marie-Cécile Cervellon, professeur de marketing à l’Edhec Business School (Lille). Le discours selon lequel il faut essayer d’économiser les ressources planétaires et consommer de manière plus responsable s’est renforcé.” Toutes les initiatives s’inscrivant dans le cadre de l’économie dite circulaire sont du coup plébiscitées, en particulier par la jeune génération qui entend plus que jamais donner du sens à sa consommation.

La crise a également aggravé la situation financière de tout un pan de la population qui voit dans l’achat et la vente d’articles de seconde main l’occasion de continuer à consommer, mais de manière plus ingénieuse, en faisant des économies. “Pour les vendeurs, le marché de la seconde main permet de se faire de l’argent en vue de financer un prochain achat, éventuellement neuf, explique notre experte. Les plus activistes rachèterons de l’occasion. Du côté des acheteurs, l’objectif, en plus de consommer de manière responsable, est d’en avoir pour son argent. C’est la notion de ‘value for money’. La seconde main permet d’acheter des produits de qualité à des prix intéressants.”

De nombreuses marques souhaitent tirer parti de la seconde main, mais ne savent pas encore comment le faire de manière rentable.

Tirer parti de cette manne

Les plateformes en ligne spécialisées dans l’achat/vente d’articles d’occasion surfent à fond sur ce regain d’intérêt. Mais les marques et les distributeurs n’entendent pas les laisser profiter seuls de cette manne. Voir leurs articles revendus et rachetés sur des plateformes comme Vinted et Cie sans pouvoir en bénéficier et sans connaître leurs clients qui fréquentent ces circuits, c’est fini! Il ne se passe pas une semaine sans qu’une marque annonce le lancement d’une plateforme ou la signature d’un partenariat devant permettre à ses clients de revendre ou d’acheter ses articles en seconde main.

L’an dernier, deux poids lourds de la mode se sont ainsi lancés dans l’aventure. Le géant suédois H&M, via sa marque COS, a ouvert au Royaume-Uni une plateforme de seconde main baptisée Resell. Objectif? Permettre à ses clients inscrits de vendre d’anciens vêtements de la marque et d’acheter des pièces d’archives. Resell joue ici un rôle d’intermédiaire à la Vinted. Le vendeur fixe un prix, fournit les informations sur le produit et se charge de l’expédition. COS prend pour sa part une commission de 10% sur chaque vente. Avec cette nouvelle plateforme, la marque britannique est l’une des premières grandes marques de mode à permettre la revente de ses articles via une plateforme dédiée créée en interne.

Face à la vague de l’occasion, les géants de l’e-commerce aussi veulent être de la partie. Ainsi, l’allemand Zalando annonçait en septembre dernier le déploiement en Belgique de sa nouvelle offre de mode de seconde main: Pre-owned. Ici, le modèle est tout à fait différent. Le groupe récupère les vêtements en échange d’une carte cadeau. L’idée principale est donc que les clients puissent échanger les pièces qu’ils ne portent plus contre des articles neufs.

Fidéliser les clients

Les raisons qui poussent les marques à se lancer aujourd’hui sur le marché de l’occasion pourraient donc bien être très éloignées de celles habituellement affichées dans les communiqués de presse. Pour Marie-Cécile Cervellon, les enjeux sont multiples. “Il s’agit tout d’abord de fidéliser leurs clients au sein de leur propre écosystème, explique-t-elle. Allons-nous continuer à voir nos articles revendus sur des sites comme Vinted et autres sans rien faire ou sommes-nous prêts à adopter une approche beaucoup plus volontariste en tentant de développer une activité de seconde main? C’est la question que se posent de plus en plus de marques qui entendent tirer parti de ce marché prometteur.”

Decathlon propose à ses clients de racheter leurs vélos, trottinettes, appareils de fitness et autres vêtements de sport achetés au sein de l'enseigne, pour les reconditionner ensuite.
Decathlon propose à ses clients de racheter leurs vélos, trottinettes, appareils de fitness et autres vêtements de sport achetés au sein de l’enseigne, pour les reconditionner ensuite.© Photos PG

Autre enjeu: l’image. “Encourager ses clients à vendre et acheter ses articles en seconde main permet à une marque d’acquérir un surplus de valeur, affirme notre interlocutrice. Cela montre qu’il s’agit d’une marque durable, de bonne qualité puisque les articles peuvent être revendus.” Enfin, inciter les clients à revendre leurs produits sur une plateforme propre à la marque les encourage tout simplement à racheter au sein de cette marque, d’autant plus si les clients-revendeurs ne reçoivent pas du cash, mais bien des bons d’achat. “Au minimum, il s’agit de fidéliser les clients et de les encourager à racheter du neuf ; au mieux, il est possible de bénéficier financièrement de l’essor de ce marché à travers le prélèvement de commissions sur les ventes, etc.”, résume Marie-Cécile Cervellon.

Quel modèle économique?

Pour le moment, aucun modèle stable n’a encore véritablement émergé. De nombreuses marques souhaitent se réapproprier ce business et en tirer parti mais ne savent pas encore comment le faire de manière rentable. C’est pour cette raison que l’on assiste aujourd’hui à une multitude de tests destinés à dénicher le bon modèle économique. Certaines marques décident de nouer des partenariats avec de grandes plateformes de seconde main. C’est le cas, par exemple, de Burberry qui s’est récemment associé au spécialiste de l’occasion The RealReal. Ses clients sont encouragés à déposer une pièce d’occasion sur la plateforme pour se voir proposer en retour une invitation à une session de shopping personnelle dans l’une des boutiques de la marque de luxe britannique.

43,7% : proportion de Belges ayant revendu en 2019 des objets dont ils ne se servaient plus.

D’autres labels optent pour l’ouverture de boutiques de seconde main au sein même des grandes marketplaces. D’autres encore, permettent à leurs clients de vendre leurs articles via un simple bouton dans l’historique des commandes. Un clic qui génère un certificat d’authenticité numérique du produit, avant la mise en vente de ce dernier sur les plateformes de seconde main existantes. C’est la voie originale explorée par la marque de mode française Ba§sh qui, aidée dans cette aventure par deux start-up, peut ainsi garder le contact avec ses clients. Reste maintenant à monétiser tout cela, car la marque doit non seulement payer les certificats mais aussi rémunérer les plateformes sur lesquelles ses produits certifiés sont revendus…

En Belgique, plusieurs chaînes lancent pour le moment des tests en la matière.

Enfin, certaines marques décident de créer leur propre plateforme de seconde main. Soit ces dernières ne servent que d’intermédiaire entre vendeurs et acheteurs, soit le modèle comprend également le traitement et la revente des articles par la marque elle-même. “Cela peut être très coûteux”, prévient Marie-Cécile Cervellon. Il faut en effet compter toute la logistique nécessaire, la vérification des produits, leur réparation éventuelle, leur revente et leur expédition. “C’est un nouveau métier! Il faut faire des volumes pour rentabiliser toutes ces opérations coûteuses. C’est pourquoi je pense que nous allons assister à pas mal d’essais de la part des marques avant d’atteindre un business model stabilisé.”

Cora s'est lancé dans la seconde main en partenariat avec Cash Converters qui a ouvert un premier shop-in-the-shop dans l'hypermarché de Rocourt.
Cora s’est lancé dans la seconde main en partenariat avec Cash Converters qui a ouvert un premier shop-in-the-shop dans l’hypermarché de Rocourt.© Photos PG

Ikea en solo, Cora en partenariat

Chez nous aussi, plusieurs chaînes lancent pour le moment des tests, histoire de vérifier comment tout cela peut être rentabilisé, avant d’élargir le modèle. C’est notamment le cas du spécialiste de l’ameublement Ikea. Le groupe s’apprête à lancer en Belgique un service baptisé Seconde main (ça ne s’invente pas! ) qui permettra aux clients de ramener en magasin les articles dont ils souhaitent se séparer. “Nous allons lancer une nouvelle plateforme en ligne sur laquelle les clients pourront recevoir une évaluation du prix de l’article qu’ils souhaitent retourner, nous explique-t-on. Ils devront ensuite le rapporter en magasin et recevront en échange des bons d’achat de la valeur indiquée.” Si l’article ne peut être remis à neuf, il sera recyclé. S’il peut être réparé, il sera remis en état avant d’être revendu dans un espace consacré à la deuxième main, le fameux “Circular Hub” qui vient d’être créé dans le magasin de Mons et qui sera déployé dans l’ensemble des points de vente belges du groupe dans les deux ans.

Autre acteur, autre stratégie: la chaîne de grande distribution Cora vient, elle aussi, d’annoncer en ce début d’année sa volonté de se lancer sur le marché de l’occasion. Mais l’enseigne du groupe Louis Delhaize a pour sa part décidé de le faire en partenariat avec le spécialiste Cash Converters qui a ouvert un premier shop-in-the-shop dans l’hypermarché de Rocourt. Un espace de 78 m2 qui ressemble trait pour trait à un magasin Cash Converters classique, avec un espace dédié à la reprise des articles et un autre pour la vente. “Chaque fois que nous voulons associer un nouveau concept à notre enseigne, nous nous posons la question de savoir si nous le faisons nous-mêmes ou en partenariat, explique Cedric Antoine, directeur exécutif de Cora Belux. Cash Converters dispose à la fois du savoir-faire et de la notoriété en matière de seconde main. C’est une relation gagnant-gagnant. L’enseigne bénéficie du trafic de nos magasins, ce qui lui garantit de réceptionner un nombre élevé d’articles à revendre, et nous espérons élargir la base de clientèle de Cora, la rajeunir et faire en sorte que cette collaboration puisse générer des achats complémentaires.” Le point de vente Cash Converters à l’intérieur du Cora a la particularité de proposer aux clients de racheter leurs objets en cash ou en bons d’achat Cora.

Decathlon modifie son “business model”

Enfin, une autre chaîne est, elle, en train de bouleverser fondamentalement sa manière de faire du business vers plus de circularité: Decathlon. “A terme, nous voulons que notre chiffre d’affaires se répartisse comme suit: un tiers sur la vente produits neufs, un tiers sur la seconde main et un tiers sur l’abonnement et la location”, explique Bruno Pinto Coelho, leader des projets, en charge notamment du volet “seconde main”. L’enseigne de sport permet aux clients de ramener en magasin plusieurs articles Decathlon, comme des vélos, trottinettes, appareils de fitness, vêtements de sport, etc., les reconditionne dans un atelier centralisé et les revend ensuite en point de vente et sur decathlon.be. “Concernant les vélos, leur prix de revente est entre 20 et 30% plus bas, avec garantie, explique le responsable. Un vélo à 200 euros est, par exemple, racheté 100 euros au client sous forme de bon d’achat, nous le remettons en état et le revendons 150 euros. Ce prix nous permet de couvrir nos frais de réparation et faire une marge. En sachant qu’un vélo peut être revendu plusieurs fois, cette nouvelle dynamique commerciale est intéressante à la fois d’un point de vue écologique et économique.”

Un “certificat digital de propriété” pour booster le luxe de seconde main

L’industrie du luxe n’échappe pas à la règle: l’appétence de ses clients pour la seconde main est de plus en plus forte. Que ce soit au travers de plateformes dédiées comme The RealReal ou Vestiaire Collective (les “Vinted du luxe”) ou via des portails internes créés par les maisons de luxe elles-mêmes. L’essor de la seconde main leur pose toutefois certains problèmes. Il s’accompagne non seulement d’une hausse de la contrefaçon, mais rend aussi les marques complètement aveugles quant à leurs clients fréquentant ces circuits.

Pour remédier à cela, la start-up française Trust-Place outille les maisons de luxe afin qu’elles puissent créer pour chacun de leurs articles un “certificat digital de propriété” dont le numéro est stocké dans une blockchain. Plus élaboré que le certificat d’authentification déjà existant, il comporte trois clés: l’identifiant unique du produit (code QR, puce NFC ou numéro unique gravé), l’identifiant du client et l’identifiant de la facture. Créé par la marque à la vente du produit, que celle-ci soit directe ou indirecte, ce certificat digital ne peut ensuite être transféré que d’application à application. De la marque au distributeur ou au client, du distributeur au client, de consommateur à consommateur dans le cas de la seconde main. Les informations de propriété sont alors modifiées via l’application et la marque est avertie lors de chaque transfert.

Seconde main: les grandes marques sautent sur l'occasion
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“Elle peut ainsi connaître ses clients à tout moment, y compris sur le marché de la seconde main, explique Didier Mattalia, cofondateur et directeur général de Trust-Place. C’est pour elle très intéressant quand on sait que 10% des acheteurs de seconde main deviennent des acheteurs de première main dans les six à douze mois. Ce certificat bénéficie par ailleurs au consommateur qui va pouvoir maximiser la valeur de revente. Or, 55% des acheteurs de luxe, au moment de l’achat, considèrent déjà la valeur de revente. Enfin, l’acheteur de seconde main reçoit l’assurance que le produit qu’il achète est authentique.”

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